jeudi 28 septembre 2023

Entretien avec Robert Steuckers sur l'Europe, le néo-nationalisme, l'immigration, etc. 5/6

 

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La révolution islamique est dangereuse uniquement parce qu'elle pourrait susciter des désordres dans nos villes. Elle ne risque pas de subvertir l'Europe qui, de toute façon, reste, face à l'Iran, maîtresse des technologies militaires. Que l'Iran soit en guerre avec les États-Unis, c'est un fait qui ne doit pas nous troubler outre mesure. Notre position est évidemment aux antipodes de celle du cirque de la cohabitation Chirac-Mitterand. Les rodomontades militaires de la France, nous les condamnons sans réserves, d'autant plus qu'elles sont pure hypocrisie au regard des trafics d'armes que concoctaient de grosses légumes mitterandistes ou chiraquiennes.

Notre position est proche de celle des Allemands qui ont refusé d'envoyer le moindre bateau dans le Golfe et accueillaient, fanfares de la Bundeswehr à l'honneur, le Premier Ministre iranien au moment même où la flotte de Mitterand appareillait pour aller commettre ses pitreries grand-guignolesques. Quant à l'envoi des 3 navires belges, c'est bien sûr du “bidon” : le gouvernement répond à un chantage américain. C'est clair vu le peu de zèle que montre cette unité navale dans la mission que Washington lui a assignée. C'est limpide quand le Ministre iranien en visite à Bruxelles évoque avec humour, en même temps que son collègue belge, le départ de cette mini-flotte et insiste sur les relations commerciales relativement bonnes entre nos 2 pays. Notre position est donc neutre comme celles de la RFA et de la Suède ; elle ressemble à celles du SP et de la Volksunie, à ceci près qu'elle est plus directe et s'encombre moins de circonlocutions moralisantes.

• 6. Que pensez-vous du succès de mouvements “nationalistes” du type “Front National” en France qui semble lié à la montée de l'intégrisme chiite ?

Parlons d'abord du lien entre chiisme et renouveau nationaliste en France. Ces 2 phénomènes, malgré leurs différences, ont tout de même un point commun : ils déploient un discours qui ne fait pas directement référence aux idéologies dominantes. Le premier renoue avec des traditions religieuses et théocratiques ; le second remet à l'avant-plan certains idéologèmes du nationalisme français, disparus depuis 1945. Chiisme et nationalisme français sont en ce sens “post-modernes”, si l'on entend par “modernité” l'adhésion aux idéologies laïques et/ou universalistes que sont le libéralisme et le marxisme. Les 2 phénomènes vont donc au-delà des conformismes imposés par ces idéologies dominantes. Ils transgressent des tabous et des habitudes, ils bouleversent des certitudes.

En France, règne un tout autre monde politique

Pour être plus précis, jugeons le phénomène Le Pen d'un point de vue régional et européen. En effet, le Front National français (FN) ne nous concerne pas directement, d'abord parce que nous sommes Wallons ou Flamands et que nous sommes rivés à une terre qui fut d'Empire, enracinement qui nous a légué, entre autres choses, une structuration particulière de nos sociétés, not. la division en 3, 4 ou 5 strates idéologiques majeures (la conservatrice/démocrate-chrétienne, la libérale, la socialiste marxisante — avec son appendice communiste — la nationaliste et, désormais, l'écologiste). L'Allemagne (RFA et RDA), l'Autriche, l'Italie et la Belgique partagent ces divisions en 3 ou 4 piliers, comprenant non seulement des partis (CDU/CSU, CDU, ÖVP, DC, PSC/CVP + SPD, SED, ÖSP, PCI/PSI, PS/SP, etc.) mais aussi des lobbies socio-caritatifs (mutuelles, caisses diverses, associations culturelles, etc.).

Chaque pays connaît des variantes : ainsi, en Autriche, les libéraux ont absorbé les nationalistes ; en Italie, le PCI joue le rôle que joue la SPD en Allemagne et les nationalistes sont divisés, en Belgique, par les clivages linguistiques. Le canevas global reste toutefois le même. En Espagne, la structuration est assez analogue, à cause du passé habsbourgeois commun. La France, les Pays-Bas et l'Angleterre ne connaissent pas cette structuration en piliers que les Flamands nomment “verzuiling”. La verzuiling est, notons-le au passage, grande gaspilleuse de deniers publics, surtout dans les cas italien et belge. La fiscalité hyper-lourde de l'État belge est due largement à la multiplication des réseaux socio-caritatifs dérivés de la structuration en partis de notre société.

Dans une société comme la nôtre, si marquée par cette verzuiling, aucun groupement politique français ne peut correspondre pleinement à une formation belge. Le RPR, par ex., ne pouvait, sans trahir sa spécificité gaullienne-républicaine, ni rejoindre le PPE qui rassemblait les partis confessionnels à majorité catholique ni l'ensemble constitué par les libéraux belges, allemands et italiens au sein des regroupements parlementaires de Strasbourg. Le contexte français est trop différent du contexte “impérial” (souvenir de Charles-Quint). Le nationalisme français est par essence étatiste, malgré la définition maurrassienne du “pays réel”, tandis que les nôtres privilégient le peuple, en tant que matrice d'une identité unique, par rapport à la machine étatique. C'est bien clair chez les Flamands et les Allemands. C'est tout aussi clair quand on lit le Wallon José Streel, que redécouvre le Centre d'études de la seconde guerre mondiale, inféodé aux Ministères de l'Éducation nationale.

Le nationalisme français n'est pas populiste

Notre nationalisme populiste, plus charnel que celui des Français, nous interdit de définir comme “nationalisme” le conglomérat d'idées autoritaires, militaristes et cocardières qui caractérisent la formation de Jean-Marie Le Pen. L'émergence d'un nationalisme musclé outre-Quiévrain est plutôt inquiétant. Notre pays a subi trop d'invasions françaises au cours de son histoire, trop d'entorses profondes à son identité, pour que nous puissions l'accepter. Par ailleurs, comme le note le Général autrichien Jordis von Lohausen, les Français ont inventé un système juridique d'acquisition de la nationalité qui fait que n'importe quel individu peut, par un acte de volonté, se déclarer “français” et le devenir de fait.

L'acquisition de la nationalité, en France, est analogue, ajoute Lohausen, à l'entrée en Islam des fidèles de Mohamet. Point besoin d'avoir des racines dans l'Hexagone pour devenir français. Le Polynésien ou l'Amazonien, le Kalmouk ou le Yéménite seront d'emblée considérés comme “Français” s'ils en expriment le souhait, tandis que le Tournaisien sera considéré comme un étranger et rudement traîté comme tel (pas le droit d'ouvrir un compte en banque, pas le droit de changer de l'argent à son gré, etc.). Certes les discussions lancées par le FN et le Club de l'Horloge quant à la révision du code de nationalité cherchent à remédier à ce scandale, à cette attitude foncièrement anti-populaire et anti-européenne. Mais le mal est fait, le facteur “racines” n'a plus été pris en compte depuis 200 ans…

Les idées de Jean-Yves Le Gallou

Jean-Yves Le Gallou, tête pensante du Club de l'Horloge, caucus élaborant programmes et projets pour la droite du RPR et les non-folkloriques du FN, vient d'écrire plusieurs livres et memoranda pour dénoncer cette aberration hexagonale et a plaidé pour une réévaluation d'un principe de droit fondamental, vieil-européen, légué par la Grèce et la Rome antiques : le principe du jus sanguinis, instauré par le Code Napoléon. Le principe du jus sanguinis est celui du “droit du sang”, qui confère la nationalité à celui qui la détient de ses ancêtres. La nationalité est un privilège accordé par lignée. C'est un principe de droit, inscrit dans nos codes constitutionnels, issus des idéaux de la Révolution Française et du Romantisme allemand, que Le Gallou entend conserver et remettre à l'honneur et nous sommes entièrement d'accord avec lui. Député du FN, Le Gallou pourra-t-il faire valoir ses idées ? Pourront-elles s'imposer à une société où un appréciable pourcentage de citoyens ont reçu la citoyenneté au nom de principes foncièrement différents de celui du jus sanguinis ?  Et ce au mépris de la loi et de la tradition.

Dans le cadre belge, nous entendons défendre le jus sanguinis contre ceux qui veulent faciliter l'intégration d'immigrés de fraîche date ou de réfugiés au statut douteux par la distribution de cartes d'identité nationale, en dépit de l'esprit de notre loi. Cette praxis est en dernière analyse illégale et nous constatons que libéraux comme marxistes violent allègrement le sens profond de la constitution démocratique. Adeptes de théories mécanicistes, déracinées, incapables de tenir compte des facteurs de cohésion ethnique et d'encracinement, libéraux et marxistes, refusant de reconnaître l'esprit de nos lois (Montesquieu !), pensent en termes de jus soli,  de “droit du sol” ; selon ce principe, aboli en même temps que l'Ancien Régime en 1789, on possède la nationalité du lieu où l'on naît et/ou l'on vit.

Ce principe est dérivé de la féodalité : le serf appartient comme un objet au seigneur s'il vit sur ses terres comme le citoyen appartient à l'État s'il vit sur le territoire où cet État exerce sa souveraineté. La jus soli est donc un droit issu d'un statut de non-liberté ; par rapport au jus sanguinis, il est archaïque et ne permet pas à l'individu de s'affirmer pour ce qu'il est somatiquement, pour ce qu'il est au plus intime de lui-même. Le jus sanguinis est une garantie de paix civile et de gouvernabilité, car il permet d'avoir des citoyens liés par une homogénéité somatique et culturelle. Le rejeter relève de l'irresponsabilité. Pour nous, soit dit en passant, la Révolution Française a permis l'avènement de principes valables comme celui du jus sanguinis mais, simultanément, d'idées abstraites, anti-communautaires (l'interdiction de fonder des associations professionnelles et syndicales), qui annullent l'effet bénéfique de la citoyenneté par lignage de tous les citoyens et inaugurent une ère de fictionnisme libéral.

Ensuite, le programme économique du FN est libéral, afin de satisfaire une clientèle droitière. Ce programme est en contradiction flagrante avec notre propre définition du nationalisme. L'organisation économique préconisée par nos nationalismes implique une redistribution et un planisme rigoureux. L'absence de la dimension planiste dans le programme du FN réduit le nationalisme français actuel à un pur discours. Jamais, dans l'état présent des choses, le FN ne pourra imposer une économie réellement nationale. Les modèles de Le Pen sont étrangers, ce sont Thatcher et Reagan ; jamais il n'a envisagé de se référer à l'école française de l'économie semi-autarcique, auto-centrée et dirigée (planifiée), incarnée par une célébrité internationale comme François Perroux. Cette carence rédhibitoire de son message montre, à qui peut l'apercevoir, que jamais il ne pourra réaliser sa promesse électorale majeure, c'est-à-dire mettre fin au processus économique de l'immigration, fruit des idées libérales pernicieuses, qu'il adule à travers les personnalités de Reagan et de Thatcher.

À suivre

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