mercredi 22 novembre 2023

La Théorie des climats : La plus vieille théorie du racisme scientifique

 

Le géographe grec Claude Ptolémée & la Théorie des climats

La Théorie des climats est la plus vieille théorie du Racisme scientifique existant au monde. Son origine reste indéterminée bien que certains pensent qu’elle proviendrait de l’Empire perse. Le géographe d’Alexandrie du premier siècle Claude Ptolémée l’intègre dans sa magistrale synthèse des connaissances géographiques et astronomiques connue à la Renaissance italienne sous le vocable de « Cosmographie ». Tout au long du Moyen-âge, les géographes musulmans vont continuer à faire vivre cette théorie allant même jusqu’à la modifier suite aux avancées de leurs découvertes géographiques. Oubliée en Europe, Montesquieu va la reprendre à son compte dans l’Esprit des Lois et ainsi l’introduire dans le corpus de la Philosophie des Lumières. Elle sera la base de toutes les idées racistes, tendant à justifier par la science le racisme, qui naitrons en Europe au dix-neuvième siècle.

La Théorie des climats

Selon cette théorie, la Terre est composée de sept climats, zones latitudinales étagées de l’équateur au pôle. Un huitième climat fut ajouté au sud par le géographe musulman Al-Idrisi, peu avant 1165, dans le livre connu en Occident sous le nom de « petit Idrisi ». Chaque climat est soigneusement définit par le rythme des saisons, la longueur des jours, et surtout par les effets de la chaleur ou du froid sur la nature et le comportement des hommes qui y vivent. Une subdivision en dix bandes allant du nord au sud permet de définir au total soixante-dix climats.

Dès l’origine, cette croyance alimenta l’idée d’une inégalité des races. Selon cette théorie des climats, la latitude à laquelle vivent les hommes serait à l’origine de la différence entre eux. Tout s’expliquerait par la position du Soleil à midi ! Reprenant l’héritage de l’Astrologie perse, les savants et géographes musulmans du Moyen-âge ajouteront la position de la Lune et des astres connus comme causes d’inégalité. Tous les habitants d’une même bande du globe, le climat, hériteraient ainsi de qualités et de tares ; qu’ils vivent au sud de l’Inde ou en haute vallée du Nil.

La théorie des climats constitue ainsi la première explication scientifique du racisme ; ce dernier étant défini comme la « théorie de la hiérarchie des races » (petit Robert).

Une théorie vieille comme le Monde

Certain dictionnaire attribue à Montesquieu la fondation de la théorie des climats. Cette théorie des climats n’est pas nouvelle à l’époque des Lumières. Elle nous est connue par la « Géographie » de Claude Ptolémée (aussi appelée « Cosmographie » depuis la renaissance). Il s’agit essentiellement d’une compilation des connaissances sur la géographie du Monde réalisée vers l’an 150 par ce géographe et mathématicien grec vivant à Alexandrie d’Egypte. L’ancienneté de cette théorie, solidement ancrée, reste indéterminée et semble provenir du monde perse.

La « Géographie » de Claude Ptolémée fut connue, dans l’Antiquité tardive, tant dans le monde grec que latin. Elle servit de base à la description du monde habité du mathématicien Pappus d’Alexandrie vers 300 ; citée par Ammien Marcellin (militaire et historien né à Antioche vers 330) ; puis par l’écrivain latin et moine Cassiodore (vers 480 – vers 575). Ensuite, sa trace en fut perdue en occident où elle disparut du corpus des idées.

Diffusée par les géographes musulmans au cours des siècles

Le monde musulman prend connaissance de cette théorie et de l’œuvre de Claude Ptolémée par la traduction qu’en a fait Hunayn ibn Ishak (809 – 873) ; chrétien et traducteur arabe de la « maison de la sagesse » (école fondée à Bagdad en 832). Sa traduction pris le nom d’Almageste, « La très grande » qui est l’arabisation de l’appellation courante grecque de l’ouvrage de Claude Ptolémée : « Grande composition ».

Cette traduction est perdue à jamais, mais elle nous est connue au travers d’une adaptation réalisée avant 847 par le mathématicien al-Kuhwarizmi.

Les géographes musulmans commentèrent cette adaptation jusqu’au-delà du XIIIe siècle (notamment en vérifiant les calculs astronomiques servant à calculer la latitude des nombreux lieux cités) et en reprirent la théorie des climats chère à Claude Ptolémée et aux Perses. Vers 1150, l’espagnol Azuhri, plus connu sous le pseudonyme de « l’anonyme d’Almeria » contribua à ces travaux.

Dans « Les négriers en terres d’islam » (Collection Tempus), Jacques Heers cite de nombreux géographes et historiens musulmans reprenant cette théorie. Ainsi, en 1050 – 1060, l’historien Saïd ben Ahmad Saïd, énumérant sept grandes familles de peuples correspondant chacune à un climat, parle des pays des noirs en ces termes : « L’air est brûlant et le climat extérieur subtil. Ainsi le tempérament des Sûdans devient-il ardent et leurs humeurs s’échauffent ; c’est pourquoi ils sont noirs de couleur et leur cheveux crépus. Pour cette raison sont anéantis tout équilibre des jugements et toute sûreté d’appréciation. En eux c’est la légèreté qui l’emporte et la stupidité et l’ignorance qui dominent ». La position du Soleil au zénith de ce climat permet-elle d’en déduire de telles conclusions ? En tout cas, le Monde musulman en tira une justification scientifique à la traite orientale.

Passionné d’astrologie, le monde arabo-musulman va introduire d’autres variables pour expliquer les pseudos différences raciales entre les humains. Ainsi, certains auteurs y virent l’action de la Lune et des astres. Dans le Maghreb, climat relativement tempéré, l’effet de la Lune aurait fait que les gens soient devenus des commerçants des plus prospères. Un autre climat serait sous l’effet de Mars et du Scorpion ; pour cette raison le comportement des habitants y serait plus proche de celui des bêtes que de celui des hommes !

Rôle majeur du géographe Al-Idrisi dans la diffusion de la théorie des climats

On sait peu de choses sur la vie d’al-Idrîsî : Il serait né au Maroc vers 1100 (à Ceuta) au sein d’une famille noble arabe installée en Espagne et aurait fait ses études à Cordoue, alors important centre culturel de la péninsule ibérique. Il possèderait un peu de latin et parlerait grec.

Ayant fait une gigantesque compilation des connaissances médicales des auteurs antiques, Al-Idrîsî connaissait bien les plantes, les poisons et les poudres dont il savait les qualités spécifiques, pharmacologiques et aphrodisiaques, ce qui lui permit de rédiger des livres de médecine qui feront qu’il sera connu en Occident à partir du dix-septième siècle.

C’est en 1139 qu’il s’installe à Palerme, appelé par Roger II*, et entreprend, sous la direction du roi, un travail d’enquête et de compilation géographique qui va durer dix-huit ans.

De son point de vue, la dynastie normande* des Hauteville, à laquelle appartient le roi, est appelée par Dieu à prolonger celle des califes* abbassides*. Palerme est vouée à prendre le relais de Bagdad et devenir le pôle savant d’un monde arabe sans frontière. C’est donc naturellement en arabe qu’Al-Idrîsî écrira son livre, à la gloire de Roger II, souverain sage et serviteur du savoir, et de la Sicile, terre riche et pacifiée.

De ses travaux sortiront deux ouvrages. Le premier, commencé en 1154, six mois avant la mort du roi Roger II et achevé sous Guillaume Ier, probablement vers 1157, intitulé « l’Agrément de celui qui est passionné par les pérégrinations à travers les régions » reprend les sept climats de Claude Ptolémée ; Ils y sont largement décrits et parfaitement identifiés.

A la fin de sa vie, la sphère d’influence et commerciale du monde musulman s’étant étendue vers le sud en Afrique, il ajoutera un huitième climat au sud de l’équateur dans son livre, qui fait la synthèse du premier, « Le jardin des joies et la délectation des cœurs ». Ce second ouvrage est plus connu sous le nom de « Petit Idrisi ».

Pour les pays non musulmans d’Afrique et d’Asie, il recopia discrètement l’œuvre de Claude Ptolémée apportant de rares précisions sur le commerce avec le pays des zendjs (vaste enclave chrétienne correspondant à l’Ethiopie actuelle) et sur la vie dans des régions au sud des royaumes musulmans du Niger restées animistes.

Les deux ouvrages d’Al-Idrisi eurent un succès considérable dans le monde arabo-musulman. Ils furent largement cités par la suite et adaptés par les nombreux géographes musulmans qui lui succédèrent.

Al-Idrisi mourut vers 1165 ; le brillant royaume normand de Sicile où chrétiens, musulmans et juifs vécurent en harmonie, connu pour son académie de médecine de Palerme prit fin en 1194 après 133 ans d’existence.

La diffusion via l’empire byzantin

La « Géographie » de Claude Ptolémée est aussi connue à l’époque de Montesquieu par une autre source que celle des géographes musulmans : Celle de l’empire Byzantin.

Au XIIe siècle, une transposition en vers de quelques passages apparaît dans l’ouvrage « Chiliades » de Jean Tzétzés.

Vers 1300, le moine et érudit Maximos Planoudès (vers 1260 – 1310), qui fut ambassadeur à Venise de l’Empereur byzantin Andronic II Paléologue (1258 - 1332), retrouva des versions grecques de l’ouvrage de Claude Ptolémée. Il dessinera les cartes perdues à partir des lieux cités et localisés.

De 1401 à 1406, Jacopo d’Angelo da Scarperia en fait une traduction latine. De nombreuses cartes seront dessinées à partir de cette version latine. Citons celles de Giovanni Rhosos en 1454. Elle sera imprimée pour la première fois en 1475.

Le titre grec de "Géographie" n'apparaît qu'à partir de la traduction italienne du Florentin Francesco Berghieri (publiée en 1478).

Avec la traduction latine de Ptolémée, le monde occidental dispose désormais des outils nécessaires, grâce aux projections, pour construire une représentation géométrique du monde connu et des mondes à découvrir. Elle hérite aussi de la plus vieille théorie du racisme scientifique !

Les sources disponibles à l'époque de Montesquieu

Montesquieu possédait deux sources largement diffusée à son époque : La « Géographie » imprimée depuis 1475 ; l’ « Almageste » qui en est la version musulmane possédant un huitième climat.

Il est difficile de savoir à partir de quelle version, Byzantine ou musulmane, Montesquieu a tiré son inspiration pour relancer cette hallucinante théorie du racisme scientifique.

On connaît le goût de l’époque pour la Turcomanie, mode conduisant à aimer aveuglément tout ce qui vient d’Orient. Elle fut développée par François 1er et ses successeurs immédiats pour faire oublier la désastreuse politique d’alliance de la France avec les ottomans qui conduisit à la défaite de Lépante et qui isola durablement la France en Europe. Sans parler de l’assistance logistique de la marine royale aux corsaires ottomans qui chassaient l’esclave blanc sur les côtes de Provence !

La Théorie des climats conduira aux théories racistes du National-socialisme

Durant le siècle des « Lumières » un certain nombre de courants de pensée vont voir le jour et mûrir au fil des décennies. Ils amorceront la montée du racisme scientifique qui conduira directement à l’eugénisme et aux camps d’extermination. En voici un bref résumé.

Le courant anti-chrétien du siècle des Lumières rejeta la « Genèse » en bloc ce qui conduisit à remettre en cause la position privilégiée de l’Homme dans la Création et son origine unique. Pour les penseurs du siècle des « Lumières », l’Homme ne descend plus d’un ancêtre unique, Adam, mais peut avoir une origine multiple. Il n’a pas de position particulière au sommet de la hiérarchie des êtres vivants, mais est un élément de la Nature.

Au même moment, débute les travaux de mise en ordre et de classification de la nature : ordre minéral, végétal et animal. Ils seront conduits par deux savants : Buffon et Carl Von Linné.

La classification du règne animal sera vite étendue à l’espèce humaine qui sera décomposée en races. On avait observé dès 1684 dans La Revue des Savants la première de ces tentatives. L’auteur, le médecin et philosophe François Bernier, se proposait de rompre avec la logique géographique qui prévalait jusqu’alors dans l’appréhension des groupes humains. Il avançait l’idée que les hommes pouvaient être classés selon leurs caractéristiques physiques, en distinguant « cinq races humaines ». Cette nouvelle théorie passa inaperçue sur le moment. Il n’en sera pas de même des travaux de Carl Von Linné et de ceux de Buffon au siècle des « Lumières ».

Le naturaliste suédois Carl von Linné (1707-1778) distingua en 1758, quatre races différenciées au sommet de l’ordre des « anthropomorpha » (les futurs primates) : Européens, Américains (nous dirions aujourd'hui Amérindiens), Asiatiques et Africains.

Buffon (1707 – 1788) reprend pour sa part à Maupertuis (1698 – 1759) l’idée que le Blanc serait la couleur originelle de l’homme, les colorations sombres évoquées autrefois par la mésaventure de Cham dans la Bible étant selon lui le produit d’une dégénérescence partielle due à l’éloignement de la zone climatique tempérée. Faut-il y voir une influence directe de la théorie des climats ? Certainement.

Au siècle suivant, les théoriciens des races seront légion : le philosophe Kant (1724 – 1804) ; le biologiste Blumenbach (1752 – 1840) ; Arthur de Gobineau écrira un Essai sur l'inégalité des races humaines (1853-55) ; le docteur Ludwig Woltmann (1871-1907), ex-marxiste converti au darwinisme social, fondera la revue d’anthropologie politique ; Ronald Aylmer Fisher (1890 – 1962) militant pour l’eugénisme dans les années 1930 ; etc.

La thèse de l’inégalité raciale sera remise en cause dès 1885 au nom de critères scientifiques également avec le livre De l'égalité des races humaines de Joseph Anténor Firmin.

Cela n’empêchera pas l’émergence d’un fort militantisme pour l’eugénisme dans les rangs de la Gauche tout au long des années 1930… et l’application de ces thèses du racisme scientifique par le troisième Reich allemand.

Montesquieu la réintroduira dans le corpus philosophique des Lumières

Montesquieu esprit très engagé de son époque, n’hésitait pas à rechercher dans le passé les origines de telle ou telle pratique. Cela l’a conduit à accréditer d’incroyables fantaisies ! Parmi celles-ci, la théorie des climats, qui passe pour être une de ses idées les plus célèbres, esquissée dans les « Lettres persanes » et soulignée dans « De l'esprit des lois ».

Montesquieu croit que le climat pourrait influencer substantiellement la nature de l'homme et de sa société. Il va jusqu'à affirmer que certains climats sont supérieurs à d'autres, le climat tempéré de France étant l'idéal. Il soutient que les peuples vivant dans les pays chauds ont tendance à s'énerver alors que ceux dans les pays du nord sont rigides. En 1748, dans l’Esprit des lois, il écrit :

« Les peuples des pays chauds sont timides comme les vieillards le sont ; ceux des pays froids sont courageux comme le sont les jeunes gens. (...) nous sentons bien que les peuples du nord, transportés dans les pays du midi, n'y ont pas fait d'aussi belles actions que leurs compatriotes qui, combattant dans leur propre climat, y jouissent de tout leur courage. (...) Vous trouverez dans les climats du nord des peuples qui ont peu de vices, assez de vertus, beaucoup de sincérité et de franchise. Approchez des pays du midi vous croirez vous éloigner de la morale même ; des passions plus vives multiplient les crimes (...) La chaleur du climat peut être si excessive que le corps y sera absolument sans force. Pour lors l'abattement passera à l'esprit même : aucune curiosité, aucune noble entreprise, aucun sentiment généreux ; les inclinations y seront toutes passives ; la paresse y sera le bonheur ». (Livre XIV, chap. II)

Par son approche plus scientifique que dogmatique du fait politique, certains voient dans ces écrits de Montesquieu le point de départ des sciences sociales modernes ! Un comble !

C’est dans le livre XV de l’esprit des lois, intitulé « Comment les lois de l’esclavage civil ont du rapport avec la nature du climat », que Montesquieu commence à développer sa théorie sociologique des climats. Bien qu’il soit, par principe, contre l’esclavage, il justifie par sa théorie des climats l’usage de celui-ci.

Dans le chapitre VII, il écrit : « Il y a des pays où la chaleur énerve le corps et affaiblit si fort le courage, que les hommes ne sont portés à un devoir pénible que par crainte du châtiment : l’esclavage y choque donc moins la raison. Aristote veut dire qu’il y a des esclaves par nature ; et ce qu’il dit ne le prouve guère. Je crois que, s’il y en a de tels, ce sont ceux dont je viens de parler. Mais, comme tous les hommes naissent égaux, il faut dire que l’esclavage est contre la nature, quoique, dans certains pays il soit fondé sur la raison naturelle ; et il faut bien distinguer ces pays d’avec ceux où les raisons naturelles même les rejettent, comme les pays d’Europe où il a été si heureusement aboli ». Pour Montesquieu, le climat chaud des pays du sud fait que les peuples qui y vivent sont naturellement fait pour l’esclavage contrairement aux autres pays comme l’Europe où l’esclavage est à proscrire.

Comme le montre cet article, la Théorie des climats aura bien pénétré le cerveau de l’ensemble des « Philosophes des Lumières » (Racisme & sous-hommes chez les philosophes des Lumières)

http://histoirerevisitee.over-blog.com/2017/12/la-theorie-des-climats-plus-vieille-theorie-du-racisme-scientifique.html

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