Ingénieur dans le domaine de la Défense, Yves Mervin a déjà fait une incursion sous la chape de plomb de l’histoire récente de la Bretagne en écrivant une enquête sur les relations entre les Juifs et les nationalistes bretons pendant la guerre. Il a ainsi osé toucher au tabou qui empoisonne l’Emsav – le mouvement pour l’autonomie, sinon l’indépendance de la Bretagne depuis la guerre – le fait qu’une partie (certes faible) des nationalistes n’aient pas été du côté des alliés, ou de la résistance, pendant la guerre. Tabou qui a justifié une flagellation continue par des ennemis de la Bretagne, parfois issus même de son propre sein et adoubés par un vernis universitaire, voire les excès inverses où se sont jetés des nationalistes bretons depuis.
Avec son nouveau livre, Joli mois de mai 1944, la face cachée de la résistance en Bretagne, il donne le contexte global et révèle la réalité d’une résistance qui n’a pas grand-chose à voir avec les récits palpitants d’un autre breton, le Colonel Rémy. Puisant à des sources encore inédites – correspondance de militaires, témoignages, minutes des procès d’après-guerre, il traite des sujets très sensibles, comme la criminalité résistante. Celle-ci a laissé derrière elle un cercle de la peur, qui pèse encore sensiblement sur quelques paroisses des Monts d’Arrée, où il concentre la trame de son ouvrage. Et ce d’autant plus que bien souvent, comme il le révèle, les criminels ont été jugés, leur responsabilité a même été reconnue parfois. Mais ils n’ont pas été condamnés, du fait de la loi d’amnistie de 1951 couvrant « tout faits accomplis postérieurement au 10 juin 1940 et antérieurement au 1er janvier 1946 dans l’intention de servir la cause de la libération du territoire ou de contribuer à la libération définitive de la France ». Les résistants communistes sont devenus des notables, des élus, le PCF s’est durablement installé en Bretagne et en France. L’impunité a engendré la peur, la peur a enchaîné le ressentiment, gelé le deuil et semé des cadavres dans les placards de l’Histoire bretonne.
Mais depuis, près de 70 ans ont passé. Les utopies sanglantes du XXe se sont effondrées. Les positions du PCF ont suivi. Leurs relais – ardoisières, arsenaux, mines de la Bretagne intérieure, écoles normales – ont disparu ou ont considérablement maigris (grandes usines, chemins de fer…). Le temps a permis à une part du mouvement breton de vouloir lever le voile, tandis que la mémoire familiale fossilisée reprenait peu à peu force et vie. « Rien n’est oublié », écrit l’auteur. Des auteurs de crimes sont encore vivants. Des témoins aussi. « On assiste aujourd’hui à la désagrégation de la terreur virtuelle », explique Yves Mervin. Cet ouvrage y participe grandement, et parce qu’il brise le cercle de la peur, qu’il libère les consciences, qu’il éclaire objectivement – mais dans le but de refermer les fractures et non de les exacerber – les événements, ce livre est un ouvrage de libération nationale. Et tout Breton doit se faire un devoir de le lire.
Lire pour se souvenir. De Stalingrad en Paule-Plévin, l’un des plus gros maquis communistes (FTP) de Bretagne. Là où la géographie est endeuillée par les assauts allemands (La Pie, commune de Paule, 29 juillet 1944) et les exécutions expéditives (Toul Dous, moulin de Quinquis…) perpétrées par les résistants. Lire pour réhabiliter les assassinés, comme l’abbé Perrot à Scrignac. Il n’est pas mort pour ses liens réels ou supposés avec les allemands. Il est mort parce que « sous les régimes les plus dictatoriaux, peuvent subsister d’irréductibles hommes libres, des élites populaires, hommes et femmes à la fois de réflexion, de pensée et d’influence par leur exemple et leur aptitude à la prise de parole, des hommes par nature en-dehors de la pensée totalitaire. » L’abbé Perrot était l’un d’eux, et il est mort parce qu’il ne s’était pas plié à la ligne du parti.
Lire pour découvrir qui étaient ceux que les maquisards communistes ont décidé de rayer de l’Histoire. Comme Jean-Louis Croizer, dit Croizer Bras, maire de Glomel, assassiné le 22 mai 1944, parce qu’apparemment il a refusé de donner 4.000 francs à deux maquisards venus le rançonner ; après la guerre, l’on a tenté de justifier le forfait par le fait que Jean Croizer ait été collaborateur. L’accusation ultime qui ferme le ban et empêche de fouiller. En vérité, il était l’un de ces « irréductibles hommes libres », membre de l’Office central agricole de Landerneau, maire, avocat de campagne et forte personnalité, maire engagé et qui a mené la barque tout au long de la guerre, sans dénoncer les maquis ni les réfractaires. Il est mort pour cela.
Lire pour connaître. Les liens et les dissensions entre résistants. Le partage des tâches entre les « sticks » – les unités américaines parachutées en Bretagne et les résistants locaux. Leurs bases – GROG près de Baud et SAMWEST près de Duault. Leur résistance, leur dispersion suite à la traque par les occupants. Comment ont-ils fait pour continuer leur œuvre. Lire enfin pour savoir qu’il y a eu des résistants – y compris communistes – exemplaires. Des hommes et des femmes dont le parcours a été éclipsé par des « résistants de la 25e heure » ou des bandits pour lesquels la Résistance ne fut qu’un prétexte bien commode pour couvrir des rapines ou des meurtres. Comme ces « huit intrépides, patriotes du maquis de Paule, future compagnie Guy Môquet [qui] attaquent [le 18 mai 1944] les deux cafés de Toul Dous en Plévin[…] ce fut une atroce boucherie. Tout le maquis Bous y aurait participé et tous auraient tué pour couper court à d’éventuelles poursuites judiciaires […]Osmane Denes, dont le mari est fait prisonnier, Marie le Fur pendant la nuit ainsi qu’Odette Baubion, âgée de 11 ans, réfugiée de la région parisienne chez ses tantes pour se retrouver plus en sécurité en Bretagne, sont abattues ». Et à côté de cela il y eut des résistants héroïques, des officiers y compris communistes, comme Louis Pichouron en Côtes d’Armor, qui ménageaient l’ordre et le Parti, qui faisaient leur devoir sans basculer dans le terrorisme.
Alors il faut lire. Pour se souvenir que l’image que nous connaissons de la Résistance – notamment en Centre-Bretagne – a été faussée par le spectre du communisme et la volonté des acteurs des crimes et forfaits de la Résistance de se préserver de toute poursuite ou de tout reproche. Unis dans le même déni, ils ont forgé des « mythes, entretenus par des commémorations systématiques où les demi-vérités sont érigées en dogmes intouchables ». En Bretagne, ces demi-vérités ne sont pas le propre des Monts d’Arrée. En Loire-Atlantique, la mémoire encore vivante fait ressurgir le souvenir de « résistants pilleurs de fermes » qui sévissaient en août 1944 dans la région de Blain, pendant que dans un indescriptible désordre libérateurs et occupants s’accrochaient aux alentours. L’épuration a sévi à Nort-sur-Erdre, par deux fois, le 4 et le 5 août 1944, témoignent les archives policières. Etait-ce juste ? C’était la guerre, répondait-on pour éluder. Non, c’était la Libération. Mais encore ? Il n’y a rien sauf une fantomatique « opinion publique » qui permet tous les forfaits.
Soixante-dix ans après, les demi-vérités ne peuvent plus suffire. En levant la chape de plomb, en reconstituant la vérité des événements, en se gardant de tout manichéisme – la réalité est plus proche des cent nuances de gris du ciel breton que des deux teintes de son drapeau – en refermant les fractures et retraçant les responsabilités, les collusions, les épreuves et les réalisations louables, on fait œuvre, partout en Bretagne, d’une libération des fantômes qui continuent d’empoisonner la perception que nous avons nous-mêmes de notre passé et de notre identité. Lire Joli mois de mai 1944 c’est apaiser notre passé et travailler pour l’avenir.
Louis Benoît Greffe
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