Au début des années 1970, la droite nationale française n'était pas, c'est le moins que l'on puisse dire, au top de sa splendeur. Cependant, avec courage et panache, un jeune mouvement maintenait en vie l'idéal nationaliste. Ce mouvement, c'était Ordre nouveau... Durant son existence éphémère (1969-1973), Ordre nouveau suscita tout ce qui, dans les décennies qui suivirent, devait amener la droite nationale aux portes du pouvoir, à savoir le Front national et le combat contre l'immigration incontrôlée.
C'est justement la dénonciation de cette immigration, si juteuse à la fois pour le grand patronat et pour les organisations marxistes, qui attira sur Ordre nouveau les foudres du Système. En effet, le 21 juin 1973, au Palais de la Mutualité à Paris, ON organisait la première grande réunion publique sur le thème "Halte à l'immigration sauvage !". La soirée fut épique cliquez ici. et cliquez là... Une semaine plus tard, le 28 juin, le gouvernement prononçait sa dissolution. C'était il y a 50 ans... Et, depuis, la situation n'a pas cessé d'empirer.
Afin de marquer le 50e anniversaire de cette ultime campagne d'Ordre nouveau, il nous a semblé intéressant de mettre en ligne l'article que notre camarade et ami Philippe Pierson, hélas décédé en 2015, consacra à ce mouvement dans la revue Synthèse nationale (n°16, novembre-décembre 2009).
Roland Hélie
LE TEMPS D’ORDRE NOUVEAU…
L’existence d’Ordre Nouveau a été relativement brève. De sa naissance, en novembre 1969, à la dissolution de juin 1973, il ne s’est guère écoulé plus de trois années. Ordre Nouveau succédait à d’autres mouvements nationalistes au parcours plus ou moins météorique et même s’il s’est dans une large mesure prolongé dans le Parti des forces nouvelles (PFN), le « temps d’ON » fut bref et singulier. Cette singularité même fut porteuse d’avenir.
Contrairement à ce qu’on dit parfois, l’aventure n’a pas été sans lendemain. Celui qui croit à son combat ne milite jamais en vain. Le « groupuscule avorton et paradeur »- ainsi que ses grands amis de la Ligue communiste le désignaient dans leur style inimitable – n’est pas resté sans héritage.
J’ai parlé d’une aventure. C’en fut une, en effet, et qui vit encore en nous. Nous avions eu vingt ans quelque part autour de mai 1968 et poussés par je ne sais quelle aberration, nous nous étions engagés dans le combat nationaliste à une époque où régnait une atmosphère de gauchisme assez comparable dans son unanimisme à la mode écolo d’aujourd’hui. A cette différence près que toutes les chapelles du gauchisme prônaient la révolution violente, en paroles, mais aussi en actions. Pour un lycéen, un étudiant, un jeune travailleur, s’affirmer militant de l’ULN (Union des lycéens nationalistes – branche lycéenne d’Ordre nouveau), du GUD (Groupe Union et Défense – branche étudiante) ou d’ON était assez concrètement dangereux.
D’où une première singularité : il était préférable de ne pas avoir de répugnance de principe pour l’affrontement physique, ou alors de savoir la garder pour soi.
Autre singularité : nous nous voulions en rupture. Avec la démocratie bourgeoise, version gaulliste ou libérale, avec le conformisme marxiste et marxisant, bien sûr, mais aussi avec nos aînés « nationaux ». Soyons clair : c’était très souvent - pas toujours – injuste mais pour nous, tout ce qui dans la famille « nationale » avait plus de 30 ans (plus de 75% des adhérents n’avaient pas cet âge) était au mieux un honorable vaincu, au pire un vieux con (1). Nous ne voulions rien connaître des défaites du passé, sinon les enseignements à en tirer.
Nous avions notre propre style, nos propres emblèmes et signes de reconnaissance – comme le rat noir et ce graphisme particulier que l’on rencontre encore aujourd’hui dans les coins d’Europe les plus inattendus (2).
L’organisation était assez brouillonne et aléatoire. Il suffisait souvent d’adhérer pour se retrouver à son corps défendant responsable de plusieurs arrondissements parisiens ou d’un département entier.
Les cheveux étaient plutôt longs, nous pratiquions l’autodérision plus souvent qu’à notre tour et nul n’était plus moqué que le « mytho », celui qui se complaisait dans la nostalgie des combats d’hier. Nous préférions les Stones et les Who à la musique militaire, nous riions beaucoup, nous chantions, nous recevions des coups que nous rendions généreusement, nous buvions pas mal aussi…. Nous étions fêtards et bagarreurs et les petites militantes désireuses de protéger leur vertu avaient parfois fort à faire…Et « le mouvement » était toute notre vie.
Finalement, nous ne vivions pas si mal notre époque. Pour nous aussi, d’une certaine façon, mai 68 était passé par là. Nous savions que rien ne serait plus vraiment pareil, que cela nous plaise ou non, et incarner le nationalisme d’après 68 était très exactement ce que nous voulions.
Alors bien sûr, ce qui reste d’abord aux « anciens » ce sont des souvenirs épiques, tumultueux et des amitiés indéfectibles. Une vraie solidarité aussi… Comment pourrait-il en être autrement ?
Mais est-ce bien tout ? Sûrement pas, sinon l’héritage d’ON serait au final assez conforme à l’image qu’en donnaient nos adversaires : barres de fer et casques noirs, meetings homériques, bagarres sur les marchés et guère de réflexion, ni de véritables visées politiques.
Dirigeants et militants avaient bel et bien une ligne et un objectif principal et le « style ON », dans ses excès même, n’en était qu’une traduction. Mais ce n’est pas dans les documents d’actualité de l’époque qu’on pourra s’informer là-dessus, tant l’occasion ne fut quasiment jamais donnée à ON d’exposer ses thèses dans les médias.
Nous n’y comptions guère d’ailleurs, tablant sur l’agressivité et le goût du spectaculaire pour obtenir une visibilité qui ne nous aurait jamais été accordée spontanément. Dans certaines circonstances et à condition de ne pas confondre le moyen et le but, un tel choix peut se justifier : il ne sert à rien de chercher à plaire à des adversaires qui ont tous les moyens de vous ignorer sur le fond et tout intérêt à vous diffamer. De surcroît, compte tenu de l’ambiance de l’époque où le gauchisme faisait régner une atmosphère de terrorisme intellectuel mais aussi physique, le « style ON » n’était pas vraiment un obstacle au recrutement à condition de savoir éliminer détraqués et provocateurs (3).
Les documents existent néanmoins, aussi complets et précis que possible, mais ils étaient jusqu’à ce jour difficilement trouvables. On se félicitera donc de la réédition chez Déterna des deux ouvrages – sobrement intitulés « Ordre Nouveau » - publiés à l’occasion des congrès de juin1972 et juin1973. Pas moins de 300 pages pour le premier (le rouge), 100 pages pour le second (le bleu), ces deux livres sont de véritables objets politiques non identifiés, tant ils ne ressemblent à rien de connu en la matière, sinon peut-être à un « Que faire ? » nationaliste écrit par quelque nouveau Lénine à la modestie excessive.
Car même si les initiés peuvent assez facilement reconnaître la « patte » de tel ou tel, les auteurs sont officiellement inconnus, non par goût de la clandestinité mais parce qu’ON refusait le vedettariat et se voulait à direction collégiale. On ne brisera donc pas ce relatif anonymat, ne serait-ce que pour ne pas gêner ceux des rédacteurs qui ont pu voguer par la suite vers des rivages moins sulfureux.
Les deux volumes sont construits selon un même schéma original, se répartissant à parts à peu près égales entre un récit linéaire, chronologique, quasiment au jour le jour, des combats du mouvement et une partie programmatique plus que fournie, l’un et l’autre s’entremêlant parfois.
C’est donc d’abord le récit détaillé de la progression du mouvement, écrit sans fioritures et sans trop de lyrisme – sans excès d’objectivité non plus. Pas tant dans le désir de se faire plaisir (un peu quand même) que dans le but de témoigner d’une volonté soutenue, de marquer les étapes parcourues vers un objectif. Ce qui sous–tend en permanence cette longue saga qui ne fait grâce au lecteur d’aucun détail sur les meetings, les collages, les bagarres de rue et de hall de fac, d’aucun départ, d’aucune dissension ou tentative de scission, c’est la volonté de tirer les enseignements politiques des réussites comme des échecs et de tracer le chemin vers la naissance d’un parti nationaliste définitivement débarrassé des oripeaux et des complexes du passé, tourné vers l’avenir et convaincu de pouvoir vaincre à condition d’en vouloir les moyens.
Parmi ceux qui s’intéressent au sujet, peu ignorent qu’ON fut à l’origine du Front national. Encore faut-il comprendre que le choix de créer le Front comme lieu de rassemblement de la famille nationale et nationaliste et l’idée même d’aller sortir Jean-Marie Le Pen de sa retraite provisoire pour le mettre à la tête de celui-ci ne résultaient pas d’une conversion, d’un renoncement à je ne sais quel romantisme pour se tourner vers l’action « raisonnable ». Ce que les ouvrages en question indiquent, c’est que le projet existait dès l’origine de créer un véritable parti, tourné vers l’avenir, sans référence inutile à un passé plus ou moins folklorique, sans regrets mais aussi sans concessions et doté d’un véritable corps de doctrine. Au-delà de ce que pourrait laisser croire une attention superficielle au « style » et aux moyens d’actions d’ON, ceux-ci résultaient peut-être moins de l’ambiance de l’époque que de la volonté d’en user pour former un noyau de militants aguerris, convaincus, formés et aussi peu sensibles que possible aux sirènes du régime.
Cela ne se fit pas sans heurts ni dissensions internes et les ouvrages en question ne le dissimulent pas non plus. Encore ces dissensions ne portèrent elles pas tant sur l’objectif que sur la place que devait tenir ON dans le futur parti : fusion totale ou noyau dirigeant, fédération de mouvements autonomes ou simple accord électoral ? Et dans toutes ces optiques, comme le rappelle le second volume, le Front National lui-même n’était conçu que comme une étape.
Bien sûr, la suite des évènements différa quelque peu de nos espoirs. Elle n’est pas contée dans les ouvrages cités qui s’arrêtent à la préparation du congrès de 1973 mais elle est assez connue : la campagne d’ON contre l’immigration clandestine (4) et la dissolution qui s’en suivit après le meeting sanglant du 21 juin 1973, la rupture des militants avec un Front qui leur semblait voué à l’échec et la longue rivalité entre le Parti des forces nouvelles et un FN qui sembla longtemps devoir rester embryonnaire… Ces années de formation ne furent toutefois pas perdues pour les meilleurs militants. Les connaisseurs du milieu nationaliste savent qu’entre les années 80 (grosso modo après l’effacement du PFN) et la crise « mégrétiste » de 1998, de nombreux anciens militants d’ON exerçaient – sans volonté coordonnée mais dans une solidarité certaine - des responsabilités à tous les niveaux de l’appareil du Front qui commençait alors – pour un temps seulement, hélas ! - à ressembler au parti dont ils avaient rêvé dans leur jeunesse. A tel point que Jean-Marie Le Pen, qui n’a certainement pas le défaut de manquer de mémoire, qualifia devant témoins la tentative de Bruno Mégret de 1998 de « vengeance d’Ordre Nouveau », ce qui était très certainement exagéré mais pas complètement faux.
Le lecteur pressé risque de passer un peu vite sur la partie programmatique des deux ouvrages, de prime abord moins palpitante. Il aurait tort, tant elle est à de nombreux points de vue fascinante malgré le temps passé ou peut-être à cause de lui. Certes le discours est parfois daté : le bloc de l’Est est toujours une menace concrète et on vit encore en France sous le règne du gaullisme immobilier. Peut-être aussi y compte-t-on trop sur les vertus de la construction européenne. Mais à côté de cela, que de prémonitions, que de fulgurances ! A bien des égards ces livres méconnus sont d’une actualité surprenante. Tous les thèmes sociologiques et politiques sont abordés, depuis le refus du libéralisme et de la transformation du travailleur et du citoyen en consommateurs jusqu’à la réforme de l’école en passant par la construction européenne et la refondation de l’Etat. Et aucun thème n’est abordé sans propositions.
La place manque pour tout aborder, mais quelques exemples pris presque au hasard suffiront à éclairer mon propos.
On trouve une dénonciation d’une extraordinaire pertinence de la « société en miettes » où l’individualisme libéral mène inéluctablement au « tribalisme » (on dirait aujourd’hui communautarisme, ce qui est après tout moins précis). On trouve aussi, dans un tout autre domaine et en un temps où la plus grande partie de la « droite » voit dans Israël le « bastion de l’Occident », la revendication de la création d’un Etat palestinien ouvert sur la mer par le rattachement de la bande de Gaza et le retour aux frontières d’avant 1967. On y parle – en 1971, je le rappelle - de protection de l’environnement et des ressources naturelles, de libération de l’information…
L’exemple le plus éclairant est sans doute celui de l’immigration, thème aujourd’hui présent dans tous les esprits mais dont il faut bien être conscient qu’à l’époque personne ne parlait, y compris dans la droite nationale. Que dit ON alors que l’immigration est encore sans commune mesure avec l’invasion d’aujourd’hui ? Qu’elle est surtout « une solution de facilité qui satisfait ses utilisateurs dans la mesure où ceux qui emploient les travailleurs immigrés ne sont jamais ceux qui pâtissent des conditions pénibles qu’ils peuvent créer », qu’elle justifie le maintien d’emplois peu ou pas qualifiés et surtout rémunérés dans des conditions indignes, en permettant aux employeurs d’exercer une pression sur les salaires. ON voit même se profiler la revendication d’une participation des étrangers à la vie politique. En conclusion, si l’assimilation des immigrants européens est prônée, il est clair qu’ON ne croit guère à l’intégrabilité des autres et le principe d’une « limitation quantitative et qualitative » de l’immigration non européenne est revendiqué, dans l’optique d’un retour à terme dans leurs pays d’origine des travailleurs formés en France. On est bien loin du regroupement familial et de l’explosion actuelle, mais comment ne pas voir jusque dans la relative modération du discours une remarquable prescience ?
L’âge des « anciens d’ON » tourne aujourd’hui autour de la soixantaine. Ils n’ont pour la plupart rien renié et renoncé à rien et nombreux sont ceux qui ont conquis des places honorables sans se désavouer, même si les plus visibles et les plus connus, mais pas nécessairement les plus représentatifs, dont les engagements anciens sont parfois évoqués publiquement, sont aujourd’hui ceux qui ont réussi une brillante reconversion dans le système politique ou le monde des grandes affaires, ou les deux à la fois (5).
Quant aux autres, leur camaraderie et leur solidarité reste réelle et concrète et ils sont loin d’avoir tous raccroché. Sans doute sont-ils encore nombreux, ceux qui en se retournant sur leur jeunesse, ont au moins le sentiment d’avoir fait, en des temps quelque peu baroques , leur devoir pour que le flambeau soit relevé, que le relais soit transmis et que l’espoir ne meure pas.
Notes
(1) A moins d’adhérer à ON, bien sûr !
(2) Sur ces points comme sur d’autres, on ne peut manquer de rendre hommage au talent d’un Jack Marchal.
(3) Généralement, ils s’éliminent d’eux-mêmes. Le meilleur moyen de se débarrasser d’un indésirable est encore de l’emmener coller des nuits entières. C’est rarement ce qu’il recherchait.
(4) ON fut le premier à aborder carrément ce thème… Et certains se souviennent avec amusement que Le Pen désapprouvait alors le choix de ce thème « provocateur » !
(5) …Ce qui prouve au moins que nous n’étions pas tous des demeurés !
Sur Ordre nouveau :
Rappelons qu'en 2019, à l'initiative de deux anciens militants d'Ordre nouveau, Jacques Mayadoux et André Chanclu, un livre rassemblant de nombreux témoignages a été édité sur ce mouvement (Ordre nouveau raconté par ses militants, Synthèse éditions, juin 2019). Ce livre est actuellement épuisé mais, bonne nouvelle, il sera réédité à la rentrée prochaine. Vous pourrez alors le commander.
D'autre part, en 2009, Déterna a réédité en un seul volume les deux livres publiés par ON lors de ses 2e et 3e congrès en 1972 et 1973. Cliquez ici
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