03/07/2016 – 06H15 Rome (Breizh-info.com) – Les éditions Perrin ont publié au mois de Mai 2016 un livre référence de Max Schiavon intitulé : « Mussolini, un dictateur en guerre ». Si le Mussolini “politique” est aujourd’hui bien connu, rien n’existait sur le Duce en guerre. Il s’agit donc de la première synthèse sur le sujet.
Depuis son accession au pouvoir en 1922, Mussolini n’a eu de cesse de réclamer la révision des traités de paix consécutifs au premier conflit mondial. Lorsqu’en juin 1940 il déclare la guerre à la France, il est convaincu que l’Italie peut, en menant une guerre parallèle à celle de l’Allemagne, devenir à moindres frais la principale puissance du bassin méditerranéen. Le conflit se propageant, le Duce engage son armée sur plusieurs théâtres d’opération, alors qu’elle souffre pourtant de graves carences dont il est informé, mais qu’il minimise. Après quelques mois, les Italiens sont partout en difficulté. La guerre parallèle souhaitée se transforme en guerre subalterne subie, le sort de l’Italie et de son chef dépendant désormais entièrement des résultats allemands.
L’erreur majeure du dirigeant fasciste fut sans aucun doute d’avoir cru que la participation à la guerre d’Hitler aurait permis de placer l’Italie dans une position internationale en réalité bien trop élevée au regard des moyens dont disposait le pays. Le comportement de Mussolini comme chef de guerre, les choix qu’il a opérés, les directives stratégiques qu’il a données, ou non, son amateurisme, aussi, ne peuvent être compris qu’en étudiant son caractère, la nature exacte de son pouvoir, ses rapports avec l’armée et, surtout, l’idéologie qui l’anime. C’est ce à quoi s’emploie Max Schiavon dans ce livre novateur et original, nourri aux meilleures sources internationales.
Le livre, qui se lit très bien, est passionnant, et permet d’obtenir de nouvelles informations sur un des personnages majeur du 20ème siècle. Il figurera en bonne place dans les bibliothèques des étudiants, des historiens, et des passionnés.
Max Schiavon – Mussolini, un dictateur en guerre – Perrin – 21 euros
Max Schiavon, ancien officier de l’armée de terre (34 ans dans l’armée en France et à l’étranger, des missions sur les 5 continents). Docteur en histoire, il a terminé à la fin de sa carrière en tant que directeur de la recherche du Service historique de la Défense au château de Vincennes.
Nous l’avons interrogé à propos de son ouvrage et de Mussolini.
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a amené à vouloir écrire sur Mussolini ?
Max Schiavon : Lorsque j’ai fait ma thèse de doctorat, le sujet portait sur les combats franco-italiens de juin 1940. Ca n’est pas ce qui est le plus connu, mais au moment où la Wehrmarcht enfonçait la France dans le Nord-Est, le 10 juin 1940, Mussolini et l’Italie nous ont déclaré la guerre. Pendant quinze jours, l’armée des Alpes a résisté victorieusement.
Comme j’ai déjà, dans le passé, été amené dans le passé à traiter ce sujet de l’Italie et de son entrée en guerre, j’ai voulu approfondir ce sujet. J’ai contacté les éditions Perrin qui de suite ont trouvé le sujet intéressant et m’ont commandé ce livre, inédit, sur Mussolini et la guerre, sur les rapports du Duce à l’armée. Le livre s’adresse à un « grand public cultivé » qui a déjà une idée très générale du contexte historique.
Breizh-info.com : Quand on parcourt votre ouvrage – ainsi que d’autres sur la vie de Mussolini et son règne – on se rend compte qu’il a plutôt bien redressé l’Italie avant que le régime ne s’effondre dans la seconde guerre mondiale. Mussolini fût-il un bon homme d’Etat et un très mauvais chef de guerre ?
Max Schiavon : Vous avez un peu raison. Si on met de côté les phénomènes de violence inhérent au régime dictatorial, mais qui n’ont jamais atteint ce qui s’est passé en Allemagne, Mussolini a réalisé de grandes choses en Italie. C’est ce qui explique d’ailleurs pourquoi, encore aujourd’hui, des gens qui lui sont opposés politiquement et nombre d’Italiens, lui savent gré de certaines de ses réalisations intérieures. Un seul exemple, l’assèchement des zones insalubres, pas seulement au sud de Rome, mais également dans la région de Pise, du Delta du Po (côte Adriatique). Tous les empereurs romains, tous les dirigeants successifs, ont voulu assécher ces marais et les assainir, éliminer la malaria endémique, et bien Mussolini y est parvenu. Près de 3 millions d’hectares ont été bonifiés, 35 000 fermes créées sur les terres gagnées sur les marais…
Au sud immédiat de Rome, beaucoup de gens, encore aujourd’hui ont le portrait de Mussolini, dans leur salle à manger !
Breizh-info.com : Sur le plan « chef de guerre », quelles ont été ses erreurs fondamentales ?
Max Schiavon : Il a commis plusieurs erreurs. La première c’est de s’allier à l’Allemagne. Mais surtout, si je ne devais en retenir qu’une, il n ‘a pas fait en sorte d’avoir les moyens de sa politique étrangère de plus en plus belliqueuse. Contrairement à l’image que l’on continue à avoir au travers de certains films ou documentaires, l’armée italienne tout comme la milice n’ont jamais été prioritaires dans les budgets. La préparation militaire a en fait été complètement ratée. Les officiers de réserve ont été nommés en raison de leurs diplômes civils, sans tenir compte de leurs compétences et de leur engagement vis à vis du pays. Le plus gros défaut de Mussolini a donc été de ne pas se donner les moyens de mener la politique étrangère agressive qu’il prévoyait et mettait en oeuvre à la fin des années 30.
Breizh-info.com : Y a-t-il eu néanmoins des opérations militaires d’exception menées par Mussolini et son armée ?
Max Schiavon : La première qui est phénoménale, c’est la campagne d’Ethiopie. Une campagne qui a valu à l’Italie des sanctions qui l’ont jetée dans les bras de l’Allemagne. Il faut le dire : la France et l’Angleterre n’ont pas assez réfléchi aux conséquences. A quoi servait de priver l’Italie de matières premières du moment que l’Allemagne, les Etats-Unis et bien d’autres annonçaient qu’ils continueraient à approvisionner l’Italie, notamment en pétrole. Ces sanctions n’ont pas du tout atteint leur but.
Pour revenir à la campagne militaire, Churchill, qui ne s’en est pas vanté par la suite, a été un grand admirateur de ce qu’a fait Mussolini. Il trouvait prodigieux que l’Italie ait réussi à déployer un gigantesque corps expéditionnaire aussi loin de la mère patrie.
Cette campagne d’Ethiopie, très dure, exigeant une logistique phénoménale, fût une grande réussite. Au demeurant, lorsque le 1er mai 1936, Mussolini proclame l’Empire, il y a consensus en Italie. Même les réfugiés antifascistes en France saluent la conquête de l’Ethiopie !
Breizh-info.com : Est-ce l’exercice du pouvoir qui a transformé le fascisme révolutionnaire de Mussolini – accusé par des fascistes originels (et notamment D’Annunzio) d’avoir abandonné l’idéal d’après-guerre ?
Max Schiavon : Mussolini accède au pouvoir en 1922, par les voies légales. Même si la marche sur Rome exerce une pression très forte sur la classe dirigeante, le roi aurait pu choisir une autre solution. Or il appelle Mussolini à former un gouvernement qui est adoubé par le parlement. Le fascisme va durer 21 ans, jusqu’en 43 si on ne tient pas compte de la République sociale italienne de 43 à 45. Les idées de Mussolini vont fortement évoluer. Au départ il est très à gauche, anarchiste, socialiste révolutionnaire mais jamais marxiste. Son père l’a d’ailleurs appelé Benito en référence au révolutionnaire mexicain Benito Juarèz ; toute sa formation l’a poussé vers l’extrémisme de gauche.
Mais arrivé au pouvoir, il se rend compte très rapidement qu’il lui faut, pour se maintenir et pour pouvoir gouverner, l’appui de la bourgeoisie, du patronat et de l’armée. Il va passer des accords réels ou tacites – avec l’armée ça sera plutôt tacite – qui lui permettront d’exercer le pouvoir. L’armée ne mettra pas en cause le régime du moment que Mussolini lui laisse faire ce qu’elle veut, en termes d’organisation, de nomination des généraux, de doctrine. En fait le fascisme n’a jamais pénétré dans les casernes, contrairement à ce qu’il s’est passé sous le régime nazi.
Mussolini était un être tourmenté, passionné, brutal, mais il a tenu compte des réalités. Tout en gardant certains ancrages révolutionnaires, il a évolué vers un exercice du pouvoir personnel teinté de pragmatisme. On ne retrouvera cet aspect révolutionnaire, anti bourgeois, anti capitaliste, anti libéral, que sous la République Sociale Italienne, lorsque les Allemands le remettront au pouvoir après sa libération du Grand Sasso en septembre 1943.
Breizh-info.com : L’alliance avec Hitler a amené les contemporains à dresser un lien idéologique entre fascisme italien et national socialisme allemand. Qu’en est-il en réalité ?
Max Schiavon : Il y a des caractéristiques communes bien sûr : le pouvoir personnel, le parti unique, la mise au pas des opposants – encore qu’on sait qu’elle a été très différente en Italie et en Allemagne. Lorsque Mussolini tombe, on ne découvre dans les prisons italiennes que quelques dizaines d’opposants politiques. Qui plus est, la plupart sont relégués sur des îles ou des chalets en montagne.
L’anti-parlementarisme, le souhait de vouloir réviser les traités de la Seconde Guerre mondiale, sont aussi des points communs très importants : Hitler et Mussolini remettent en cause ces traités. Pas pour les mêmes raisons. Hitler, à cause du « diktat » de Versailles. Tandis que Mussolini enfourche le thème de « la victoire mutilée ». L’Italie déplore des centaines de milliers de morts entre 1915 et 1918 et n’a pas obtenu ce qu’elle était en droit d’attendre, territorialement parlant.
Sur beaucoup d’autres plans les deux régimes étaient différents. André François-Poncet, ambassadeur de France à Berlin puis à Rome l’ a très bien expliqué.
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui explique, qu’aujourd’hui encore, une partie de la population italienne voue encore un culte au Duce ou se revendique du fascisme, sans complexe ?
Max Schiavon : C’est un phénomène naturel en histoire. En France, nous avons l’exemple avec Napoléon 1er. On se souvient d’Austerlitz, de Iéna, de la création de la Banque de France, de l’Université de la Légion d’honneur. On ne se souvient pas qu’un tiers de la forêt française avait été abattu, que plus de la moitié des chevaux étaient morts, que le pays était ruiné et isolé. Toute chose égale par ailleurs, c’est un peu le même phénomène avec Mussolini. Les Italiens se souviennent des réussites du régime et occultent les graves revers militaires
Ce que retiennent aujourd’hui les Italiens – pas tous mais beaucoup – ce sont les réussites intérieures. En dix-huit ans, le pays s’est considérablement modernisé. J’ai parlé de la bonification des terres mais il y a d’autres exemples encore visibles aujourd’hui. Mussolini fait construire 700 km d’autoroutes, 700 km de routes nationales et 6000 km de routes secondaires, 3500 km de voies ferrées,… Il impose la construction d’un stade de sport dans chaque commune. En fait, Mussolini a réussi dans beaucoup de domaines, sauf dans celui de la natalité.
Lorsque le roi l’a nommé Premier ministre, Mussolini qui était à Milan a pris le train pour la capitale. A la gare, il a convoqué le chef de celle-ci et lui a dit : « A partir d’aujourd’hui, les trains partiront et arriveront à l’heure ». Ce goût de l’ordre dans un pays qui n’y est pas toujours porté fait que certains regrettent cette époque.
Breizh-info.com : Quels sont vos travaux en cours, vos ouvrages prévus après celui-ci ?
Max Schiavon : J’ai deux livres en préparation qui sortiront les prochains mois. Le premier, que j’écris avec François de Lannoy, porte sur les généraux français de la Libération (de la campagne de Tunisie en 1942 à l’armistice du 8 mai 1945). Nous avons étudié les 37 généraux qui commandent les armées, les corps d’armée, les divisions, et nous présentons leur biographie. Certains sont très connus, comme De Lattre, Leclerc, Monsabert, mais d’autres le sont beaucoup moins comme Mathenet, Conne ou Dody. C’est tout l’intérêt de ce livre qui sortira à la fin de l’année (éditeur ETAI).
Le deuxième, qui sortira chez Perrin fin 2016 ou début 2017, est une biographie du Général Corap. Il commandait la 9e armée dans les Ardennes en 1940 et le front qu’il tenait a été percé par les Panzerdivision qui l’attaquaient. Rendu responsable de la défaite par Paul Reynaud, aucune étude complète n’avait jusqu’à présent été réalisé sur ce personnage dont toute la vie est passionnante. C’est lui, en particulier, qui capture le leader rifain Abd el Krim en 1926.
Propos recueillis par Yann Vallerie. L’interview de Max Schiavon sera également disponible en format audio, prochainement sur Radio Libertés.
Crédit photos : DR
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