Un petit ouvrage écrit par le prince François-Xavier de Bourbon Parme, paru en 1949, en donne un exemple. Il relate un point peu connu de la Seconde guerre mondiale : les accords secrets franco-anglais de décembre 1940.
Il n’y a pas de trace écrite de ces accords, et, sous ce prétexte, certains historiens partisans ont pu les nier ou les minorer, mais il reste des témoignages et des faits.
La parole de l’auteur, tout d’abord, ne peut être récusée, compte tenu de son incontestable action en faveur de la Résistance. Il fut, pour cette raison, condamné à mort par les allemands en 1944, et finalement déporté à Dachau. Du fait des traitements subis, très diminué, il ne pesait plus à son retour que 36 kilos. Auparavant, ne pouvant rentrer en Espagne après ses engagements volontaires dans les armées belge puis française, il n’en fréquenta pas moins amicalement à Vichy, des membres du gouvernement de l’Etat Français, notamment Philippe Pétain lui-même et des acteurs majeurs de cet épisode.
Il put ainsi attester que ce sont l’estime et la confiance réciproques de deux hommes qui firent aboutir un arrangement qui porte leurs noms associés :
– Lord Halifax qui eut un rôle majeur dans la politique britannique de cette époque : vice-roi des Indes, il passa un accord personnel avec Gandhi, puis fut ministre des Affaires étrangères lors de Munich et jusqu’à la guerre, et enfin ambassadeur aux USA à un moment crucial.
– et Jacques Chevalier qui, lui, fut un philosophe éminent « auteur (dixit Étienne Gilson) de la meilleure Histoire de la Philosophie de langue française », qui accepta sur demande du Maréchal, de participer dès septembre 1940 au gouvernement vichyssois, d’abord à l’Instruction publique puis secrétaire d’État à la Famille et à la santé, jusqu’en 12 août 1941 où il se retire, redevenant Doyen. Personne n’a pu contester que durant cette période il fit preuve d’une constante volonté de résistance aux exigences et à la domination allemandes, autant que cela dépendait de lui et lui semblait possible.
Les deux hommes se connurent à Oxford en 1903, et leur amitié, jamais démentie, reposa sur une raison profonde : Jacques Chevalier était un catholique convaincu, quoique bergsonien, et le jeune Lord avait hérité de son père, outre son nom et sa fortune, le désir, attiré par la catholicité, de l’unité chrétienne et la conscience d’une nécessaire renaissance de la chrétienté.
Doutant du respect par l’Allemagne des conditions de l’armistice de juin 40, les britanniques avaient mené contre la flotte désarmée et l’empire, laissés aux français par ses vainqueurs, de graves agressions-surprises, notamment à Mers-el-Kébir et à Dakar. En dépit de l’anglophobie ainsi provoquée, il y eut de part et d’autre des volontés d’éviter que la France versât dans le camp allemand.
L’origine et la nature de la démarche du professeur Louis Rougier à Londres, le jour de Montoire, est controversée, mais, sans aboutir, elle fut probablement une étape. Trois jours après, le roi Georges VI écrivait à Pétain pour lui demander de ne pas « prendre des engagements qui dépasseraient largement les conditions que vous avez acceptées au moment de l’armistice » en l’assurant de sa volonté de « rétablissement de la France » dans la perspective d’une défaite allemande. Le 3 décembre l’amiral Auphan exposait à Jacques Chevalier la situation tragique de l’approvisionnement du pays et la nécessité d’obtenir de l’Angleterre par l’entremise d’Halifax un relâchement du blocus. Le lendemain, le chargé d’affaire du Canada transmettait à Chevalier le salut d’Halifax « à son plus intime ami » avec un message : « derrière une façade de mésentente » car il ne faut pas alerter les allemands « il faut nous entendre ». Chevalier en fait part à Pétain qui découvre l’amitié des deux hommes et se montre disposé, sous condition d’une « froideur artificielle », à cette entente. Le 7 décembre, toujours par la médiation canadienne son accord était transmis à Londres qui le 9 répondait positivement. Dans un secret mutuellement scellé, l’Angleterre, en sauvant quelques apparences, suspendait le blocus entre l’Afrique du nord et la métropole, et la France s’engageait formellement à garder les produits transportés en zone libre, à ne jamais rien livrer de sa flotte ou de ses colonies à ses vainqueurs et à ne pas attaquer celles qui avaient repris le combat.
Certains ont voulu contester que ce « gentlemen’s agreement » ait déterminé trois importantes décisions :
Premièrement, le renvoi de Laval, dont le projet d’attaque, avec le soutien de la Wehrmacht, du Tchad passé à la résistance, aurait tout compromis,
Ensuite le rejet, dont les circonstances sont décrites dramatiquement par l’auteur, du protocole proposé par Darlan concédant à l’Allemagne la Syrie, Bizerte et Dakar comme bases d’opérations,
Enfin, le sabordage de la flotte en 1942.
D’autres causes ont été évoquées. Comment imaginer cependant que l’importance de la contrepartie n’ait pas été décisive ? Les chiffres donnés par l’auteur prouvent que ce ne fut pas marginal et que cela dura pratiquement, même après le retour imposé de Laval, jusqu’au débarquement anglo-américain de novembre 1942 et l’invasion allemande de la zone libre qu’il provoqua. Le sabordage de la flotte a été critiqué mais la réalité ne permettait guère une fuite vers l’Afrique du nord .
L’importance de cet accord et de ses conséquences paraît difficile à nier honnêtement. Il en ressort que Jacques Chevalier n’avait rien d’un collaborateur pro-nazi, et que Philippe Pétain manifestement soucieux, dans cette affaire du moins, de préserver les intérêts français sans sympathie germanophile, n’entre pas facilement dans le rôle de traître qui lui a été attribué.
Cela n’a pas empêché les juges partisans de l’épuration de condamner lourdement Jacques Chevalier, sans pouvoir l’accuser de collaboration, avant que sa peine soit considérablement atténuée et qu’il soit en 1947 libéré conditionnellement. Il fallait surtout lui faire payer ses timides tentatives d’entorses au principe maçonniquement sacré de laïcité, lors de son passage d’ailleurs vite écourté à l’Instruction publique.
De la même façon, des volontés et des actes comme ceux dont il est ici question, n’ont pu éviter au maréchal Pétain sa condamnation à mort, commuée en perpétuité, mais poursuivie politiquement jusqu’à nos jours, pour un autre anathème dont notre république a fait son dogme et son obsession, jusqu’à la rendre contre-productive.
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