Les Illuminatis ? Cette secte née en Bavière au dix-huitième siècle continue d’intriguer.
Un nouveau livre y est consacré. En voici quelques extraits afin de commencer à aborder le sujet.
[EXTRAITS] Leur symbole
« Lorsqu’ils (les novices) accèdent enfin au premier grade de l’Ordre, ils prennent le nom de Minervaux, autrement dit de disciples de Minerve, déesse romaine de la guerre mais aussi de la sagesse. L’animal symbolique qui l’accompagne est le hibou ou la chouette, réputé voir dans l’obscurité. C’est traditionnellement l’animal totémique des philosophes (ou « amis de la sagesse ») et les Illuminati l’adoptent pour emblème, symbole de la lumière balayant les ténèbres, que l’on trouve représenté sur nombre de bijoux de l’Ordre. »
Nom de guerre : Spartacus
« Dans l’esprit de cet homme de vingt-huit ans, le recrutement des membres devra obéir à des critères d’une grande exigence, tandis que leurs travaux devront atteindre des sommets de rigueur en matière philosophique et scientifique. Enfin, la société visera à améliorer concrètement le sort de l’humanité, fût-ce au prix d’une lenteur titanesque. […] Weishaupt recrute, pour commencer, ses étudiants les plus doués et les plus ouverts aux idées nouvelles. Le 1er mai 1776, les fondateurs se réunissent, à l’instigation de Weis-haupt… dans sa propre chambre. Ils sont cinq en tout et pour tout : lui-même et quatre de ses étudiants. Ils adoptent l’appellation d’Illuminatenorden ou Ordre des Illuminés, soit, en latin, Illuminati. La lumière (Licht) […] évoque également l’Aufklärung, l’éclaircissement, mot d’ordre du mouvement d’idées qui, à l’époque, commence à remuer les consciences les plus éveillées. L’Europe des Lumières se lève, et Weishaupt […] se situe résolument dans ce courant d’avant-garde, auquel le clergé local, sentant son pouvoir mis en danger, va s’opposer de toutes ses forces et par tous les moyens, à commencer par la censure intellectuelle. C’est également la raison pour laquelle Weishaupt souhaite recruter les membres de son Ordre avec la plus grande prudence : la moindre indiscrétion mettrait en danger non seulement la société qu’il vient de créer, mais aussi sa propre carrière d’enseignant en droit canonique, déjà en butte à différentes vexations parce qu’il n’appartient pas au parti dominant et que son enseignement est jugé subversif. Ce climat particulier explique également en partie la raison pour laquelle les cinq membres fondateurs s’attribuent, comme le feront les affiliés à venir, un « nom de guerre ». Weishaupt, dans la société des Illuminés, s’appelle désormais Spartacus. Un patronyme qui en dit long, puisqu’il est emprunté au chef de la révolte des esclaves qui, entre 73 et 71 avant Jésus-Christ, fit trembler Rome.
Très vite, l’Ordre tente de s’agréger des jeunes gens au profil intéressant, susceptibles d’occuper des fonctions officielles dans un proche avenir, ou des rejetons de la noblesse disposant de moyens importants, utiles au développement de l’organisation. Cependant, en 1778, deux ans après sa fondation, la société ne compte encore que dix-neuf membres. Ceci est probablement dû, en grande partie, à la longue période d’observation, ou de surveillance, à laquelle sont astreints les « novices » avant d’être effectivement intégrés dans l’Ordre… Ajoutons que le procédé doit sans doute également beaucoup à une dérive un peu paranoïaque de l’esprit de Weishaupt, régulièrement obsédé par l’espionnite. […] Mais le développement de l’Ordre patine. »
Le plan : infiltrer la franc-maçonnerie
« Knigge (franc-maçon) souhaite réformer la maçonnerie et le marquis de Constanzo (un Illuminati) réussit à lui faire croire que la société secrète idéale qu’il a en tête, disposant de connaissances supérieures et œuvrant concrètement à l’amélioration du genre humain et de la société des humains, existe déjà… Cet Ordre, ancien et secret entre tous, s’appelle l’Ordre des Illuminati. Knigge, qui caresse le projet de construire un homme neuf et un monde nouveau, loin des barrières sociales, des frontières politiques et des préjugés religieux, se laisse facilement séduire. Pour lui comme pour Weishaupt et son Aréopage, le premier pas dans cette direction consiste à « s’emparer complètement de la maçonnerie ». Knigge a alors une idée brillante : […] il faut adapter l’Ordre à celui des francs-maçons, afin « d’arriver à diriger la franc-maçonnerie vers notre but sublime et la mettre sous notre direction ». Concrètement, il s’agira d’intégrer, dans le cursus des Illuminés jugés dignes de parvenir aux plus hauts grades de l’Ordre, certains grades de la maçonnerie elle-même. Par son entremise, lui qui est remarquablement bien introduit dans les milieux maçonniques et ceux de la Stricte Observance templière, des recrues nombreuses et souvent de qualité vont rejoindre l’Ordre. […] Les dizaines de nouveaux membres attirés dans les rangs des Illuminati par Knigge vont à leur tour en recruter de nombreux autres, aux noms parfois prestigieux. Si bien que dès 1782, la société compte plusieurs centaines d’initiés, non seulement en Allemagne, mais déjà en Autriche et bientôt en Suisse, puis au Tyrol…
En novembre 1781, le rituel d’initiation au grade d’Illuminatus Major (ou Grand Illuminé) est rédigé. Le baron revoit également ceux des grades inférieurs, puis entreprend […] un travail considérable de réorganisation de l’ensemble du Système. Le Système, réformé, amélioré (verbessert), compte à présent douze niveaux successifs, répartis en trois « classes », et agrège pour partie certains grades de la franc-maçonnerie, ce qui doit permettre aux Illuminés […] d’investir en profondeur le réseau maçonnique.
Ce n’est qu’au dernier stade, celui des Grands Mystères, que sont dévoilés aux membres parvenus jusque-là les secrets ultimes de l’Ordre : le rationalisme intégral au plan philosophique, l’égalitarisme au plan social […]. Aux membres ayant accédé aux premiers grades, il est par contre bien spécifié que rien, dans la société secrète, ne va à l’encontre de l’honneur, de la religion ou de l’Etat. […]. Ainsi, il devient graduellement clair pour l’adepte qu’il ne s’agit pas uniquement de travailler à son perfectionnement personnel, mais aussi de peser sur le « gouvernement ». »
Leur stratégie inspire d’autres activistes… jusqu’à Bruxelles
« La plus importante et la plus secrète des organisations mises sur pied par Buonarroti (révolutionnaire, proche de Robespierre) se nomme Le Monde, fondée à Bruxelles en 1828 ou 1829. La structure de la société rappelle fortement celle des Illuminés de Bavière : elle est étagée en plusieurs grades, sur le mode pyramidal, et seul le petit nombre d’initiés formant le grade suprême la contrôlent et la dirigent, tout en restant inconnus des membres des grades inférieurs. […]. La Révolution belge de 1830 […] bénéficie du soutien de cette société secrète. […] Il est en tout cas avéré que fréquentent de très près Buonarroti, à l’époque et à Bruxelles : Louis De Potter, Félix Delhasse (alias Babeuf !), Alexandre Delhasse, Lucien Jottrand ainsi que différents proscrits français de premier plan, exilés à Bruxelles sous la Restauration, tels Sieyès, Barère, le peintre David (révolutionnaire qui s’était rallié à Napoléon), Cambon, le baron Chazal, Cambacérès (qui dirigea la maçonnerie française sous l’Empire)…
Dans une note rédigée à Bruxelles, il dévoile sa stratégie, en tous points semblable à celle de Weishaupt : « Dans le secret réside une grande part de notre force. Aussi faut-il toujours nous couvrir par le nom d’une autre société. Les loges des francs-maçons sont le voile le plus commode pour dissimuler nos buts les plus élevés, parce que le monde est déjà habitué à n’attendre d’elles rien de grand et qui attire l’attention […]. Les grades (maçonniques) sont un moyen de conserver les vrais secrets dans les cercles qui dirigent l’action, les buts finaux de la société n’étant connus que de ses hauts dignitaires, et même seulement de son chef […]. Tout l’édifice rituel a pour fins de dérouter et de décourager les intrusions indiscrètes ou malveillantes. Au contraire, on peut attirer par la confiance dans un aspect mystérieux et protecteur. »
Skull & Bones : l’antichambre du pouvoir
« Le rituel […] s’apparente, à la fin du XIXe siècle, aux rituels maçonniques d’initiation, en particulier au grade de maître. L’impétrant est invité à ne pas porter sur lui de métal – les Skullboniens ignorent pourquoi, mais les francs-maçons savent bien que le futur initié doit, pour entrer en loge, se débarrasser de ses « métaux » (argent, montre…), c’est-à-dire, symboliquement, des préoccupations qui sont les siennes dans le monde « profane » […]. On lui passe un nœud coulant autour du cou – reliquat de l’initiation maçonnique traditionnelle. Puis il subit un simulacre d’exécution par la guillotine. Il est alors jeté dans un cercueil, lequel est ensuite bruyamment frappé à coups de marteau, ceci afin que l’initié soit « ramené à la vie ».
Un « alias » ou nom d’Ordre, comme dans la Stricte Observance templière ou chez les Illuminés de Bavière, est attribué à l’entrant, emprunté aux domaines historique, biblique, littéraire… ou à une mythologie propre à l’Ordre (liée aux supposés exploits sexuels du candidat ou encore à sa taille). Un système de datation et d’horaire particulier vient encore insister sur la coupure avec le monde extérieur : l’heure est l’heure légale moins cinq minutes, l’année est celle de l’ère chrétienne moins 1802.
L’Ordre […] exige également de ses membres une confession orale circonstanciée, dont une étape consiste à dévoiler aux autres sa vie aux plans sentimental et sexuel. Voilà qui, d’une certaine façon, rappelle le Quibus licet ou « permis », confession écrite que l’Ordre des Illuminés réclamait également de ses novices (en franc-maçonnerie, l’usage est de rédiger un « testament philosophique » préliminaire à l’initiation, mais il s’agit bien d’un testament au plan des idées, non d’une confession existentielle).
L’idée d’amélioration de la personnalité est centrale chez les Skullboniens, de même que chez les Illuminés. Entre eux, les membres se nomment « chevaliers d’Eulogie », du nom supposé de la déesse grecque de l’éloquence, et « chapitre 322 », l’orateur et homme d’Etat grec Démosthène étant mort en 322 avant Jésus-Christ. »
Les Illuminati. La réalité derrière le mythe, par Arnaud de la Croix, Racine, 163 p.
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