Et si s’intéresser à un conflit passé pouvait nous aider à mieux comprendre un conflit présent ? C’est l’avis de Camille Galic dans le texte ci-dessous.
Polémia
Le 23 juillet dernier en Espagne, le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez provoquait des législatives anticipées dans l’espoir de rebondir après un scrutin régional désastreux pour son parti mais perdait son pari : le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) était en effet devancé par le Parti Populaire (PP), lequel n’avait toutefois pas obtenu la majorité absolue espérée avec son allié Vox, réputé par les médias d’ultra droite et auquel des sondages sans doute truqués promettaient un score mirifique, ce qui a effrayé beaucoup d’électeurs. Toujours en fonction car la situation ne s’est toujours pas décantée, Pedro Sanchez a pris sa revanche le 17 août avec l’élection de sa candidate, la socialiste Francina Armengol, à la présidence du Congrès des députés grâce aux voix des sept députés de Junts per Catalunya (JxCat, Ensemble pour la Catalogne), parti représentant le courant le plus dur du nationalisme catalan et dirigé de Bruxelles où il vit exilé depuis 2017, après l’échec d’une tentative de sécession de la Catalogne, par le leader indépendantiste Carles Puigdemont.
Le 22 août, le roi Felipe VI a désigné le chef de la droite Alberto Nuñez Feijoo pour tenter d’être investi Premier ministre mais l’accord ayant permis l’élection d’Armengol comme patronne du Congrès risque fort d’être reconduit, permettant ainsi le maintien de Sanchez à la tête du gouvernement de Madrid. En échange de quelles concessions funestes pour l’avenir de l’Espagne « une, grande, libre » ? Et, pour nos voisins, car l’histoire repasse souvent les plats, même s’il lui arrive selon Céline de bégayer, ne risque-t-il pas de déboucher sur une réédition des heures les plus sombres de leur passé pourtant mouvementé quand s’installa la IIème République espagnole, déjà au mépris du verdict des urnes, et que le pouvoir échut en 1936 au Frente Popular ?
José Antonio et Robert Brasillach, une communauté de destins
Sous l’égide des « Sept Couleurs » (1), la maison d’édition fondée en 1948 par Maurice Bardèche, la vénérable mais plus que jamais dynamique Association des Amis de Robert Brasillach vient de rééditer Histoire de la guerre d’Espagne (2), livre passionnant et plein d’enseignements cosigné par Robert Brasillach (qui en écrivit la majeure partie) et son beau-frère Bardèche et publié en juillet 1939, alors que le conflit s’était achevé le 31 avril 39 sur la défaite des Rouges. Une prouesse éditoriale.
Certes, les deux hommes connaissaient bien l’Espagne pour y avoir fait de nombreux voyages avec leur camarade Pierre-Antoine Cousteau, mais on reste pantois devant la somme de travail — rédaction et surtout recherches dans toutes les sources d’information disponibles — accomplie alors que Brasillach était en outre très pris par ses fonctions de rédacteur en chef de l’hebdomadaire Je suis partout. Un travail de grand universitaire, servi par le talent de l’écrivain. Mais il est vrai, comme le souligne Cécile Degas dans sa remarquable préface, que « parmi tous les pays européens où le fascisme l’a emporté dans l’entre-deux-guerres, l’Espagne a été le seul, en tout temps, cher à Robert Brasillach » qui avait traduit en français le Cara al sol, hymne dû au fondateur de la Phalange, l’aristocratique mais très social José Antonio Primo de Rivera (fils du général Miguel Primo de Rivera, chef du gouvernement et président de Directoire sous le règne d’Alphonse XIII), dont il pressentait « avoir le même destin ». Ce qui était hélas bien vu : l’Espagnol finit fusillé par ses compatriotes le 20 novembre 1936, à l’âge de 33 ans (ses restes reposèrent longtemps dans la basilique Sainte-Croix de la Valle de los Caidos avant d’en être chassés en avril dernier par le gouvernement socialiste qui ne supportait plus le culte que lui rendaient ses fidèles), et le Français le 6 février 1945, à l’âge de 34 ans.
Les ravages de la propagande
L’exécution de José Antonio fut suivie de bien d’autres dans la sanglante et interminable guerre civile espagnole, l’une des plus atroces qu’ait connue l’Europe contemporaine car l’enjeu idéologique était capital : l’extension (qui avait échoué en Allemagne grâce aux Corps-Francs) de la révolution bolchevique qui mobilisa dans tout l’Occident, Etats-Unis compris, ses « compagnons de route » avoués ou non. Ainsi furent innombrables les livraisons dans les ports catalans d’armes camouflées, précise Brasillach, en « vivres pour les orphelins », et même d’avions, notamment français, par le gouvernement de Front populaire de Léon Blum, le ministre de l’Air qui organisa ces transferts clandestins étant alors le communisant Pierre Cot — dont le chef de cabinet était Jean Moulin. Ces appareils devaient cruellement nous manquer quand la France déclara la guerre à l’Allemagne.
Dans un article récent, Johan Hardoy nous parlait ici de l’Austro-Judéo-Américain Edward Bernays qui, après avoir, à la demande du président Wilson, œuvré en 1917 pour rendre populaire l’entrée en guerre des États-Unis puis, stipendié de Philip Morris et autres mammouths de l’herbe à Nicot, à la généralisation du tabagisme féminin, publia en 1928 son ouvrage majeur, Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie où il insiste sur le rôle de la radio, de la presse écrite et du cinéma naissant pour « uniformiser les pensées et les habitudes » de toute nation.
La guerre d’Espagne fut à cet égard un inestimable terrain d’expérimentation, les nationalistes étant presque unanimement présentés comme les féroces molosses de la Réaction politico-cléricale contre les aspirations légitimes du peuple, et la gauche — socialiste, trotskiste ou stalinienne — comme les paladins du Progrès et du Bien. Non seulement quand elle faisait massacrer les prêtres jugés irrécupérables (les chiffres fournis dans le livre sont effarants) et livrait les religieuses à ses soudards, mais aussi quand elle persécutait, affamait systématiquement et même bombardait les populations rétives.
Ces bombardements, dont Brasillach qui fustige « l’extraordinaire déchainement de fausses nouvelles » visant à diaboliser les uns et à angéliser les autres, donne plusieurs exemples précis, étaient souvent passés sous silence par la presse étrangère, intarissable en revanche sur celui de Guernica (128 morts le 26 avril 1937) érigé en crime contre l’humanité qu’illustre la monumentale et si fameuse toile de Pablo Picasso, d’ailleurs bidonnée : pressé par le gouvernement républicain de donner « une représentation dramatique » du bombardement pour le pavillon espagnol de l’exposition universelle de Paris organisée quelques mois plus tard, l’Andalou fit quelques retouches (les flammes causées par les bombes furent ainsi ajoutées, ainsi que d’autres éléments actualisant le triptyque) à ce qui n’avait été qu’une ébauche sans lien aucun avec l’événement.
Les auteurs de l’Histoire de la guerre d’Espagne voient dans ce conflit le combat entre « le fascisme et l’antifascisme » (le premier est mort depuis 1945 sauf à le faire désormais incarner par l’ancien kagébiste Poutine alors que le second, même faute d’adversaires, se porte toujours très bien) mais on est frappé, à lire leur description si détaillée et si documentée des combats, par l’équanimité avec laquelle ces deux hommes engagés traitent les antagonistes. Ils n’hésitent pas à saluer le courage des communistes ou des anarchistes du POUM lors de certains combats ou à critiquer des choix et initiatives malvenus de la Droite, ou ses querelles internes. Longtemps décrié comme outrageusement partisan, leur travail mérite d’être salué pour son sérieux et son objectivité. Des historiens actuels tels Arnaud Imatz, le Madrilène Ricardo de La Cierva, le Galicien Luis Pío Moa Rodríguez et bien d’autres tels Bartolomeo Benassar et l’ancien avocat Michel Festivi auquel on doit Les trahisons des gauches espagnoles et L’Espagne ensanglantée (éd. Dualpha), arrivent du reste aux mêmes conclusions.
« Confrontations par procuration, débats sur la nécessité d’intervenir (ouvertement ou non), prises de position polémiques des intellectuels, “brigades internationale”, populations civiles bombardées, propagandes et multiplication des fausses nouvelles… » Pour l’Europe, les parallèles sont frappants avec la guerre d’Ukraine sévissant depuis 2014. Aussi cette Histoire de la guerre d’Espagne devrait-elle figurer dans la bibliothèque de tous les amoureux tout à la fois de Clio et de l’Espagne, d’autant que c’est aussi un superbe objet : à un index et à un appareil de notes très complet s’ajoute l’iconographie exceptionnelle (plus de 300 photos) réunie par David Gattegno. Connaitre le passé pour mieux comprendre et affronter le présent n’est-il pas indispensable dans les temps ô combien agités et incertains que nous vivons ?
Camille Galic 23/08/2023
(1) Titre du roman publié par Brasillach en 1939 et qui fut sélectionné pour le prix Goncourt (finalement attribué à Philippe Hériat pour Les Enfants gâtés.
(2) 560 pages, 35 € ou 43 € port compris. A commander à A.R.B. (ou M. Delcroix), Boite postale 19, F-60240 Chaumont-en-Vexin. Courriel : arbfrance@orange.fr
https://www.polemia.com/une-histoire-de-la-guerre-despagne-pour-mieux-comprendre-la-guerre-dukraine/
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