« Nous ne sommes plus au Moyen-Âge » ! On ne compte plus les expressions tombées dans le langage courant qui discréditent cette période historique qui est pourtant d’une richesse infinie dans tous les domaines. Ces jugements de valeur, le plus souvent complètement faux, voire carrément grotesques, ne datent pas d'aujourd'hui.
Dès le XIVe siècle, c’est bien « un véritable travail de sape » qui a été mené à l’encontre de ce que l’on appellera plus tard l’époque médiévale avec ses prouesses architecturales (Les cathédrales gothiques) et la création des universités (Cathédrales du savoir et des sciences), entre autres. Il s’agissait de tout effacer, de tout renier, afin de favoriser l’avènement de temps nouveaux beaucoup plus glorieux : Le retour à la Rome antique (Et le retour du droit familial qui considère la femme comme une éternelle mineure). Il fallait donc abandonner cette période « obscure » que fut le Moyen-âge pour se diriger vers un monde idéalisé et beaucoup moins chargé de flétrissures. On entrait dans ce qu’on appellera vers 1820 la Renaissance italienne (Pour la distinguer de la renaissance carolingienne de l’An 1000).
C’est en effet en Italie que cette grande idée, qui ne devait souffrir d’aucune contestation, est apparue. Elle ne fut absolument pas le fruit d’un consensus, mais le produit de quelques individus, liés entre eux par des ambitions et des intérêts communs, et pour lesquels il s’agissait de diaboliser les siècles précédents afin de servir leurs petits intérêts aussi bien politiques que partisans. Remporter la bataille culturelle et idéologique pour mieux imposer leur domination politique, voilà la stratégie à peine voilée qui fut mise en œuvre par les premiers humanistes italiens.
C’est notamment Pétrarque, érudit et poète italien né en 1304, qui, le premier, a avancé cette idée d’une supériorité du monde antique sur la période qui était en train de se terminer. En effet, valoriser avec véhémence la Rome antique, à travers notamment la mise en valeur de ses vestiges et de ses chefs d’œuvre artistiques, lui permettait assurément de jeter son fiel sur les papes d’Avignon qu’il détestait par-dessus-tout et qui avaient osé délaisser la splendide capitale antique pour aller s’installer dans cette lugubre ville du sud de la France, Avignon. Ingratitudes de celui qui devait tout aux papes d’Avignon et aux cardinaux : Accueil, aide, honneurs et surtout charges lucratives qui firent de lui un homme fort riche ! Il fut d’ailleurs très vite récompensé pour son militantisme actif, puisqu’il reçut en 1341 la citoyenneté romaine en grande pompe et décida, dès 1353, de quitter Avignon et de s’installer définitivement à Rome (Une fois la guerre civile romaine qui ravageait la ville entre les Orsini et les Colonna terminée).
Le « retour à l’Antique » chez Pétrarque fut avant tout inspiré par des préoccupations politiques, voire polémique en faveur de la cour angevine de Naples, et en second lieu d’un militantisme en faveur d’une alliance entre Florence, Rome et Naples. Il aura pour complice Boccace et les nombreux artistes qui vivaient des subsides des princes angevins. Intentions politiques et snobisme d’intellectuels liés par l’amitié, intérêts financiers et connivences entre artistes se sont donc rejoints et confortés pour tresser des couronnes et établir des renommées.
Plus que des critères purement éthiques ou esthétiques, ce sont bien des considérations politiques qui furent à l’œuvre dans la déconstruction de la période médiévale par Pétrarque et son entourage. A leur suite, les humanistes italiens de la Renaissance, n’ont eu de cesse, à peu de frais, de taper sur les cendres de l’Europe médiévale du nord pour mieux valoriser les prouesses de l’Italie moderne qui tentait avec nostalgie de refaire vivre une Rome idéalisée.
Louis XIV et ses ministres ensuite, qui avaient à cœur d’imposer la figure du monarque absolu de droit Divin, percevaient dans le Moyen Âge une période peu affriolante au cours de laquelle la multiplication des droits seigneuriaux, la mauvaise exploitation des terres et la fronde seigneuriale à l’encontre de l’autorité royale constituaient une chienlit aussi néfaste qu’exécrable. Résultat de la Fronde qui a traumatisé le tout jeune roi Louis XIV !
Mais, ce sont les philosophes des Lumières, du haut de leur grandiloquence moralisatrice, qui vont constituer l’argumentaire le plus virulent contre le Moyen-âge et la féodalité. Toutes les techniques de manipulation seront utilisées dans les innombrables pamphlets publiés durant toute la seconde moitié du XVIIIe siècle. C’est à cette époque qu’une abondante légende des droits féodaux, sottisier ne reposant sur aucune preuve, est constituée. Fable courante : Le serf obligé de battre l’étang la nuit afin de faire taire les grenouilles et que son maître puisse dormir. Le droit de ravage qui permettait au seigneur de calmer ses nerfs en laissant ses chevaux ravager les champs du paysan. Le droit de prélassement qui permettait au seigneur, de retour de la chasse, d’éventrer deux paysans afin de se réchauffer les pieds dans leurs entrailles. Le droit de cuissage, mythe forgé à partir d’une interprétation déformée de la taxe que devait payer les serfs en se mariant.
Les révolutionnaires de 1789 ne feront que reprendre les idées de ces écrivains-journalistes devenus homme politiques qui ont fait l’opinion publique à partir de 1740. Attaquer la féodalité, la place de l’Eglise catholique dans la société, ou encore l’odieuse condition des serfs, à travers des anecdotes aussi peu vraisemblables que choquantes fut leur credo. L’objectif était de discréditer l’horrible période médiévale pour mieux promouvoir les valeurs de la République naissante. Ce sera la nuit du 4 août durant laquelle, soit disant, les privilèges ont été abolis. Tous ? Les seuls privilèges abolis concernaient exclusivement les droits féodaux et tout ce qui touchait à la propriété rurale (Majoritairement aux mains des paysans en 1789).
Romans historiques et conditionnement des écoliers vont être les moyens utilisés par la troisième République radicale-socialiste (A partir de 1884) pour continuer cette œuvre de diabolisation du Moyen-âge tout en durcissant la caricature anticléricale. Pour l’extrême gauche alors au pouvoir, il était indispensable que tous les citoyens est l’image d’une société médiévale dominée par les rois, les seigneurs et les curés maltraitant une horde de paysans pauvres et perdus dans les affres de l’obscurantisme et du catholicisme triomphant. Les effets se feront sentir jusqu’à nos jours : Une véritable tyrannie intellectuelle qui a complètement orienté nos manière d’appréhender ce passé médiéval et surtout féodal.
Or, n’en déplaise aux fossoyeurs du Moyen Âge, cette période est beaucoup plus heureuse et innovante que la désastreuse caricature qu’ils peuvent en faire depuis maintenant plusieurs siècles.
Nous aurons l’occasion d’y revenir.
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