samedi 1 octobre 2022

Les bons élèves

 

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Si vous avez aimé le règne de Macron I, vous consommerez, jusqu'à son terme, le règne de Macron II, et puisque la constitution ne permettra pas en tout état de cause, un Macron III, préparez-vous à adorer un nouveau superchampion de la technocratie. Nos ministres intègres s'y préparent.

Dans l'histoire contemporaine de la France, les exemples de ces bons élèves arrivés au sommet de la décision politique ne manquent pas. Leurs cursus républicains étaient supposés prolonger, de droit divin, leur [brillant] curriculum studiorum. De la sorte, l'on n'ose presque jamais se souvenir des méfaits que, concrètement, ils ont tous engendrés leur vie durant par leur gestion calamiteuse.

Le plus récent spécimen de ces nuisibles bêtes à concours s'est sans doute appelé Alain Juppé. Chirac, un connaisseur, l'appelait "le meilleur d'entre nous".

À elle seule, une anecdote me semble résumer la modestie de violette caractéristique du personnage. Lors d'une conférence organisée auprès des Français de New York, les organisateurs s'étaient fendus d'un compliment. Leur invité ne partageait-il pas avec tel prédécesseur à Matignon la double qualité d'ancien élève de l'école nationale d'administration, et celle de normalien ? L'intéressé se vexa : "Pardon, avait-il répondu sèchement. Fabius est agrégé de lettres modernes, je le suis de lettres classiques".

Dans l'univers mental de l'oligarchie parisienne on aime à mesurer les mérites républicains à l'aune de leurs classements de jeunesse aux grands concours. Ah ! le bon citoyen celui qui cite encore la fable de La Fontaine, et ne saurait donc prendre Le Pirée pour un homme ! Juppé, lui, n'aurait jamais évoqué par écrit, comme Giscard l'a fait dans un de ses livres, le "combat des Gorgones et des Méduses" !

La liste est longue pourtant des erreurs colossales, aux conséquences durables, auxquelles est associé le nom de Juppé : depuis l'entrée de la Turquie dans le marché unique européen, imposée en 1993... jusqu'aux modalités de la guerre de Libye, négociées par lui en 2011 auprès des Nations Unies... en passant par son plan de sécurité sociale de 1995... sa réforme constitutionnelle de 1996... sa dissolution calamiteuse de 1997. Tout cela, étant postérieur à ses études supérieures, ne compte pas au regard de ses "mérites" eux-mêmes inoxydables, puisque garantis sur diplômes. Depuis qu'il n'est plus ministrable, Macron en a donc fait, au nom de notre reconnaissante république, un membre du conseil constitutionnel.

À la vérité, Giscard d'Estaing, premier président de la république issu de l'Ena n'ajoutait lui-même, à cette qualité, uniquement celle, littérairement moins prestigieuse, d'ancien élève de l'École Polytechnique. Pauvreté n'est pas vice. De Gaulle ne disait-il pas de lui "son problème c'est le peuple". Tout au long de sa carrière, l'homme, au reste doté d'un quotient intellectuel certainement supérieur, bon élève indiscutable, fit hélas preuve d'une intelligence concrète de la politique très au-dessous de la moyenne, à la mesure de sa loyauté. Il mourut en 2020 probablement sans avoir compris pourquoi son interprète russe, le prince Constantin Andronikof, qui fut doyen de l'Institut théologique orthodoxe Saint-Serge, n'accepta pas de l'accompagner quand il imagina de fleurir à Moscou, 45 ans plus tôt, en 1975, le mausolée de Lénine. C'était pourtant la première fois qu'un président français agissait de la sorte. Avait-il appris qui était Vladimir Illitch Oulianov ? Du sang de combien d'hommes, de paysans et de prêtres sa mémoire demeurera éternellement entachée ?

Les prédécesseurs du genre, tombés dans l'oubli, mériteraient au moins de nourrir la réflexion empirique de nos politologues.

Ainsi fut Calonne, malheureux ministre réformateur d'un prince bienveillant, le bon roi Louis XVI. Keynésien avant l'heure, il faisait partie de cette école ministérielle qui vantait la dépense à outrance. Dans le même esprit une certaine pensée stratégique recommandera au début de la guerre de 1914 l'offensive à outrance. Le général Lanrezac résumait cette théorie par la formule "attaquons, attaquons, comme la Lune". Comme celle-ci devait se traduire par des centaines de milliers de jeunes Français "couchés froids et sanglants sur le sol de la Patrie" – on lira avec bénéfice l'article du discours prononcé par Charles Maurras sur la tombe de son ami Léon de Montesquiou – plus aucun militaire ne s'aventure plus aujourd'hui à se réclamer de pareille doctrine.

En revanche, sur le terrain économique, les technocrates cela ose tout c'est même à ça qu'on les reconnaît. C'est ce qui conduisait à multiplier les dépenses pour inspirer confiance aux prêteurs. Pas de munitions ? Feu à volonté ! On devrait donc se souvenir, pourtant, que ce fut l'incapacité du parti ministériel à faire accepter ses brillantes réformes qui amenèrent à la convocation des États Généraux de 1789. On connaît la suite.

La troisième république connut, elle aussi, des vedettes de cette redoutable espèce.

André Tardieu, injustement oublié, cochait en son temps pas mal de cases. Reçu premier au concours de l'École normale supérieure, il en avait dédaigné l'intégration. Il préférera plus tard les administrations successives des Affaires étrangères puis du ministère de l'Intérieur. Parmi les dégâts imputables au personnage, on mentionnera la rédaction du catastrophique traité de Versailles, largement son œuvre et, plus tard l'inoculation au sein de la droite de l'idée, théorisée par lui en 1934, d'une république présidentielle prétendument copiée sur le modèle américain. Plus significatif encore il avait réussi à faire coup double en la même année 1929, par la création de la Ligne Maginot et celle de l'assurance vieillesse obligatoire… Tout cela se flattait d'une rupture avec l'orthodoxie financière au nom de la "prospérité générale" : pour la première fois depuis des années, sa politique produira un budget français déficitaire et l'effondrement du pouvoir d'achat du franc. "L'épargne forcée" mise au point par Tardieu, était appelée à se transformer en 1941 en "retraite des vieux travailleurs", puis en 1945 en "sécurité sociale" gérée par les syndicats, et enfin, sous le gouvernement Juppé de 1995-1997 par la mainmise de Bercy.

Aujourd'hui on sent monter, tel un vent mauvais, d'autres desiderata contradictoires que les technocrates transforment en religion d'État : "sobriété énergétique", sacrifices offerts sur l'autel de la planète, etc. L'un de leurs thuriféraires tient ces dernières semaines la corde en la personne du ministre Le Maire ; d'autres viendront sans doute dans les 5 ans à venir mais celui-là coche bien des cases pour reprendre le flambeau de Tardieu, Chirac et autre Macron. Il suffit de lire sa fiche wikipedia largement rédigée par lui-même. L'intéressé, se définit comme "écrivain et homme politique français" et se caractérise comme "normalien et énarque". De tels "mérites", nonobstant une carrière ministérielle multitâche et dont le bilan reste decevant, devraient sans doute suffire, dans son esprit, à en faire le successeur de saint Louis, et surtout de Jacques Chirac. Seuls des esprits chagrins, tels les journalistes de L'Opinion, des gauchistes pour sûr, ont pu déplorer, en date du 27 septembre, "un budget 2023 en manque de cohérence".

JG Malliarakis 

https://www.insolent.fr/2022/10/les-bons-eleves.html

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