Voici une lecture qui tombe à point nommé alors qu’une partie de la classe politico-médiatique nationale se couvre de ridicule en lançant 4 ans à l’avance la course à la présidentielle… Les politiciens feraient mieux de raisonner en termes de projets et de majorité future. La vérité, c’est que l’élection présidentielle est devenue – devenue – une vaste foutaise, désormais sous l’influence d’une poignée de ploutocrates et de courtisans qui disposent de la radio-télévision et désignent leur favori en le mettant en lumière. Ce n’est pas un mythe ni du complotisme, mais la triste réalité. La vérité, c’est que l’occupant de l’Elysée (quel qu’il soit) issu de cette foutaise n’est rien d’autre, désormais, qu’un illusionniste vaniteux qui fait naufrage dans la gesticulation et le bavardage pour masquer son impuissance à régler les problèmes de la France et des français. Cela n’intéresse personne ou presque. La vérité n’intéresse personne mt.
Thomas Legrand a été éditorialiste politique à France Inter, grand reporter, correspond à New York pour RTL.
A travers ce livre qui se lit d’une traite, Thomas Legrand explique clairement que l’élection présidentielle au suffrage universel direct nous plonge tous les cinq ans dans une période d’illusion collective, nous conforte dans un affrontement binaire, entretient le mythe de l’homme providentiel, interdit l’esprit de compromis et personnalise tous les débats publics. Depuis 1995, les présidents ne réforment plus, ils ont perdu le pouvoir et abîmé la fonction. Ce ne sont pas les hommes mais la fonction qui est en cause. La réforme s’imposera pourtant, à l’occasion d’une crise.
I – Le contexte historique avec le Général de Gaulle
L’idée qu’il existerait un sauveur reste populaire, singulièrement à droite. En période de crise, une partie de la population, la plus conservatrice, se cherche un sauveur (le bonapartisme). L’historien Jean Garrigues a mis à jour ce ressort en épluchant les milliers de lettres de Français angoissés, adressées à René Coty, pour qu’il fasse appel au général de Gaulle en 1958 alors que la 4e République menaçait de s’effondrer sous le choc de crise algérienne.
De Gaulle a voulu l’élection présidentielle en 1962 à l’époque où la France sortait de guerres de décolonisation. L’Elysée avait vraiment les manettes du pouvoir en main (plans quinquennaux, capitalisme d’Etat, frontières, guerre froide), où la communication de masse était une communication d’Etat. Cela a été balayé par le vent de l’histoire, la fin des blocs, la construction européenne, la révolution des technologies de l’information. Pourtant en 1962, tout le monde politique ou presque était contre cette élection du PR au suffrage universel direct à deux tours. De Gaulle savait cela et chacun percevait les dérives personnalistes que ce système recelait. Les rétifs les plus républicains avaient été nourris par les écrits de Victor Hugo opposant à Napoléon III.
La 5e République n’est pourtant pas un régime présidentiel contrairement à une idée reçue car le pouvoir législatif est trop lié au pouvoir exécutif, le président pouvant dissoudre ; il est plus juste de le qualifier de semi-présidentiel.
Quant à la 4e République, elle a permis de nombreuses réalisations : reconstruction de l’industrie, des infrastructures détruites pendant la 2e guerre mondiale, mise en place d’une politique industrielle et d’équipements etc.
Mais c’est le naufrage sanglant de la guerre d’Algérie qui a eu raison de cette 4e République d’à peine 12 ans (1946 à 1958), ce naufrage ainsi que la faillite des partis ont imposé l’idée qu’il fallait un pouvoir fort incarné par une personne d’exception et Charles de Gaulle était l’homme adéquat. Le vieux réflexe bonapartiste, la peur du parti communiste complétaient l’argumentaire pour confier le pouvoir à l’homme des situations désespérées qui en plus avait le bon goût de s’appeler comme le pays.
L’histoire est faite pour Charles de Gaulle, elle lui offrira encore une fois les fameuses circonstances tragiques qui font les destins. Le 22 août 1962 c’est l’attentat du Petit Clamart. Le général et sa femme entendent siffler à travers la DS les balles tirées par l’extrémiste, partisan de l’Algérie française, Bastien-Thiry. Mais personne ne sera touché, un vrai miracle offert par la providence. La sécurité du président est mise à l’épreuve. Il devient urgent de régler la question de son successeur et de lui octroyer une force et une aura que la providence ne lui fournira pas. Cette onction ne sera pas divine, ni historique mais POPULAIRE. Le 20 septembre 1962, profitant de l’émotion suscitée par l’attentat, De Gaulle fait une allocution à la télévision et expose aux Français sa volonté de réviser la Constitution pour instituer la règle de l’élection du PR au suffrage universel direct. Et cela par référendum. Le 28 octobre 1952, le OUI l’emporte.
En 1965, De Gaulle est élu Président de la République mais le choc et la surprise sont là car il a été mis en ballotage par Mitterrand. Les gaullistes ne l’avaient pas vu venir ! En 1969, l’élection de Pompidou démontrait que la « République nouvelle » pouvait survivre à son créateur. Puis 1974 prouvait qu’un non-gaulliste pouvait l’emporter bien que Giscard d’Estaing fut ministre du Général. 1981 venait consacrer le caractère totalement démocratique des institutions puisqu’une alternance idéologique était possible. Mitterrand étant un farouche opposant du Général de Gaulle.
Toutefois le mythe de l’homme providentiel (à droite) ou alors la volonté de toujours établir un rapport de force favorable (la lutte des classes à gauche) sont deux facteurs qui enkystent la capacité de réforme de la France et sont destructeurs de la démocratie. L’élection présidentielle, avec son moment d’illusion collective que représente la campagne, est un parfait réceptacle pour ces deux fantasmes.
II- La présidence de Jacques Chirac
Le déboulonnage de la statue du président avait commencé par le constat édifiant de l’impuissance de Chirac. Il avait promis la réduction de la fracture sociale. Il avait échoué en 1988 avec un discours tout autre inspiré du libéralisme anglo-saxon. Qu’importe, avec ce mode d’élection, c’est l’homme plus que les idées qui compte ! Pourtant en 1995, c’est un vorace du pouvoir qui devient PR, mais les Français ont finalement assisté au comble de l’impotence et de la tromperie. La tentative de réformes à marche forcée, avec Juppé droit dans ses bottes, fut engagée au lieu de réparer l’ascenseur social et recoudre les déchirures d’un tissu social abîmé. En 1997, avec la dissolution de l’assemblée, c’est le divorce pour tromperie entre Chirac et les Français. Il n’avait pas prévenu que des sacrifices seraient à faire. Il a voulu déréguler pour rendre la France plus compétitive et moins dépensière mais cela allait visiblement à l’encontre de la promesse de campagne.
A noter que le cas de Jacques Delors est significatif, en décembre 1994. Il était arrivé au constat, accablant pour nos institutions, qu’il ne pouvait pas l’emporter en disant la vérité, que son parti et la logique de la 5e République le pousseraient à parler faux. Il finira par renoncer à se présenter à la présidentielle.
En 2002, c’est le choc. Jospin n’a pas joué le jeu de la personnalisation à outrance, il n’a pas promis ce qu’il ne pensait pas pouvoir tenir, il passe alors à la trappe d’une élection présidentielle qui préfère ceux qui disent n’importe quoi !
III- La présidence de Nicolas Sarkozy : et tout ne devient pas possible ! Nicolas Sarkozy a introduit le « people » et le « bling bling » dans le fonctionnement de l’institution. Il aurait « trivialisé » l’exercice de sa fonction pendant sa présidence à force d’annonces vaines, de coups d’éclat transgressifs destinés à occuper l’espace du débat public plus qu’à réformer la société. Pourtant avec sa fougue et son autorité naturelle, il n’a pas inversé de courbes et n’a pas réformé comme il l’aurait voulu et annoncé. Il avait annoncé « la rupture » mais il n’y eut de rupture qu’une rupture de style. Il est facile et efficace de faire trois annonces par semaine mais aucun système démocratique et surtout pas le système français, n’est en mesure de fabriquer autant de lois dans un tel laps de temps. Sept lois sécuritaires en cinq ans ! Le président en annonçait une nouvelle alors que les décrets de la précédente n’étaient pas tous adoptés et que l’effet de la mise en œuvre de celle d’avant n’avait pas encore eu le temps d’être évalué ! D’où le sentiment d’impuissance, de lassitude. Le discours de Sarkozy agissait comme une essoreuse vide !
En 2012, le chômage augmentait toujours, les déficits aussi, et la fracture sociale détectée par Chirac s’approfondissait davantage. De plus Sarkozy subissait de plein fouet la « tyrannie de la cohérence ». Il fut mis en face de ses contradictions, les médias comparant ce qui avait été dit avec ce qui était fait (fact cheking). Par exemple la taxe carbone proposée par le premier ministre Fillon fut censurée par le conseil constitutionnel le 29 décembre 2010. Sarkozy abandonne alors la taxe. Les contradictions sont là. D’abord il avait dit que « l’instauration de la taxe carbone était aussi importante que l’abolition de la peine de mort ». Quelques mois plus tard, il disait « l’environnement, ça commence à bien faire ». Cette tyrannie de la cohérence a été en partie le poison mortel de Sarkozy en 2012. Pourtant il était énergique mais l’énergie inefficace ressemble à de l’agitation. Une statue ne s’agite pas !
IV- La présidence de François Hollande
Thomas Legrand a ressenti de la tristesse en regardant devant son écran télé François Hollande parler sous la pluie de l’île de Sein lors d’une commémoration, fin août 2014. Un président détrempé, perdu derrière des verres de lunettes embués. Hollande explique a posteriori avoir voulu être solidaire des anciens combattants détrempés qui l’écoutaient et bravaient le grain marin en tenant la hampe de leurs drapeaux. Pourquoi et comment faut-il qu’un homme nous représente à ce point pour que nous nous sentions mouillés quand il pleut sur lui ? Quelques semaines plus tard une autre pluie allait s’abattre sur Hollande, le livre de V. Trierweiler.
Jamais Yvonne de Gaulle aurait agi ainsi ! le Général était une statue pour les Français. Aujourd’hui nous voulons la statue ET l’homme, mais nous ne pouvons avoir les deux. Seuls les Américains ont eu le privilège d’avoir cet hydre à deux têtes avec John Fitzgerald Kennedy, homme et statue à la fois. Son assassinat en 1963 a détruit les deux. Toutefois, notre époque ne supporte plus la statue. Nous avons l’homme. En cette fin 2014, l’homme F. Hollande est mouillé, dégradé. Plus généralement, par son attitude personnelle, par les ambiguités politiques des deux premières années de son quinquennat, Hollande a nourri la machine à détruire les présidents. Il a suivi une politique qu’il n’avait pas cru devoir annoncer avant l’élection pour des raisons de courage et de tactique !
Arnaud Montebourg quitte le gouvernement en septembre 2014 car le désaccord avec Hollande est grand. Montebourg critique le PR sur sa soumission au diktat de Bruxelles et de Berlin. Mais ce départ fracassant est une aubaine pour les inspirateurs de Hollande dans le domaine économique et social à savoir E. Macron et JP. Jouyet. Pour eux la politique qu’il convient de mener doit être fondée sur l’offre et la baisse des charges pour que les entreprises françaises soient compétitives. Il a fallu deux ans à Hollande pour sortir de l’ambiguité dans laquelle il s’était vautré pour arriver au pouvoir ! Cela est dû aux ravages que provoque la période de délire collectif que représente la campagne présidentielle. Une période irrationnelle basée sur la communication à outrance, les grandes promesses, le rejet de l’autre candidat. Après l’élection, c’est le retour à la réalité, à la complexité du monde comme la redescente du drogué !
V- Epilogue : Chirac, Sarkozy, Hollande ont certes une responsabilité mais sans doute est-elle relative, les vrais responsables seraient l’époque avec internet, les réseaux sociaux, chaînes tout infos et le mode de désignation du président qui entraine de faux débats, des clivages factices et de l’infantilisation populiste. L’élection présidentielle avec ses étapes (congrès, primaires, traversées du désert, retours possibles etc) nourrit les instituts de sondages, illustre de nombreuses unes d’hebdomadaires, fournit tant d’histoires humaines, de légendes, trahisons, sagas indispensables à l’industrie de l’information politique. La personnalisation offre un roman quotidien de Rastignac sans vergogne ou de Don Quichotte pathétiques. Cela est plus facile, plus amusant, plus vendeur de commenter cette course effrénée pour le pouvoir que de se plonger dans le monde des idées et des théories économiques.
Aujourd’hui, nous assistons à des duels d’ego plus que des confrontations politiques. Une course pour accéder à la ligne de départ de la compétition suprême plutôt qu’un combat des oppositions de lignes politiques.
Le pouvoir réel est dilué dans la mondialisation, la financiarisation de l’économie et l’Europe (p68). La parole présidentielle ne suffit plus à changer la donne politique. (cf De Gaulle avait prononcé un énigmatique « je vous ai compris » pour que se débloque momentanément la crise algérienne en 1958).
Depuis 1995 la France ne s’est plus réformée, une forme de dépression nationale s’est installée. Toute une génération de Français n’a vécu qu’en crise ! D’où un discours décliniste ambiant.
L’auteur Thomas Legrand écrit un paragraphe prémonitoire « La France en gilet jaune sur le bord de la route » (p102), en indiquant que la société française semble irréformable. Hollande abandonne l’écotaxe (ou plutôt la ministre S. Royal), comme s’il était impossible de mettre en place une fiscalité écologique. En panne générale, attendant le dépanneur allemand qui estime que les Français n’ont qu’à pousser tout seuls leur véhicule…
Le vrai mal de la démocratie française est l’impuissance. (p114).
Que faire ? Xavier Bertrand candidat déclaré à la primaire de 2016 propose un retour au septennat pour un mandat unique (p115). Le PR pourrait réformer avec une poigne plus sûre débarrassé du poids des lobbies et des intérêts catégoriels.
Selon F Hollande, le mode de scrutin et le fait majoritaire est un défaut plus important que le mode d’élection du PR et la personnalisation du pouvoir. Hollande explique que l’absence de proportionnelle interdit toute coalition et casse la logique de compromis au profit d’une logique d’affrontement permanent. Il épargne la fonction de président et s’épargne lui-même (p124).
Faut-il supprimer le premier ministre ? Faut-il que le PR cesse de nommer le premier ministre et le gouvernement ?
Dans tous les cas, la campagne présidentielle, période d’illusion collective, doit cesser dans ces conditions actuelles !
Aux USA, pays fédéral et décentralisé, profondément libéral, la personnalisation du débat est réelle et l’image du président des Etats Unis revêt une importance considérable mais tout ne lui est pas imputé, à la différence du PR en France, pays centralisé et colbertiste.
Peut-être que la phrase d’Emil Cioran était juste : « les Français préfèrent un mensonge bien dit à une vérité mal formulée » (cf son ouvrage De la France, 1941).
CG
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