jeudi 28 septembre 2023

Entretien avec Robert Steuckers sur l'Europe, le néo-nationalisme, l'immigration, etc. 6/6

 

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Le danger pernicieux de l'intégrisme catholique

Le poids des équations personnelles de Le Pen nous semble trop lourd aussi pour que nous nous attardions, en tant qu'“Impériaux”, à examiner son discours. Son militarisme, sanctionné sans doute par des décorations dûment méritées, nous laisse toutefois sceptiques ; que peut comprendre un baroudeur, même sympathique, aux mécanismes subtils de l'économique et du social ? En outre, Le Pen a végété trop longtemps dans une marginalité sordide où grenouillaient de beaux contingents de fous furieux : les intégristes catholiques, ces maniaques aigris, rejetons de petits notables d'arrière-province qui ont raté leur entrée dans la modernité technologique, xénophobes qui haïssent d'abord le Protestant allemand ou anglais. Ces fossiles dangereux, parce que fanatiques, n'ont rien de “nationaliste”, puisque leur idéologie est universaliste, et sont prêt à lâcher contre les Protestants et les Orthodoxes d'Europe les indigènes de tous les continents pourvu qu'ils soient décrétés catholiques.

Le vote pied-noir, qui fournit à Le Pen de gros bataillons d'électeurs dans le Midi, est un vote trop passionnel et trop irréfléchi. L'anti-gaullisme sommaire de cet électorat empêche le FN de reprendre sereinement à son compte les bons projets de De Gaulle : sénat des régions et des professions, participation, planisme, autonomie militaire, etc.

Les 4 conditions que nous sommes en droit d'exiger de la France

En tant que ressortissants de nos régions, un nationalisme français n'est interlocuteur valable que s'il envisage les mesures suivantes (et le FN ne les envisage pas) :

• Retrait total, immédiat et inconditionnel de toutes les troupes françaises stationnées en Allemagne ;
• Renforcement de la marine française, afin de montrer que la France renonce à toute ingérence dans les affaires de l'Europe Centrale et s'apprête à défendre, pour le bénéfice de l'Europe Totale, la façade atlantique de notre continent ;
• Démantèlement complet, immédiat et inconditionnel des missiles Pluton braqués sur les Ardennes et le Palatinat (les suggestions dans ce sens, faites par le Président Mitterrand, sont encore trop floues et trop vagues et, de surcroît, ne semblent pas rencontrer l'approbation de Chirac et des militaires) ;
• Reconnaissance à toutes les régions françaises du droit d'entretenir des relations économiques et culturelles avec des régions extérieures à l'Hexagone et ce, en pleine autonomie et sans ingérence de Paris (le projet Faure sera-t-il un pas dans cette direction ?).

Le retrait des troupes françaises d'Allemagne n'a jusqu'ici été inscrit que dans le programme des Verts. Trois soldats français casernés en Baden-Wurtemberg ont été lourdement condamnés pour avoir distribué ce programme à leurs camarades. Nous demandons, dans l'optique d'une réconciliation franco-allemande, que ces soldats soient relâchés et totalement blanchis et que les officiers et les juges militaires qui les ont condamnés soient publiquement dénoncés et sanctionnés dans leur avancement. C'est là un minimum, si la France veut apparaître crédible dans ses projets de pôle franco-allemand en Europe. Nous nous alignons ici sur les suggestions du député vert de Berlin, Rolf Stolz (3).

Le démantèlement des missiles Pluton est un minimum également, si la France ne veut pas persister dans son déni de souveraineté à l'égard de la Belgique, du Luxembourg et de la RFA. L'autonomie des régions semble, quant à elle, progresser… À Paris, les spécialistes attitrés ès-questions allemandes, ainsi que l'ancien ministre des Affaires étrangères de Giscard, Jean François-Poncet (cf. Time n°36/1987), raisonnent comme si l'Allemagne était définitivement divisée et manifestent de l'inquiétude quand, au sein de l'opinion publique allemande, germent des projets de réunification sous statut de neutralité.

Les Français doivent cesser d'écouter ces représentants d'une bourgeoisie occidentaliste, pro-américaine, hypocritement adepte d'un nationalisme anti-germanique totalement éculé. Autrement plus pertinentes sont les paroles de l'ancien Ministre Michel Jobert (cf. Der Spiegel n°37/1987) ou du fils de Charles De Gaulle, Jean De Gaulle (cf. Die Welt, 1.12.86), pour lesquels l'Allemagne est à long terme indivisible et l'Europe idéale n'est pensable qu'avec une Allemagne Totale (Deutschland als Ganzes).  Ni Jobert ni Jean De Gaulle ne sont au Front National. Les formations au sein desquelles ils militent, les cénacles qu'ils président, les journaux auxquels ils collaborent doivent devenir nos interlocuteurs privilégiés et non un FN (Le Gallou excepté), dont la presse est pauvre, souillée par les élucubrations idiotes des intégristes catholiques, et qui n'a rien proposé de concret quant au démantèlement des missiles qui menacent Liège, Maastricht, Namur, Luxembourg et Trèves ou quant au retrait définitif des troupes d'occupation françaises.

Pour revenir au FN, nous pensons que s'il n'inscrit pas à son programme les 4 points, énoncés ci-dessus, aucun citoyen belge, luxembourgeois ou ouest-allemand n'a le droit de pactiser avec lui, ni de se poser en interlocuteur exclusif de Le Pen. Celui ou celle qui pratique une telle collaboration néglige des intérêts vitaux de nos peuples et ne peut nullement prétendre incarner un “idéal national”. Ce refus de tout alignement vaut aussi, bien sûr, pour les autres partis français (PS, RPR, UDF, PCF), à l'exception des “Verts” qui ont réclamé l'évacuation de l'Allemagne. Notre critique du FN ne participe pas donc de la logique médiatique dominante qui cherche à isoler complètement Le Pen, pour des raisons de jalousie politicienne, mais d'une analyse globale de la situation en Europe occidentale, d'où il ressort que nos intérêts propres, ceux de nos nationaux, celui de notre sol, et notre souveraineté la plus légitime, ne sauraient être sacrifiés, sous prétexte que tel ou tel aspect du programme de Le Pen nous apparaît sympathique.

Quelques conclusions sur le FN

Le Pen ne s'est jamais positionné non plus contre  la fiction d'une “communauté atlantique des valeurs”, alors que de larges strates du MSI italien l'ont fait, que les nationalismes allemands (NPD), britanniques (NF) et espagnols (Phalangistes républicains) sont hostiles à l'OTAN. Le FN se pose dès lors en marge de son propre vivier potentiel, celui de l'Europe des nationalistes, et se singularise par une orientation droitière particulièrement stérile.

Bien sûr, nous ne nions pas au FN son “utilité démocratique”. Sa lutte contre l'immigration, vaine s'il ne rejette pas le libéralisme, correspond à un souci bien ancré dans la population française de souche européenne, largement majoritaire. Ses propositions de lutte préventive contre le SIDA rejoignent nos préoccupations et notre souci de préserver la bonne santé de tous nos concitoyens. Son exigence de voir siéger réellement les parlementaires, lorsque se prennent des décisions importantes, est une excellente chose qui lui confère un label authentiquement démocratique, label que lui dénient les tenants fanatiques des idéologies dominantes et les funambules qui simplifient leurs discours sur les ondes et le petit écran. Indéniablement les sondages signalent une progression du FN, montrant qu'il sait se mettre au diapason des instincts du peuple. Nous admettons ces atouts du FN, même si, en tant que non Français, nous serons sans doute obliger de combattre durement, sur la scène internationale, un gouvernement partiellement ou majoritairement lepéniste, parce qu'il serait trop atlantiste et n'accepterait pas nos 4 propositions-clefs qui, pour nous, sont irrévocables.

Un populisme plus positif : celui des Scandinaves

L'hostilité populaire à l'immigration prend un visage nettement plus acceptable, moins tonitruant et plus serein, dans les pays scandinaves et, de ce fait, notre attention se focalise davantage sur les résultats obtenus pas les “progressistes” (4) danois et norvégiens, refusant la submersion de leur pays dans le melting-pot occidentalo-capitaliste.

En Scandinavie, les résultats des partis hostiles à cette pratique socio-économique moralement condamnable qu'est l'immigration mobilisent donc toute notre attention. Au Danemark, le Parti du Progrès de Glistrup et un parti social-révolutionnaire, dirigé par le syndicaliste Preben Møller-Hansen, ont renforcé leurs positions au Parlement parce qu'ils se sont insurgé contre l'afflux déraisonnable des réfugiés politiques. En Norvège, le Parti du Progrès de Carl I. Hagen est désormais le troisième parti du Royaume, avec un score national de 12,2% et un score urbain d'environ 20%. En Suède et en Hollande, l'hostilité populaire aux mesures autoritaires visant à installer d'office des réfugiés, sans consultation des habitants autochtones, croît sans cesse.

Ces mouvements rejettent les transferts de population sans perdre de vue la logique planiste qu'a véhiculé la social-démocratie sans y demeurer entièrement fidèle. Les mouvements de Glistrup, Møller-Hansen et Hagen nous sont beaucoup plus sympathiques, parce plus populistes, plus soucieux de faire fonctionner la société politique par referendum, moins cocardiers, non militaristes, pas du tout infectés par l'intégrisme catholique. Cette sagesse scandinave correspond davantage à notre mentalité et à notre tempérament que le style “FN”, avec ses arrogances, sa puérilité et sa vulgarité “gavroche”. C'est pourquoi leur évolution doit davantage nous préoccuper. Le modèle qu'ils préconisent est plus adaptable à notre populisme, à notre communalisme et à notre souci d'émettre notre avis par referendum.

• Monsieur Steuckers, je vous remercie pour cet entretien.

  Notes :

(1) Cf. Rik COOLSAET, De Veiligheid van België, De Belgische buitenlandse politiek en de internationale bewapeningsdynamiek,  Kluwer, Deurne/Antwerpen, 1983 et Buitenlandse zaken,  Kritak, Leuven, 1987. En français, on lira not. « La politique belge vis-à-vis de l'Est », in : La Revue Nouvelle n°12, déc. 1985. Ainsi que l'article qu'a consacré Guy Claes à cette problématique dans Vouloir n°23/24, nov.-déc. 1985.
(2) Jean Thiriart (né en 1922), a fondé le mouvement Jeune Europe dans les années 60 à Bruxelles. Ce mouvement avait pour symbole la croix celtique. Vers 1967-68, Thiriart, dans les colonnes de La Nation Européenne, organe théorique de son mouvement, préconisait un dialogue avec la Roumanie, à l'époque rebelle dans le camp socialiste. Au même moment, Harmel engageait des pourparlers directement avec Bucarest, sans tenir compte de l'avis des super-gros. Les Américains et leurs complices voyaient ce dialogue belgo-roumain d'un très mauvais œil et y percevaient l'amorce d'un rapprochement inter-européen capable de restaurer un espace européen autonome libéré de la tutelle des super-gros.
(3) Cf. Rolf STOLZ,  Ein anderes Deutschland, Grün-alternative Bewegung und neue Antworten auf die Deutsche Frage, éd. Ahrens im Verlag Clemens Zerling, Berlin, 1985.
(4) Signalons ici que l'étiquette “progressiste” en Scandinavie ne correspond pas du tout à l'étiquette “progressiste” en usage dans notre pays. En un sens, le terme “progressisme”, en Scandinavie, recouvre une démarche moderne, bien en prise avec les réalités de notre temps, tandis que le “progressisme” de la bourgeoisie de gauche, qui se pique de penser, n'est, en notre malheureux pays, que le déguisement d'un moralisme hyper-réactionnaire, porté par les castes oisives, n'exerçant plus aucune responsabilité sociale.

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