Depuis 1944 et les Accords de Bretton Woods, les rapports de force internationaux reposent moins sur les arsenaux militaires, qui font hélas toujours beaucoup de morts, que sur l'hégémonie du dollar dit "américain", une monnaie privée qui s'appuie sur la logistique militaire des États-Unis et l'organisation du FMI pour dominer les échanges commerciaux (et donc les économies de la plupart des pays du monde) au profit de banquiers, en endettant les États, y compris la population de la fédération US qu'ils contrôlent.
En fait, la banque centrale des États-Unis (la « Fed », diminutif pour Federal Reserve) n'est rien d'autre qu'un consortium de banques privées, et ce n'est pas le gouvernement de Washington qui émet les billets verts.
La rupture a eu lieu en 1913, avec la création du système fédéral de réserve des États-Unis qui a couronné les efforts d'établissements bancaires sous la coupe de l’empire Rotschild pour prendre le contrôle de l’économie des États-Unis dès la fin du dix-neuvième siècle. Basés en Europe, les Rotschild ont financé les banques J.P. Morgan & Co., Kuhn Loeb & Co., John D. Rockefellers Standard Oil Co., les chemins de fer d’Edward Harriman et les aciéries d’Andrew Carnegie, et vers 1900, ils ont envoyé aux États-Unis un de leurs agents, Paul Warburg, pour coopérer avec la Banque Kühn Loeb & Co. dans le but d'instaurer des instituts privés d’émission de monnaie, et ils sont parvenus à fonder une banque centrale privée ayant le droit d’émettre sa propre monnaie, moyen légal de paiement garanti à l’origine par l’État. L’instauration officielle de la Fed en 1913 a permis aux banquiers internationaux de raffermir leur puissance financière aux États-Unis, et Paul Warburg a été le premier président de la Fed.
Le gouvernement ne pouvant plus émettre sa propre monnaie, la promulgation du XVIe amendement de la Constitution états-unienne a permis au gouvernement de financer le budget par un emprunt remboursé par l'impôt sur le revenu, ce qui revenait à ce que les banquiers internationaux fassent indirectement main basse sur le patrimoine privé des citoyens états-uniens une recette tellement juteuse pour les créanciers qu'elle s'est depuis généralisée dans tous les pays "occidentaux". Les plus importants actionnaires de la Fed étaient les banques Rothschild de Paris et de Londres, Lazard frères de Paris, Israel Moses Seif d'Italie, Warburg d'Amsterdam et Hambourg, Lehmann de New York, Kuhn Loeb & Co. de New York, Rockefeller Chase Manhatten de New York et Goldman Sachs de New York. L'Europe avait encore un poids financier, mais Wall Street était déjà en embuscade.
Après la Première Guerre mondiale, les réserves d’or mondiales ont été accumulées dans cette banque privée qu’était la Fed, de sorte que de nombreuses banques centrales d'autres pays n’ont pas pu maintenir l’étalon-or, ce qui a provoqué des déflations, un phénomène aggravé en Allemagne par le poids des dommages de guerre (jugés ultérieurement "trop importants" par des historiens ou économistes bien-pensants), et le krach de 1929, la première "crise économique" mondiale. Pendant la guerre elle-même, les États-Unis avaient déjà exigé des belligérants d'Europe qu’ils paient en or les armements livrés par leur industrie restée intacte. Plus de 30 000 tonnes d’or venues du monde entier se sont alors accumulées aux États-Unis, et c'est cet or qui a servi de couverture au dollar à l'époque. Après la seconde guerre mondiale qui n'a été "que" l'exacerbation de la première, le deuxième épisode d'une série qui n'est pas vraiment terminée, les banquiers américains ont pris en compte le fait qu'une grande partie des dollars étaient détenus dans les banques centrales étrangères comme réserves monétaires et que ces pays avaient besoin de dollars pour acheter les matières premières payables uniquement avec cette monnaie suite à des traités, accord (comme celui cité plus haut) et conventions contractuelles. Alors, ils en ont profité pour imprimer et échanger davantage de dollars qu’ils n’avaient d’or en considérant qu'il était impossible que les possesseurs de dollars exigent une conversion simultanée.
Pour plus de sûreté, en 1971, Nixon a aboli l’obligation de convertir le dollar en or et annulé la garantie de l’état auprès des épargnants, faisant du billet vert une monnaie privée totalement libre (sans contrôle de l'administration). Du coup, depuis 2006, la Fed ne publie même plus le chiffre de la masse monétaire qu'elle représente, mais on sait que, pendant que la masse mondiale de biens quadruplait au cours des 30 dernières années, la masse monétaire s’est multipliée par quarante.
COMMENT ÇA MARCHE ?
La Fed produit des dollars. Ceux-ci sont prêtés sous forme de "titres" au gouvernement des États-Unis en contrepartie d'obligations qui servent de garanties (« securities »), c-à-d de cautions à la Fed, et les banques de la Fed qui détiennent les titres perçoivent des intérêts annuels. Bien joué, non ? C'est mieux que le Monopoly. En 1992, les obligations détenues par la Fed avaient une valeur de 5 trillions de dollars, et les intérêts payés par les contribuables états-uniens continuaient à augmenter, mais la "communication" concoctée par le experts économistes et médiatiques est tellement efficace que personne (ou presque) ne remarque l'arnaque. Un mécanisme similaire fonctionne dans la plupart des autres états avec, pour l'Europe, le relais d'une filiale de la Fed : la BCE à la tête de laquelle se trouve lune ancienne dirigeante du FMI.
De nombreuses actions ont tenté de faire annuler la loi sur la Fed, mais sans succès. Kennedy a été le premier à tenter de transformer la Fed en édictant un décret présidentiel (« Executive 0rder 11110 »). Peu après, il a été assassiné, probablement par ses propres services de renseignement. Le premier acte de son successeur, Johnson, a été d’annuler le décret de son prédécesseur dès son retour de Dallas à Washington, dans l’avion présidentiel.
Les États qui veulent effectuer des transactions commerciales internationales sur la base d'autres monnaies, comme l’Irak, la Libye, l’Iran ou le Venezuela, sont déclarés terroristes et leurs dirigeants connaissent quelques tracas, parfois fatals. Le système de Bretton Woods repose sur le fait que les échanges avec les États-Unis doivent se faire en dollars, ainsi que les transactions concernant des produits aussi cruciaux que le pétrole. De cette façon, l’augmentation exponentielle de la liquidité fournit à la haute finance une trésorerie avec laquelle elle peut acheter dans le monde entier ce qu'elle veut. Toutes les banques centrales sont doc forcées de détenir des dollars sans contre-valeur comme « réserves monétaires ». Le dollar étasunien est la monnaie privée de la haute finance mondialisée, garantie par personne si ce n’est par elle-même, utilisée pour maximiser les rendements d'emprunts forcés par des pays parfois pris à la gorge, comme la Grèce, et permettant de dominer le monde et de s'accaparer toutes les matières premières et autres richesses, naturelles ou produites.
La dette, privée ou institutionnelle, est la poule aux œufs d'or de la finance américaine, et ce n'est pas près de s'arrêter, même si de faux arbitres adeptes du mythe de "la main invisible du marché" prétendent assainir et moraliser les marchés en publiant des indices de confiance et donner aux épargnants des guides qui leur éviteraient de se faire spolier comme dans l'affaire des "subprimes" en 2007/2008.
Justement, le 1er août dernier, l'agence de notation Fitch a baissé la note des États-Unis du niveau le plus élevé, AAA, à AA+, "en raison de l'augmentation de la dette et des "normes de gouvernance", comme l'avait déjà fait Standard and Poor's en 2011. Or, l'impact sur le marché a été minime. Il n'y a eu aucun mouvement significatif du prix et du rendement des bons du trésor américain, le mécanisme d'emprunt de référence, ni de la valeur du dollar américain par rapport aux autres devises, même après que le Trésor américain ait annoncé le lendemain qu'il augmenterait ses emprunts de 7 milliards de dollars dans le prochain trimestre et y ajouterait 6 milliards de dollars supplémentaires dans ses enchères de dette au cours du mois à venir.
Le paradoxe, c'est qu'il existe une forte demande pour contracter cette "dette américaine", qui joue un rôle vital non seulement dans le système financier américain dont elle est la moelle épinière, mais dans le monde entier, comme on vient de le voir.
Les deux géants économiques après les États-Unis, la Chine et le Japon, sont les plus gros acheteurs des bons du Trésor américain, qui servent non seulement de source d'avoirs en dollars américains pour les réserves mondiales, mais qui sont également l'instrument prédominant dans lequel leur commerce extérieur est financé.
Les bons du trésor américain représentent environ la moitié des prêts transfrontaliers et des accords de financement du commerce dans le monde, ce qui, de fait, accorde aux États-Unis ce que Giscard d'Estaing a qualifié de "privilège exorbitant".
Or, le privilège des financiers américains donne aux États-Unis dont ils gèrent la monnaie non seulement des avantages économiques énormes, mais aussi des avantages politiques. C'est la raison pour laquelle les fameuses "sanctions" américaines ont une telle portée extraterritoriale. Les entreprises et les pays qui ont besoin de dollars ne peuvent pas risquer de se les mettre à dos, puisque le taux d'intérêt de référence de la Réserve Fédérale américaine a un impact déterminant sur les taux d'intérêt à l'échelle mondiale : lorsque la Fed relève ses taux "pour lutter contre l'inflation", les autres pays lui emboîtent le pas, sinon ils risquent de voir leur propre monnaie se déprécier par rapport au dollar, quand ils en ont encore la maîtrise comme c'est le cas pour la Chine et le Japon, les capitaux privés de ces pays risquant de rechercher un rendement relatif plus élevé aux États-Unis pendant ces périodes. Et c'est ce qui s'est passé en 2022 lorsque le dollar américain a atteint à plusieurs reprises des sommets alors que les États-Unis enregistraient leurs taux d'inflation les plus élevés depuis vingt ans.
Ce privilège fait également référence à la capacité des États-Unis à émettre des titres de créance avec beaucoup moins de risques que d'autres pays puisque ces pays ont besoin de dollars, et que seuls les États-Unis sont habilités par les banquiers à en délivrer.
L'initiative de Fitch, sans doute destinée à créer la surprise et des remous bénéfiques pour les uns et catastrophiques pour les autres, apparaît donc comme un coup d'épée dans l'eau en évoquant "la détérioration des normes de gouvernance au cours des 20 dernières années, y compris en matière budgétaire et de dette, nonobstant l'accord bipartite de juin pour suspendre le plafond de la dette jusqu'en janvier 2025".
Poutine a lancé l'idée d'une monnaie commune au sommet des BRICS l'année dernière, et il a continué à dénoncer la domination du dollar mais, le lendemain de l'annonce informant que Poutine ne participerait pas au prochain sommet à Johannesburg, l'Afrique du Sud a fait savoir que de nouvelles négociations monétaires ne seraient pas à l'ordre du jour.
L'agence Fitch elle-même a vite rétro-pédalé et déclaré que le dollar américain semblait devoir rester la « monnaie mondiale prédominante » jusqu'en 2050 au vu de la demande mondiale de dollars et que les bons du trésor couvriraient la dette américaine au-delà du nécessaire. Autrement dit, du vent couvrant du vent (et des bouts de papier vert).
Les états d'âmes stériles des agences de notation américaines reflètent davantage l'environnement politique américain que le rôle du dollar dans l'ordre économique international ou même que l'économie intérieure américaine. Le taux d'intérêt de la réserve fédérale est souvent appelé taux « sans risque » en raison de la capacité du gouvernement américain à faire tourner la planche à billets s'il en a besoin pour respecter ses engagements, ce que ne peuvent pas faire les débiteurs étrangers.
L'émission de dette est la poule aux œufs d'or de Washington, et le marché montre que les œufs d'or pondus par la poule sont toujours très demandés par ceux qui n'ont pas de poules du tout. Alors, contrairement au héros de la fable, ils ne vont pas la tuer en croyant y trouver un trésor. Ils ont lu La Fontaine, eux.
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