mardi 19 septembre 2023

Entretien avec Robert Steuckers sur l'Europe, le néo-nationalisme, l'immigration, etc. 2/6

 

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En Allemagne, c'est la revue de droite conservatrice Mut, dirigée par Bernhard Wintzek, qui exhorte les patriotes allemands d'aujourd'hui à relire Harmel. L'ex-Général de la Bundeswehr, Kiessling — chassé de l'état-major du SHAPE de Casteau parce qu'il estimait que les officiers allemands devaient être traîtés comme des pairs et non comme des valets par leurs collègues américains — est le plus assidu des néo-harmeliens allemands. Les idéaux du socialiste Coolsaet, auteur de 2 livres néo-harméliens et anti-spaakistes (1), et ceux des conservateurs Kiessling et Wintzek se conjuguent étrangement. En tant que “libre-exaministes”, nous constatons avec joie que le clivage gauche-droite, dans une question aussi essentielle pour l'Europe, s'estompe et disparaît. Libre à vous, nationaux-révolutionnaires d'inspiration thiriartiste (2), de participer à l'offensive et de réclamer, dans vos programmes, la restauration de l'esprit harmelien ; peut-être serez-vous plus à même, à long terme, de réaliser cet idéal que les partis socialistes où se côtoient, pour participer allègrement aux fromages, spaakistes hollywoodiens et neutralistes pétris d'idées valables mais sans cœur au ventre.

Un fait patent : la guerre économique entre les USA et la CEE

L'Europe est en marche dans le domaine des industries de pointe. Nous dirions même qu'elle y est en guerre. Une guerre âpre que lui mènent les États-Unis. Les média, animés par des journalistes libéralo-droitiers pro-américains ou “gauchistes” de salon à l'anti-américanisme inconséquent, ne sont guère bavards quand il s'agit d'expliquer les mécanismes de la guerre économique que se livrent Européens et Américains depuis au moins 3 décennies. Or, les États-Unis, forts de leur victoire de 1945 et de leur dollar intronisé monnaie universelle, cherchent à s'assurer tous les marchés et à asseoir leur monopole dans tous les domaines de l'économie et de l'industrie.

La CEE et les USA s'affrontent périodiquement pour les denrées alimentaires, l'aéronautique, la sidérurgie, l'industrie informatique et les bio-technologies. Dans cette lutte, les États-Unis partent avec une substantielle longueur d'avance : celle que leur donne l'immensité impressionnante de leur marché intérieur de 240 millions de consommateurs. Dans un tel espace protégé selon les règles rigoureuses de l'autarcie économique, il est possible de lancer des produits nouveaux et de les rentabiliser à très brève échéance. L'Europe est handicapée par ses États-Nations avec leurs micro-nationalismes, par des divisions anciennes incrustées dans nos corps sociaux depuis les guerres de religion, par un personnel politique surnuméraire et inefficace.

Ceux qui se sentent une âme de rénovateur, ceux qui veulent généreusement s'investir pour le salut de notre continent et combattre dans ce sens par le verbe et la plume doivent ipso facto prendre acte des faits qui ponctuent cette lutte vieille de 3 décennies. En constatant ces faits de guerre économique, ils doivent moduler leur programme et leur action de façon à s'annexer les forces sociales qui contribuent à donner à l'Europe un maximum d'autarcie, d'autonomie et d'indépendance. Une action politique pour l'Europe ne saurait se contenter d'un enthousiasme purement sentimental, s'alimenter de nostalgies diverses, se replier dans une petite sphère de convaincus mais doit impérativement être offensive et imbriquée dans le tissu concret de nos sociétés. Un “néo-européiste”, c'est un homme ou une femme qui va de l'avant et qui sait, par expérience, que l'Europe doit se donner les outils technologiques qui lui conféreront la puissance.

Créer des pôles européens dans les technologies de pointe

Les Européens doivent parier pour les regroupements inter-européens des industries informatiques et bio-technologiques. Plusieurs fois, nous avons déjà raté le coche : Dassault, la firme d'aéronautique française, n'a pas conçu d'avion en commun avec SAAB, le constructeur suédois ; moralité : l'un et l'autre ont perdu l'occasion de franchir une nouvelle étape dans le développement de l'avionique. Pendant ce temps, grâce à la vente de leurs F-16 aux pays européens de l'OTAN, les Américains ont pu accéder à une nouvelle dimension de l'aéronautique et construire des avions plus performants. Dassault et SAAB ont perdu d'office leurs marchés potentiels.

Faits positifs : dans le réseau informatisé de la Kredietbank, c'est du matériel allemand (Nixdorf) et suédois (Ericsson) qui est employé ; la fusion DAF-Volvo, avec implantation d'une usine en Flandre, contribue à créer un pôle européen du poid lourd, soutenu par l'inébranlable volonté néerlandaise de n'équiper l'armée des Pays-Bas que de charroi en provenance de ces usines. Le projet d'un hélicoptère ultra-moderne franco-allemand serait en passe de se concrétiser. Airbus est une création européenne très concurrentielle, qui doit faire face à l'offensive de géants américains comme Boeing. Le tandem franco-suédois Matra-Ericsson en télécommunications constitue également une victoire grande-européenne contre le condominium nippo-américain.

Sur le plan social, ces regroupements favorisent le travail européen, à condition que les pouvoirs publics, jusqu'ici incarnés dans les pires zombies politiciens que l'histoire européenne ait jamais connus, promettent solennellement d'équiper toutes les entreprises d'État et les ministères de matériels en provenance de ces usines. Le taux de chômage diminuerait considérablement, grâce à la création d'emplois valorisants au sein d'entreprises pleines d'avenir.

Cette double révolution est politique  grâce aux impulsions venues d'en haut et sociale  grâce aux mutations qualitatives que ces impulsions protectionnistes et volontaristes ne manqueront pas de susciter en même temps que l'émergence d'une solidarité globale de toutes les strates sociales. Cette double révolution, ni le libéralisme, qui sanctifie les profits à court terme et les sales petits égoïsmes bourgeois, ni la gauche, qui n'émet que des revendications sans suite par pure démagogie, ne sont capables de la mener à bien pour le profit de nos populations.

Briser les conformismes

C'est donc par le soutien constant aux initiatives industrielles purement européennes et par une volonté de détruire à jamais toute influence américaine sur notre continent, c'est par une reprise de la volonté d'indépendance de Harmel, qu'avaient court-circuitée les socialo-spaakistes et les libéraux américanolâtres, que nous recouvrerons, sans doute après une longue marche, notre pleine indépendance. D'autres traditions, ailleurs en Europe, contribueront au même résultat : la recherche gaullienne d'une troisième voie, l'indépendantisme de Papandreou, la volonté suédoise de non-alignement, l'inébranlable neutralité suisse, la structure d'auto-défense autonome de la Yougoslavie, les projets innombrables et sans cesse torpillés des nationaux-neutralistes allemands.

Toutes ces traditions sont bien présentes partout en Europe : il faut les harmoniser, les ranger sous un dénominateur commun, rassembler leurs volontés en un redoutable faisceau. Puissent les “néo-européistes” y travailler, sans a priori idéologiques, sans se soucier de la dichotomie gauche/ droite, sans se laisser intimider par les vieillards gâteux qui croient encore aux vieilles idéologies, aux âneries chrétiennes, aux aberrations libérales ou à la religion pseudo-socialiste qu'est la sociale-médiocratie à coloration marxiste.  L'essentiel, c'est de ne pas substituer à ces blocages mortifères d'autres blocages mortifères et d'aborder les problèmes de l'heure avec un enthousiasme juvénile, avec une joie iconoclaste à l'égard des vieux tabous.

• 3. L'Europe occidentale qui se bâtit à travers le Marché Commun vous semble-t-elle capable de retrouver le rôle politique et culturel qui fut le sien ? Que pensez-vous à cet égard, des candidatures de la Turquie et du Maroc ?

Même si au sein des commissions européennes, il ne règne pas  d'harmonie idéologico-politique quant à la définition d'un protectionnisme inter-européen élargi, englobant la Suède, la Norvège, l'Autriche et les pays de l'Est, les faits sont têtus et forceront, à long terme, les Européens à faire front face à l'ennemi américain, à accorder leurs violons et à ne plus obéir aux ordres de Washington. L'échéance 1992 apportera la naissance d'un grand marché intérieur, plus important que le marché intérieur américain. Puisse alors ce marché ne pas s'ouvrir aux produits américains et fonctionner selon les règles que les Américains appliquent chez eux, c'est-à-dire les règles du protectionnisme le plus rigoureux.

Nécessité protectionniste et américanophilie des “cultureux”

Ce protectionnisme semble tellement évident qu'on se demande pourquoi les hauts commissaires européens ne l'appliquent pas. C'est simple : les Européens exportent plus vers l'Amérique que les Américains n'exportent vers l'Europe. De là, le déficit commercial spectaculaire des États-Unis (entre autres raisons). Un pays comme l'Allemagne fédérale exporte 10% de ses produits vers les USA ; il en va de même pour presque tous les autres pays européens. Dans une logique de stabilisation politico-sociale, telle celle que suivent les régimes en place, on ne peut pas renoncer du jour au lendemain à ces 10% car cela entraînerait trop de distorsions sociales. Willy De Clercq, qui appartenait à une formation politique belge spécialisée dans les courbettes à l'égard de Washington, a quelque peu révisé ses certitudes, depuis qu'il est devenu commissaire européen et qu'il est jeté dans les batailles du blé, des spaghetti, de la sidérurgie ou de l'Airbus.

Lors d'une interview à la radio belge, il disait que l'Europe ne pouvait se permettre une riposte offensive tranchée dans cette guerre parce qu'une perte soudaine de 10% du potentiel d'exportation créerait trop de nouvelles distorsions sociales dans nos pays, où le taux de chômage est très élevé. On se rendait bien compte que De Clercq, revenu de l'image idéalisée que les libéraux, avec une candeur infantile, donnent de l'Amérique, souhaitait une réponse musclée mais devinait intuitivement, vaguement, que les services secrets américains pouvaient exploiter les désordres sociaux au profit du Pentagone, par ex. en stipendiant des “socialistes” démagogues, de nouveaux Spaak, qui auraient enrayé, partout en Europe, la volonté d'indépendance. La gauche spaakiste, doublée et “culturée” aujourd'hui par l'américanophilie mondialiste des Glucksmann, Sorman, Lévy, Montand, Scarpetta, Konopnicki, etc., détient des postes-clef dans les média et c'est elle qui sert l'Amérique, davantage que les chefaillons droitiers ou les badernes démocrates-chrétiennes.

Une solution à cette situation compliquée, serait d'accorder des incitants fiscaux importants pour les firmes d'Europe qui achèteraient des matériels européens de haute technologie. Mais la logique partitocratique du Parlement de Strasbourg et des parlements nationaux de chaque pays européen empêche d'adopter une politique harmonisée dans ce domaine. Outre les incitants fiscaux, il serait souhaitable que les gouvernements imitent le modèle protectionniste américain et achètent exclusivement des produits européens pour les bureaux, ministères et institutions qu'ils contrôlent.

À suivre

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