Jean V, appelé par ses contemporains bretons « Jean le Saige » (le sage) a eu ses admirateurs et ses détracteurs. Loué en Bretagne comme le héros de l’indépendance bretonne et de la prospérité économique du pays, il est en revanche détesté par les chroniqueurs français qui ont fait de lui un portrait peu flatteur, celui d’un homme fourbe, craintif, pusillanime et comble de l’insulte, lâche.
Si on en juge par ses actes politiques, on peut affirmer qu’en réalité Jean V a été plutôt un prince avisé et adepte du machiavélisme, bref, un prince de son temps : certes méfiant et négatif mais aussi intelligent, intuitif et pragmatique pour consolider son pouvoir, pour préserver la paix dans le duché et pour ruser avec le roi d’Angleterre (et de France), Henry V, bien qu’il ait manqué de finesse pour tromper le régent, le duc de Bedford.
Il semble que Jean V ait eu l’intuition que le danger pour le duché breton pouvait venir de la France même si celle-ci connaissait de grandes divisions, ce qui l’a poussé d’abord vers un rapprochement avec l’Angleterre, puis vers une alliance. Contrairement aux idées reçues, les relations avec la Bourgogne n’étaient point la priorité de la diplomatie bretonne.
L’année où les Bourguignons se sont coalisés aux Français contre l’Angleterre par le traité d’Arras (en 1435), la Bretagne, elle, choisit de renforcer ses liens avec les Lancastre, par la signature d’une trêve de dix ans. Il faut savoir que le terme déguisé « trêve » entre la Bretagne et l’Angleterre sous-entend le plus souvent une alliance.
Pour bien comprendre la politique étrangère d’un Etat au Bas Moyen-âge, il faut observer les alliances matrimoniales qui peuvent se révéler déterminantes dans l’adoption d’une diplomatie.
Celles de la maison des Montfort sont particulièrement complexes car elles se répartissent entre familles ennemies. Jean V marié à Jeanne de France, fille du roi Charles VI, reste néanmoins sous l’influence de sa mère Jeanne de Navarre, reine d’Angleterre. Les Montfort étaient liés aussi à la maison de Bourgogne, par le mariage du frère du duc, Arthur de Bretagne à Marguerite de Bourgogne, sœur de Philippe le Bon, et à la maison d’Orléans par le mariage de Richard, frère cadet de Jean V, avec Marguerite d’Orléans, fille du duc Louis.
Il se peut que ces unions aient influencé la politique de Jean V. Le duc rappelle à son beau-père, Henry IV, en 1413, et ensuite à son frère par alliance, Henry V, en 1414 les nombreux liens familiaux qui unissent la Bretagne à l’Angleterre afin de les convaincre de conclure une alliance.
Toutefois, il est nécessaire de relativiser l’importance de ces liens ; car lorsqu’ils ne conviennent plus aux intérêts du prince, celui-ci les ignore tout simplement. L’exemple de la politique suivie par Jeanne de France, fille de Charles VI, illustre bien ce cas. La fille du roi de France, devenue duchesse de Bretagne, s’adresse au roi d’Angleterre, Henry V, et non pas à son père, pour l’aider à libérer son mari, Jean V, quand celui-ci est enlevé par la famille Penthièvre-Clisson.
Néanmoins, Jean V compte tirer profit de ses liens familiaux pour s’imposer sur l’échiquier européen. Soucieux d’équilibre politique dans son labyrinthe diplomatique, il utilise ses fils et envoie l’aîné à la Cour de France et le cadet auprès du jeune roi Henry VI en Angleterre.
Cette stratégie se révèle fructueuse à court terme mais désastreuse après la mort du duc.
Pierre Scordia
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