02/08/2014 – 07H00 Europe (Breizh-info.com via Elements) – Que devons-nous aux Germains ? D’où viennent les berserks, les fameux guerriers-fauves ? Quelle est l’origine de l’écriture runique ? Un numéro exceptionnel de Nouvelle Ecole pour en savoir plus sur les Germains. Présentation d’Alain de Benoist.
L’habitude s’est prise dans certains milieux de rapporter exclusivement les origines européennes à la philosophie grecque, au droit romain et à la religion chrétienne, ce qui revient à faire bon marché des composantes celtiques, germaniques et balto-slaves de l’Europe. Le passé européen ne se réduit pourtant pas à la trilogie Rome-Athènes-Jérusalem, sinon dans l’optique bien dépassée du principe Ex Oriente lux. C’est ce que montre amplement ce numéro de Nouvelle Ecole qui, après des livraisons déjà consacrées aux Celtes, aux Grecs et aux Romains, vient compléter le panorama de la vieille Europe.
Dès avant la conquête romaine, des migrations s’étaient déjà déroulées vers l’Ouest à partir de l’Europe centrale : il s’agit des vastes mouvements de populations celtiques qui, du VIe au IIIe siècles av. notre ère, se déployèrent sur une aire immense, allant de l’extrémité de l’Espagne jusqu’à la mer Noire. Le tourbillon des « grandes invasions » germaniques est d’une date ultérieure.
Longtemps contenus au-delà du limes, les peuples germaniques se mettent en marche au IVe siècle, notamment avec les Gots (les Gothones de Tacite), qui se diviseront ensuite en Wisigoths et Ostrogoths. Leur succèderont les Cimbres et les Teutons, les Vandales, les Suèves, les Burgondes, les Marcomans, les Francs, les Thuringiens, les Bavarois, les Lombards, les Avars, les Angles, les Saxons, les Jutes, les Frisons et bien d’autres. Le principal résultat de ces invasions fut la dislocation de l’ancienne Romania : à partir du milieu du VIIIe siècle, la fusion est complète entre l’élément germanique et l’élément romain ou gallo-romain, toutes les civilisations de l’Occident médiéval devenant des synthèses culturelles héritières, dans des proportions variables, à la fois de Rome et de la culture germanique. La Gaule mérovingienne, l’Espagne et l’Aquitaine wisigothiques, l’Etat lombard furent parmi les plus remarquables illustrations de cette époque qui, à la charnière de l’Antiquité et du Moyen Age, voit le centre de gravité de l’Occident se transférer durablement au nord de la Loire et des Alpes.
Les Francs, dont le nom est attesté dès le IIIe siècle mais dont les origines exactes restent en partie obscures, furent les principaux bénéficiaires de cette « migration de peuples » (Völkerwanderung). Longtemps divisés en Francs Saliens et en Francs Ripuaires, division aujourd’hui abandonnée, ils regroupaient eux-mêmes de nombreux peuples (Chamaves, Bructères, Amsivariens, Chattes, Sicambres, etc.). La France ne leur doit pas seulement son nom (à partir du milieu du VIe siècle, le mot Francia désigne la partie nord de la Gaule). Depuis les Mérovingiens, et singulièrement depuis Clovis (mort en 511), qui ne créa pas une nation mais une force historique, elle leur doit aussi plusieurs de ses dynasties, une partie de son vocabulaire (un demi-millier de mots au moins, dont les emprunts se placent en majorité entre le VIe et le IXe siècles), nombre de règles du droit féodal et certaines de ses institutions, à commencer par la « loi salique », sinon la royauté elle-même, qui est à l’origine élective (le prince est « élevé sur le pavois »), et non pas héréditaire.
L’influence germanique n’est pas moins remarquable dans les traditions populaires (qui ont fréquemment prolongé d’anciennes croyances et pratiques païennes), la toponymie (environ la moitié des noms de communes de la France du Nord sont d’origine germanique) et surtout l’anthroponymie (le système onomastique des Germains explique depuis le VIIe siècle la majorité de nos patronymes, noms de famille et prénoms). Hugues Capet, élu en 987, est le premier souverain du regnum Francorum dont nous savons avec certitude qu’il ne comprenait pas le francique, langue maternelle des premiers Carolingiens.
On ne reviendra pas ici sur la « querelle des deux races » qui, pendant des siècles, de Boulainvilliers à Augustin Thierry en passant par l’abbé Dubos, a rétrospectivement divisé la population française entre une aristocratie d’origine franque et un peuple d’origine gauloise, que la première aurait soumise. On notera seulement que les spécialistes continuent de discuter sur l’ampleur démographique des « grandes invasions » et sur la densité de leurs établissements, tout comme ils discutent encore de la possible influence des anciennes épopées germaniques sur les Chansons de geste des XIIe et XIIIe siècles (thèse soutenue par Gaston Paris, Arsène Darmesteter et Godefroid Kurth, mais rejetée par Joseph Bédier).
Quant au droit germanique, qui était un droit populaire ayant le caractère d’une coutume, il continua longtemps d’exercer son influence concurremment à celle des monuments du droit romain, conçus de façon plus théorique. « Son principe, c’est l’équité, a écrit Gonzague de Reynold. Communautaire, social, il accorde peu de place aux droits individuels. En revanche, la fidélité et l’honneur y prennent une très grande importance […] L’honneur a sa racine dans la considération dont jouit la personne au sein de la communauté ; la fidélité a la sienne dans la communauté elle-même. Honneur et fidélité déterminent donc la moralité du droit germanique. Ce sont des vertus inséparables : qui est sans fidélité est sans honneur, qui est sans honneur est sans droits » (Les Germains. La formation de l’Europe V, Plon, Paris 1953, p. 389).
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