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Vous venez de publier, aux éditions Synthèse nationale, dirigées par Roland Hélie, un livre consacré à François de La Rocque. Pourquoi avoir choisi de travailler sur cette grande figure de la droite nationale antimarxiste, sociale et populaire des années 1930 dont beaucoup, aujourd’hui, ont oublié l’existence et dont les autres, notamment dans nos milieux au sens large, ont souvent l’image négative d’un velléitaire pusillanime qui aurait entraîné la foule de ses partisans dans une aventure politique stérile ?
Roland Hélie et moi-même avons fait ce choix pour tout un ensemble d’excellentes raisons parmi lesquelles, pour ne pas faire trop long, je n’en retiendrai que trois.
D’abord, le colonel de La Rocque, comme son grade nous le rappelle, c’est un militaire de carrière, un officier de l’armée française aux brillants états de service, toujours très bien noté, qui, de 1908 à 1928, a servi – au sens le plus noble du terme – la patrie avec dévouement et abnégation. Ce qui lui a valu, entre autres, la légion d’honneur et la croix de guerre avec cinq palmes et deux étoiles… Successivement, il a été affecté en Algérie, au Maroc (durant les premières années de la "pacification", sous le général Lyautey, de 1913 à 1916 - avec une blessure fortement incapacitante reçue au combat en août 1916 - puis pendant la guerre du Rif, sous le maréchal Pétain, en 1925-1926), en France, notamment sur le front, entre janvier 1917 et octobre 1918, puis à l’état-major du maréchal Foch, au côté de Maxime Weygand, entre 1919 et 1928, et enfin en Pologne, au sein de la Mission militaire française, de 1921 à 1923.
Ensuite, celui que ses partisans qualifiaient affectueusement de "patron", c’est aussi un chef politique qui, dans des conditions difficiles, a bâti avec courage, détermination, persévérance, mais également sens de la mesure et des responsabilités (en particulier vis-à-vis de ses adhérents), les deux plus grands mouvements de masse de la France moderne. Il est tout de même l’homme qui a réussi à attirer autour de lui, au sein des diverses associations du mouvement Croix de feu (Croix de feu, Briscards, Volontaires nationaux, Section sociale féminine…) puis du PSF, des centaines de milliers de Français de tout âge et de toute condition (jusqu’à un à deux millions en 1939), dans un souci constant de réconciliation et de rassemblement le plus large possible, pour le redressement, la grandeur, la puissance de la France, gage de sa sécurité et donc du maintien de la paix.
Enfin, selon ses propres mots, c’est un patriote ardent qui, élevé dans le catholicisme et « profondément croyant », est viscéralement attaché aux principes fondamentaux de la civilisation française. Son expérience du front l’a convaincu que la fraternité des tranchées, « ignorante, au moment de l’offrande totale, des différences de fortune, des rangs, des grades, contenait en elle toute l’essence de l’esprit chrétien ». Dès lors, il s’emploie à transposer « la doctrine chrétienne dans le civisme », puis à la mettre en œuvre « dans le "social" » et à l’élargir « dans tous les plans (politique, économique, etc.) ». À ses yeux, en effet, « le retour de la France aux règles et préceptes de la chrétienté est une question de mort ou de vie, d’immobilisation et de déchéance ou de requalification pour prendre la tête de tous les progrès humains ». Pour lui, la France doit « s’adapter, intérieurement et extérieurement » mais « en restant elle-même quant à son tempérament, à sa mystique, sa façon d’être ». François de La Rocque est aussi, fondamentalement, un catholique social. Il rejette bien sûr la notion de lutte des classes et considère l’engagement patriotique, civique, politique indissociable d’une action d’entraide et d’assistance, suivie, efficace, professionnalisée, en faveur des plus faibles, des déshérités, des victimes de la grande dépression des années 1930. Comme l’écrira une vingtaine d’années plus tard, son ami Robert Garric, fondateur des Équipes sociales et intime de Lyautey, le colonel « avait le sentiment, qui dépasse la politique, d’une urgence nationale, une sorte de grande blessure faite au-dedans de la patrie, une nécessité de reconstruire, de rassembler les différents courants, les différentes valeurs spirituelles du pays. (…) Il y avait chez lui la passion du social étendue très loin. Être social, pour lui, c’était tout simplement être humain, être avec les autres hommes, être pour l’amélioration de leur sort, pour leur progrès, pour leur rapprochement. (…) Il avait atteint ce point supérieur dans les destinées humaines où, résigné aux coups et aux blessures, résigné à l’incompréhension, il passait outre, avec ce que comporte le mot admirable de notre langue "passer outre" : savoir que l’on ne sera pas compris, qu’on pourra être discuté, qu’on pourra se voir contesté. Il admettait tout. Il savait bien qu’un combat engageant l’homme dépasse toujours le combat d’un intérêt personnel et d’une humeur particulière. Il était donné à quelque chose qui le dépassait : son pays, son Dieu, tout ce qui, en lui, dominait la notion de service personnel, et tout ce qui transformait son action en un appel au service des autres ».
Par conséquent, François de La Rocque mérite bien mieux que la caricature dont, encore trop souvent, il est l’objet. C’est un grand Français, un homme d’exception. Les centaines de milliers de nos compatriotes qu’il a ressemblés autour de lui, l’amour ou la haine qu’il a suscités en attestent. Par la manière dont il a conduit son existence, par son action au service des autres et du pays, par les épreuves subies, les sacrifices consentis, il a gagné le droit que l’on s’intéresse à lui, à sa pensée, à son œuvre. Faire en sorte qu’il ne soit pas oublié et, mieux, que lui et ses mouvements soient davantage connus me semble une question de justice. À travers l’écriture puis la promotion de cet ouvrage, c’est la tâche à laquelle j’essaie modestement de contribuer, à ma place et avec mes moyens…
Votre livre est un livre d’histoire mais vous y égratignez volontiers l’extrême gauche socialo-communiste et adoptez, me semble-t-il, un certain parti pris. Peut-on dire que l’ouvrage est aussi politique ?
Cette question me remet en mémoire un propos de Dominique Venner en réponse à un lecteur de la Nouvelle revue d’histoire qui l’interrogeait sur l’objectivité de l’historien : ce dernier, qui est d’abord un homme et un citoyen, parfois engagé, avec sa sensibilité, ses idées, ne peut affirmer être totalement objectif ; en revanche, il se doit de travailler avec la plus grande honnêteté. À mon niveau et compte tenu de mes engagements passés et présents, de mes idées, je ne prétends pas à l’objectivité parfaite, ce serait malhonnête intellectuellement. Ma grille de lecture est celle d’un militant de la droite nationale antimarxiste. En revanche, je me suis efforcé d’être rigoureux et honnête… On peut donc dire, effectivement, que ce livre, qui raconte d’abord une histoire, celle d’un homme et des mouvements qu’il a dirigés et développés, est également un livre politique. En particulier, à travers l’évocation du rôle joué par certains communistes dans l’affaire Salengro ou le rappel des violentes attaques dont le colonel de La Rocque (le « colonel-comte fasciste », l’ « assommeur », le « führer des Croix de feu »…) et ses partisans ont été l’objet, j’ai voulu replacer la gauche et l’extrême gauche face à quelques-unes de leurs turpitudes, de leurs errances, de leurs excès, de leurs violences verbales et physiques. En effet, n’en déplaise à nos vertueux donneurs de leçons modernes, le "camp du bien", depuis longtemps, utilise volontiers (y compris contre certains des siens) les pratiques qu’il reproche si fort à ses adversaires. La gauche se veut l’arbitre des élégances, la grande dispensatrice des bons et mauvais points, la sourcilleuse vigie guettant le moindre sursaut du ventre peut-être encore fécond de la bête immonde… Mais l’histoire – et celle de cette période en particulier - nous montre qu’en matière d’insultes, de calomnies, de sous-entendus perfides, voire de "flicage" et d’agressions, elle a beaucoup à leur apprendre !
Revenons à François de La Rocque. Vous évoquiez tout à l’heure l’importance, selon vous, de connaître l’homme, son action et sa pensée. Pourriez-vous rapidement nous présenter cette dernière ?
Le colonel de La Rocque, je l’ai déjà évoqué, est un catholique social profondément patriote. Mais il est aussi, de formation, un officier de la cavalerie légère et du service des renseignements : il a appris à tirer le meilleur parti de ses subalternes en les prenant tels qu’ils sont ; il a appris à effectuer des raids en profondeur, à avancer résolument mais prudemment en milieu hostile, à reconnaître le terrain, à observer, analyser, estimer correctement la situation ; il a appris à collecter des informations, à prendre les bonnes décisions après avoir pesé les conséquences et estimé les résultats, à mener des coups de main, à entraîner ses hommes derrière lui et à les ramener, indemnes si possible, une fois la mission achevée. En toute chose, il a pris l’habitude de fixer des objectifs raisonnables, à portée, et de les atteindre avec le moins de dégâts et le plus d’efficacité possibles. Il est donc le contraire d’un aventurier, d’une tête brûlée. François de La Rocque n’est pas un rêveur, un romantique, un idéologue, un utopiste, un homme de système. C’est un réaliste, un pragmatique. Comme il raisonne à partir de la France telle qu’elle est et non telle qu’elle fut et ne sera sans doute plus jamais, il s’affirme républicain. Ce qu’il veut, ce n’est pas renverser le régime, mais c’est le corriger, l’améliorer, en renforçant le pouvoir exécutif, en réconciliant les classes et les clans, en rassemblant les Français pour le bien du pays. Pour mener son œuvre de rénovation nationale et de « poursuite d’un progrès social audacieux vers la coopération civique et professionnelle », Il entend suivre une voie conforme « aux règles et préceptes de la chrétienté » ainsi qu’au « caractère français, individualiste ». Il refuse donc tout modèle issu de l’étranger, communiste, fasciste ou nazi. Il écrit ainsi : « La France nation exemplaire, fille aînée de la civilisation chrétienne, ne pourrait que tomber en décadence si, par folie, elle se courbait sous la férule dictatoriale et se servait de la force politique non pour servir les forces spirituelles, mais, comme on le fait en Allemagne, pour les domestiquer et les expulser. Tout homme, tout parti qui accepterait que des instructions et a fortiori des subsides lui viennent d’au-delà des frontières commettrait le crime de haute trahison ». Pour finir cette évocation succincte, ajoutons que sa réflexion et ses écrits portent aussi sur le rôle de l’officier et l’organisation de l’armée. Ainsi, dès 1919 il se prononce pour une armée de métier et, en faveur de la protection des populations face à la menace aérienne, mène une action qui contribue à la mise en place de la défense passive…
Au terme de ce travail qui vous a permis d’aller à la rencontre de François de La Rocque, des Croix de feu et du PSF, que retenez-vous d’essentiel ?
Répondre à cette question n’est pas aisé… Je dirais que malgré le flot d’invectives et de bile déversé par ses nombreux adversaires, le colonel de La Rocque a su tenir bon parce qu’il avait, selon ses propres mots, cette « foi supérieure qui vient de l’idéal et de la croyance ». Cette foi, il l’avait reçue de ses parents, elle lui a été confirmée par sa troupe, elle a été exaltée en lui par les Croix de feu et sa flamme a été alimentée « magnifiquement par (son) foyer béni ». Il a résisté et n’a pas rompu parce qu’il s’est aussi trouvé protégé des atteintes de la calomnie par le « rempart vivant » de ses partisans, « à l’abri parce qu’aimé », comme l’a écrit François Mauriac dans le Figaro en novembre 1936. Vaille que vaille, avec courage, énergie et détermination, il a pu ainsi poursuivre son œuvre de réconciliation et de rassemblement de centaines de milliers de Français de tout milieu, hommes et femmes, pour le redressement national, par la défense du travail, de la famille, de la patrie. Mais puisqu’il s’agit d’aller à l’essentiel, je pense que le mieux c’est encore de lui laisser la parole et de conclure par la citation d’un texte qu’il a écrit en 1944 (durant sa captivité dans le Reich allemand) mais qui, me semble-t-il, trouve une résonnance particulière dans la France en crise de 2023 : « La nature fait beaucoup de sots. Elle ne fait pas de sauts. Beaucoup de sots. Insensés et insensés redoutables ceux qui espèrent le redressement brusque de l’état de choses résultant d’une longue et décadente évolution, qui espèrent dans le coup de baguette magique d’un thaumaturge, celui-ci fût-il suivi de plusieurs milliers de braves gens. Pas de sauts. Lorsque, durant des années, on a progressivement sapé la base des institutions, ruiné la moralité publique, abandonné les règles et les garanties de l’harmonie intérieure, vu le bien mais accepté le mal, on n’a pas le droit d’attendre un redressement instantané de manifestations épisodiques. (…) La nature fait beaucoup de sots. Elle ne fait pas de sauts. Les longues déchéances de la communauté tout entière ne se rachètent pas, n’autorisent pas de relèvement sinon par la vertu d’un long effort de la communauté entière. Nos concitoyens ont trop espéré voir le problème soudainement résolu d’un seul coup, sans leur dure et universelle participation, à l’appel d’un homme, autour du prestige d’un nom. Conception de paresseux, calcul d’embusqués. Dieu n’accorde les miracles qu’aux grands sacrifices. Grande illusion des Français et, d’abord, des "bien-pensants". Grande illusion ! (…) Notre patrie ne regagnera son pain, avec le salut, qu’à la sueur de son front, qu’à la sueur du front de tous ses fils. Dieu fasse qu’à cette sueur on n’ajoute pas trop de sang ! »
François de La Rocque, des tranchées au Parti social français, Didier Lecerf, préface de Francis Bergeron, 2023, 434 pages 33,00 €
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