On note aussi la persistance, dans les arts, la littérature, la philosophie, la bande dessinée d’évidents courants païens, souvent inconscients. Car le Paganisme ne ressortit pas d’une dénomination, mais d’une attitude vitale spontanée, d’une vision du monde. John Boorman, Michel Maffesoli, et tant d’autres continuent une interminable lignée de Païens qui ne se définissent pas comme tels.
À mon avis, en dépit d’une évidente parenté des conceptions du monde, la grande différence entre le Paganisme hindou et celui des Païens d’Europe, c’est que le premier, n’ayant pas connu de discontinuité ni d’acculturation, est resté très proche des religiosités populaires de l’Antiquité européenne : on croit, réellement, au premier degré, à l’existence du panthéon divin. Il est impossible d’en revenir, en Europe, à cette posture.
Notre Paganisme européen est en bribes et en même temps souterrain. Comme par hasard, dans cet interrègne, prélude aux plus grands affrontements, le Paganisme resurgit pour combler le vide d’un Église officielle qui a capitulé. Aujourd’hui, en Europe, c’est à la naissance d’un néo-paganisme que nous devons nous attendre. Il est impossible d’en prévoir ou d’en décréter les formes.
• Quel peut être son avenir ?
L’Europe de 2020 sera un capharnaüm de croyances et de religions. Le Christianisme s’effondre, se décompose. La lutte se fera entre le Paganisme et l’Islam. Combat spirituel ou combat tout court ? On ne sait pas. Le Paganisme est le contraire même de l’esprit de sérieux et c’est en cela qu’il est le plus sérieux et le plus durable. La puissance, l’invincibilité du Paganisme (et la raison d’ailleurs pour laquelle c’est de lui que l’Islam a le plus peur — voir l’affaire des Versets sataniques), c’est qu’il épouse les forces vitales et donc qu’il est inextirpable, qu’il ne pourra jamais disparaître, à l’inverse des monothéismes, qui n’ont eux qu’un temps dans l’histoire, puisqu’ils sont fondés sur des théories dogmatiques nécessairement passagères. Il est cependant hautement improbable que l’Europe en revienne à des cultes païens en tant que tels, comme en Inde aujourd’hui ou dans l’Europe pré-chrétienne. Les actuels cultes druidiques, par exemple (Bretagne, Irlande, Angleterre, etc.), non seulement apparaissent ultra-minoritaires mais encore ont un caractère factice, folklorico-spiritualiste, mais non pas religieux et fidéistes au premier degré authentique. Je vois plutôt la situation suivante se mettre progressivement en place dans les vingt ans :
1) L’Islam devient la première religion pratiquée (causes démographiques et conversion des autochtones), ce qui constitue une catastrophe.
2) En dépit d’une aggravation prévisible de la situation socio-économique et d’une montée des périls (toujours propices à la religiosité monothéiste du Salut), l’Église catholique, engoncée dans sa ligne idéologique anti-sacrale et laïcisante, continuera de faire du syndicalisme et de la politique : son déclin se précipitera, comme sa marginalisation. Je ne crois nullement à une “réaction catholique massive” de retour au Catholicisme du XIXe siècle, comme le souhaite Jean-Paul II.
3) Je prévois une prolifération de sectes ou de “tribus” (selon l’expression maffesolienne) d’inspiration chrétienne, minoritaires mais prospères : traditionalistes, charismatiques, mystiques syncrétiques, etc. pas vraiment reconnues par le Vatican.
4) Il faut s’attendre à une expansion lente mais continue du Bouddhisme à l’occidentale, reflet déformé du bouddhisme asiatique originel.
5) Un recul sévère de l’athéisme ou de l’indifférence agnostique est à prévoir dans le siècle de fer qui s’annonce, d’où évidemment une attirance nouvelle pour des formes imprévues de Paganisme. La prolifération de ce que j’ai appelé les religions sauvages (sans aucune connotation péjorative), véritable capharnaüm du pire comme du plus intéressant, constitue pourtant un terreau sur lequel peut s’opérer une véritable régénération métamorphique du Paganisme européen. Ces “religions sauvages” existent déjà et ont un côté glauque, disons tâtonnant. Mais elles correspondent à un besoin ; celui de renouer avec une mémoire floue, semi-oubliée.
Je pense donc que nous allons voir surgir, au cours du XXIe siècle, des formes imprévues de Paganisme, qui s’apparenteront à une métamorphose des Dieux. Tout est possible, tout est envisageable dans ce chaos, d’où un ordre, un après-chaos, surgira nécessairement. Il faut se méfier, d’autre part, de tous ceux (qu’ils se disent Païens ou qu’ils appartiennent à des milieux catholiques intégristes) qui analysent — pour l’approuver ou pour le condamner — le délitement actuel des mœurs (Gay Pride, Love Parade, homophilie, anti-natalisme, féminisme, toxicomanie tolérée, pornophilie abrutissante, abolition des codes sociaux, dégénérescence artistique…) comme un retour du Paganisme. Le Paganisme est le contraire même du relâchement, de la déstructuration des énergies vitales observables dans l’Occident contemporain. Il s’avère tout au contraire comme la ritualisation et l’assomption des impératifs d’ordre vital. Ses principes cosmiques (du grec kosmein, mettre en ordre, parer, organiser) intègrent à la fois, dans une conjonction des contraires apparents, les forces dionysiaques de la sensualité et du principe de plaisir aux nécessités apolliniennes de maîtrise et d’ordre global. Tout ce qui nuit à la perpétuation saine de l’espèce et du peuple, à l’homogénéité organique de la Cité ou de l’État (au sens romain du mot) ne peut se prétendre “païen”. Un Païen ne sera jamais ni un puritain ni un obsédé sexuel (les deux étant d’ailleurs très proches…), ni un anarchiste ni un tyran (le second procédant du premier).
De même, le Paganisme ne doit se confondre ni avec le dogmatisme intolérant ni avec la tolérance absolue. Sous prétexte de “polythéisme social”, certains Païens superficiels applaudissent à la tribalisation de la société, au communautarisme, sans savoir que tous les auteurs païens de la Grèce antique — à commencer par Aristote avec son concept de philia, “amitié envers le proche” — ont toujours mis en garde contre l’idée de peuples hétérogènes, ces derniers étant le terreau de la violence et du despotisme. Ce sont au contraire les monothéismes qui défendent l’idée de mixité, afin de disposer de masses d’autant plus malléables qu’elles ne sont plus cimentées par des solidarités ethno-culturelles. Ces Païens de pacotille partagent avec les prélats post-conciliaires, l’approbation de l’accueil de l’islam comme un “enrichissement œcuménique” (sans comprendre la logique totalitaire — sans connotation péjorative — et monopolistique de la religion de Mahomet) ; et de même, ils pratiquent, au nom d’une vision abstraite et fausse d’un monde futur organisé en “réseaux”, prétendu “polythéiste”, sans peuples ni nations, une tolérance envers les “tribus” marginales et déviantes et, derechef, avec un cosmopolitisme débridé. Ce dernier est parfaitement étranger à la vision païenne de la Cité et s’apparente à une très ancienne conception judéo-chrétienne et paulinienne (bien plus qu’hébraïque) du pluriversum politique. N’oublions pas non plus que le Paganisme gréco-romain était placé sous l’autorité hiérarchique des grands Dieux tutélaires, qui fédéraient l’État ou la Cité, qui plaçaient l’ordre politique de la communauté du peuple, de l’ethnos, au dessus des licences individuelles ou des forces hétérogènes et centrifuges d’on ne sait quelles “communautés”.
Dans un autre registre, je me méfie d’un Paganisme purement négatif et réactif qui n’est qu’un anti-catholicisme passionnel. Tirer à boulets rouges sur le Catholicisme européen traditionnel est une perte de temps. J’ai moi-même écrit la préface d’un livre consacré au culte marial — et qui a gêné beaucoup de Catholiques — où je rappelle cette évidence que la Vierge Mère et son culte s’enracinent profondément dans la mentalité européenne pré-chrétienne et qu’un Païen doit les respecter. Car autrement, comment expliquer, à travers les siècles, l’immense succès populaire de la vénération pour Marie et pour les Saints ? D’ailleurs, les épiscopats actuels de l’Église post-conciliaire ne mettent-ils pas un sérieux bémol (ce qui explique en partie la désaffection pour leur “nouvelle Église”) sur ces cultes soupçonnés de “polythéisme” ? Concernant la différence entre le Paganisme d’aujourd’hui et le Christianisme, je suivrai la position du médiéviste P. Vial dans son récent ouvrage Une terre, un peuple, qui rappelle que le Paganisme n’est pas antichrétien, mais à la fois achrétien et postchrétien. Comme il le souligne, dans la lignée de Nietzsche, le point de rupture affectif entre la conception judéo-chrétienne du monde et la conception païenne, que j’ai personnellement toujours ressentie et qui fut une des causes majeures de mon choix du Paganisme, c’est que les Chrétiens préfèrent le martyr au héros, que leur dolorisme célèbre la vertu rédemptrice de la souffrance, qu’ils préfèrent le masochisme, la culpabilité, le repentir à l’esthétique de la vie et de la volonté de puissance, la morale du péché plutôt que l’éthique de l’honneur et de la honte.
À suivre
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