lundi 31 octobre 2022

Rome, de Romulus à Constantin (Yves Roman) – Histoire d’une première mondialisation

 Yves Roman, professeur émérite d’histoire ancienne, est l’auteur de plusieurs ouvrages historiques traitant notamment du Haut-Empire romain.

Dans l’imaginaire collectif, Rome et les Romains sont souvent « résumés » par des clichés. Rome fut fondée par des bergers, des vagabonds, des hors-la-loi, avec une rivalité entre le Palatin et l’Aventin, placée sous les noms emblématiques de Romulus et Rémus, et dans un lieu marécageux. Cela explique le jeu de mots de Cicéron sur « la cité fangeuse de Romulus », un « ramassis » en quelque sorte suivant une idée qui devait être largement répandue en Méditerranée.

Dès l’origine, on peut concéder au populus Romanorum une vue typée, largement caractéristique, identitaire. Sur ces bases, les héritiers des bergers, compagnons de Romulus, allèrent conquérir le monde. Le monde fut alors impérial et, paradoxalement, placé à la discrétion d’une république. Le Sénat et le peuple, pour reprendre les formules canoniques, agissaient de conserve en ce sens. Il restait à organiser le monde. C’est ce que les Romains firent avec opiniâtreté. Cependant, ce ne fut pas sans mal, non à cause de la rébellion des anciens dominés qui devenaient tous les jours davantage les sujets d’un Dominus (Maître), selon l’appellation courante du Prince à partir de Trajan, mais à cause de l’instabilité politique au centre, appelée ou non à durer à chaque changement de « règne ». Une « Belle Epoque » finit cependant par arriver, amenant la stabilité avec les Antonins. Le décloisonnement engendré par la conquête sous la République se transformait en mondialisation. C’est cette aventure qu’examine l’historien Yves Roman en ne négligeant pas les aspects culturel, économique et anthropologique.

Rome, de Romulus à Constantin, Yves Roman, éditions Payot, 553 pages, 28 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/rome-de-romulus-a-constantin-yves-roman-histoire-dune-premiere-mondialisation/48471/

dimanche 30 octobre 2022

Le monde d’Olaf le Saint

 

Le monde d’Olaf le Saint

Les éditions Gallimard ont publié, il y a quelques mois, un nouvel ouvrage dans leur collection L’aube des peuples, qui rassemble un grand nombre de textes fondateurs du monde entier. Il s’agit du deuxième volume de l’Histoire des rois de Norvège de Snorri Sturluson, traduit du vieil islandais par François-Xavier Dillmann, professeur émérite d’histoire et de philologie de la Scandinavie ancienne et médiévale à l’École Pratique des Hautes Études. Ce savant avait publié le premier tome en 2000, ainsi que l’Edda en prose de Snorri, en 1991, toujours dans la même collection. Ces traductions, rendues dans un français superbe et accompagnées de copieux commentaires érudits, offre au lecteur cultivé la possibilité de découvrir les richesses du monde du Nord, peu connu, mais qui constitue pourtant bien l’un des socles de notre civilisation.

Sommet de l’historiographie norroise, la Heimskringla, littéralement « l’Orbe du Monde », connue également sous le nom d’Histoire des rois de Norvège, est sans conteste l’œuvre la plus éminente que le Moyen Âge scandinave nous ait léguée. Ouvrage de taille et traditionnellement divisé en trois parties, ce monument retrace la vie des rois de Norvège, depuis les origines mythiques à la bataille de Ré, en 1177, qui marque la fin d’une longue période de luttes intestines, et l’avènement d’un grand souverain, le roi Sverrir.

Nous devons ce vaste ensemble à l’une des figures parmi les plus fameuses de son temps, l’Islandais Snorri Sturluson (1179-1241), qui fut tantôt historien, poète, récitateur de lois, chef guerrier ou encore mythographe. Cet éminent fils de l’Islande est l’auteur d’une œuvre féconde et puissante. Il rédige vers 1210 l’Edda dite « en prose », un manuel destiné à de jeunes scaldes (« poètes ») qui puise sa matière dans la mythologie des anciens Scandinaves, et demeure pour les historiens des religions un témoin privilégié renseignant sur une mythologie fascinante qui trouve bien des parallèles dans le monde indo-européen. Si l’Edda est un texte scandinave fondateur pour son versant mythique, la Heimskringla l’est tout autant, pour son versant historique. Le lien entre les deux œuvres est encore soutenu par la présence de l’Histoire des Ynglingar qui ouvre la Heimskringla, et qui renvoie la royauté norvégienne à des origines mythiques sinon divines.

Rédigée dans les années 1220, cette histoire décrivant plusieurs âges de la Norvège se présente sous la forme de sagas, au nombre de seize, qui dépeignent chacune la vie de tel ou tel monarque. Il est de coutume, dans la tradition historiographique, de séparer la Heimskringla en trois moments. Cette division est due à l’insertion dans le recueil d’une saga qui tient une place éminente, l’Histoire d’Olaf le Saint. Initialement pensée comme un récit à part entière, cette œuvre est la pièce maîtresse de ce fleuron de la littérature scandinave médiévale.

Pour mener à bien la rédaction de cette Histoire d’Olaf le Saint, Snorri Sturluson s’est appuyé sur la tradition historique consacrée à Olaf (995-1030). Bien des histoires furent composées sur ce souverain, qu’elles relèvent de la légende hagiographique (ainsi la Passio Olavi), ou du récit historique. Selon toute vraisemblance, La plus ancienne histoire d’Olaf le Saint est le texte à partir duquel s’est construit toute l’historiographie. Cette Histoire a inspiré deux œuvres, l’Histoire légendaire de Saint Olaf, mais surtout la Vie du Saint roi Olaf fils Harald, due à l’historien islandais Styrmir le Savant (1170-1245), qui fut un ami de Snorri Sturluson. C’est sur cette œuvre que se fonde ce dernier lorsqu’il élabore son propre récit. Il procède en deux temps, rédigeant d’abord La grande histoire du roi Olaf le Saint. En puisant son inspiration dans un certain nombre de sources norroises (l’Orkneyinga saga, la Færeyinga saga) et latines (le De antiquitate regum Norwegiensium du moine Theodoricus), Snorri Sturluson retravaille en profondeur son histoire d’Olaf. L’ultime version qu’il propose, l’Histoire d’Olaf le Saint, plus tard insérée dans la Heimskringla, doit enfin sa forme définitive à l’insertion de nombreuses strophes scaldiques (environ 180), qui donnent au récit une vivacité formidable – notamment quand les personnages s’expriment à travers ces vers complexes mais raffinés –, ainsi que de puissants atours poétiques qui confèrent à l’œuvre une beauté étincelante. Le résultat dévoile un prosimetrum superbe qui inscrit la vie d’Olaf le Saint au panthéon des lettres scandinaves voire européennes médiévales.

À présent que la lumière a été faite sur les origines de la composition de ce récit et sur son importance au sein du recueil de la Heimskringla, ainsi que dans l’historiographie norroise, il convient de s’attarder sur ce que l’on pourrait appeler le « monde » d’Olaf Fils Harald, également connu sous le nom d’Olaf le Gros, en cherchant à replacer l’histoire de ce souverain qui ne régna qu’une quinzaine d’années dans le contexte européen d’alors, et surtout à travers les nombreux conflits qui opposèrent Olaf à son principal rival, Knut le Grand, roi de Danemark et d’Angleterre, dans la lutte pour le trône de Norvège.

Unification politique

Avant d’aller plus loin dans ces récits d’affrontements pour le pouvoir, il importe de dire que la vie d’Olaf fut rythmée par de nombreuses aventures, pérégrinations, voire exils à travers l’Europe. Contrairement à une idée parfois reçue, la Scandinavie médiévale et les Scandinaves d’alors n’étaient pas isolés dans l’Occident médiéval. Les contacts établis par les vikings au cours de leurs raids à travers l’Europe, l’établissement de certains d’entre eux (ainsi en Normandie avec la création du duché) et les liens tissés avec les cours des grands monarques en Europe étaient bien réels. Olaf s’est ainsi fait baptiser dans la cathédrale Notre-Dame de Rouen en 1014 par le frère du duc Richard II de Normandie, Robert le Danois, archevêque de la ville. La famille ducale est de la parentèle du jeune roi norvégien, ainsi que le rappelle Snorri Sturluson (chapitre 20) : « De Hrolf le Marcheur, descendent les ducs de Rouen, qui se sont longtemps considérés comme apparentés aux souverains de Norvège et qu’ils ont de ce fait tenus en haute estime longtemps durant. Ils furent toujours les plus grands amis des Norvégiens, et tous les Norvégiens qui voulurent en accepter l’offre vécurent chez eux en paix et en tranquillité. »

Avant de se convertir à la foi nouvelle, Olaf mène, dans ses jeunes années, une vie sur les bateaux, ainsi que le font les vikings partant en expédition, et une vie sur terre, où il livre d’âpres combats couronnés de victoires. Il acquiert alors grande renommée. Le futur roi arpente dès l’âge de douze ans bien des régions, s’aventurant ainsi en Suède, en Finlande, au Danemark, en Frise, en Angleterre, en Norvège et en France.

Olaf est le lointain descendant du roi Harald à la Belle Chevelure, qui est considéré comme le fondateur de la dynastie royale norvégienne, traditionnellement crédité de l’unification de la Norvège, à la suite d’une grande bataille livrée à Hafrsfjord en 872. D’autre part, par un lignage commun remontant à ce grand souverain, Olaf Fils Harald a pour parent le roi Olaf Fils Tryggvi. Ce dernier règne de 995 à l’an mil, et s’est fait connaître pour avoir entrepris la christianisation de la Norvège. Olaf Fils Tryggvi tombe à la bataille de Svold, et le royaume est alors partagé entre les couronnes de Suède et de Danemark, avec à la tête de ces territoires deux frères, les ducs Erik fils Hakon et Sven fils Hakon, qui gouvernement respectivement ces zones au nom du roi Sven à la Barbe Fourchue et du roi Olaf le Suédois. À l’époque où se déroule l’histoire d’Olaf Fils Harald, le roi Sven est âgé et meurt en 1014. Son fils Knut le Grand lui succède alors à la tête des royaumes de Danemark et d’Angleterre ainsi que d’une partie de la Norvège.

C’est dans ce contexte de partage de la Norvège, que ses aïeux étaient parvenus à unifier, qu’Olaf Fils Harald rentre au pays, en 1015, afin de recouvrer le royaume qui lui revient de droit. En une année, il parvient à défaire les ducs norvégiens gouvernant pour le compte de ces rois étrangers. Parvenu à la tête de la Norvège et déjà sacré roi, Olaf a pour volonté de régner selon la loi chrétienne. Peut-être a-t-il pour idéal le roi Charlemagne. De manière plus vraisemblable, son intention double, d’unifier politiquement et religieusement la Norvège, doit tenir à son lignage, et s’inscrit dans la continuité des actions menées par les rois Harald à la Belle Chevelure et Olaf Fils Tryggvi en leur temps. Olaf Fils Harald apparaît alors comme une synthèse de ces deux souverains.

Le projet du roi, qui est duel, ne va pas sans rencontrer nombre de difficultés. Pour le versant politique, l’intention du roi, pour asseoir sa légitimité et quérir des alliés hors de Norvège, est de faire un beau mariage. Son regard se porte vers la Suède et la fille du roi Olaf le Suédois. Ce souverain a une aversion pour « ce gros homme », ainsi qu’il le nomme, à tel point qu’il est interdit de parler d’Olaf Fils Harald en sa présence. L’aventure s’annonce difficile, sinon risquée. Au cours d’un long épisode qui relève de la plus grande des missions diplomatiques, de hauts dignitaires ainsi que des poètes parviennent à faire entendre raison au roi des Suédois. L’alliance contractée entre les deux souverains sera prospère, en particulier sous le règne du successeur au trône de Suède, le roi Anund Jacob (1008-1050). Quant à la politique intérieure, Olaf Fils Harald parviendra à s’imposer comme le roi de Norvège. Il soumet à sa volonté les ultimes séditieux de manière violente comme en témoigne l’épisode marquant des cinq rois de l’Oppland, qui seront châtiés pour leur trahison envers le monarque, ainsi que Snorri Sturluson le raconte avec force aux chapitres 74 et 75 de son Histoire d’Olaf le Saint. Tout au long de son règne, le roi Olaf réprimera tel ou tel roitelet récalcitrant, tel ou tel baron frondeur, avec plus ou moins de dureté.

Conquête religieuse

En ce qui concerne le versant religieux, il faut dire que la volonté d’Olaf Fils Harald de christianiser le pays ne fut pas exécutée sans violences ni massacres. Loin d’incarner l’image d’un roi pacificateur, l’action d’Olaf était au contraire empreinte de cruauté. Il a cherché, son règne durant, à imposer par le fer et par le feu la foi nouvelle aux derniers fidèles de l’ancienne religion scandinave. Une vaste et funeste entreprise qui a donné lieu à bien des meurtres, à nombre de mutilations, pour qui n’embrassait pas le christianisme et ne s’en remettait pas à Dieu. Les images de cette conquête religieuse, telles que dépeintes par Snorri Sturluson, sont particulièrement puissantes. L’histoire de la conversion de Gudbrand, le chef du Gudbrandsdalen, aux chapitres 112-113, rapporte comment les deux religions, l’ancienne et la nouvelle, s’affrontent. Dieu apparaît dans une grande lueur, tandis que la statue du dieu Thor est brisée en morceaux. Ce récit iconoclaste est révélateur de cette manière féroce qu’avait le roi Olaf d’imposer le christianisme à la Norvège.

Pendant qu’il cherche à unifier par le pouvoir spirituel et temporel son royaume, le roi Olaf se trouve à partir des années 1024-1025 un nouveau rival, le roi Knut le Grand, souverain de Danemark et d’Angleterre, qui revendique le droit sur une grande partie de la Norvège, sinon sur son intégralité. Malgré une puissante coalition des forces norvégiennes et suédoises face au géant danois, qui s’affrontent sur mer en 1026 lors de la bataille de l’Helgeå – conflit naval qui ne connaitra aucun vainqueur –, Olaf, qui doit rentrer par voie de terre en Norvège – car le monarque danois bloque avec sa flotte le détroit de l’Øresund –, se retrouve affaibli. Deux ans plus tard, Knut le Grand, après être parti en pèlerinage à Rome, débarque en Norvège et assied son autorité en se proclamant nouveau roi du pays. Face à cette puissance contre laquelle il ne peut lutter, Olaf Fils Harald, qui se voit destituer de sa couronne, est contraint à l’exil. Il se réfugie chez son parent, le roi Anund de Suède, avec les hauts dignitaires qui lui sont demeurés fidèles ; la plupart, restée en Norvège, s’étant fait acheter par les nombreux présents du roi Knut et les titres que ce souverain distribue à des barons locaux. Olaf Fils Harald quitte alors la Suède pour la Russie et la cour du prince Jaroslav, qui appartient à la noble dynastie des Riourikides, celle qui a fondé en 862, avec le varègue Riourik, la Rus’ de Kiev.

Après deux années passées en exil, et comme encouragé par l’annonce de la mort du duc Hakon fils Erik, qui assure la régence de la Norvège au nom du roi Knut, Olaf Fils Harald décide de quitter sa retraite slave. Il retourne en Suède pour lever des troupes qu’il conduit à travers le pays pour rentrer en Norvège. Il y rencontre alors une très grande armée constituée de paysans et de chefs locaux, au rang desquels se trouvent des personnages tels que Kalf Fils Arni ou Thorir le Chien, qui furent, longtemps durant, des ennemis d’Olaf. La rencontre de ces deux armées se fait à Stiklestad, dans la région du Trøndelag, et une grande bataille est livrée le 31 août 1030.

Au cours cet affrontement sanglant, qui se fit pour grande partie dans l’obscurité, en raison d’une éclipse solaire, Olaf Fils Harald tombe sous les coups de l’adversaire qui ne souhaite pas le retour du roi. Olaf meurt à l’âge de 35 ans. Le récit de la bataille est relaté par Snorri Sturluson avec un style enlevé, ponctué de strophes scaldiques empruntées au grand poète que fut Sigvat Fils Thord, compagnon de route et ami du roi Olaf, à la gloire duquel il composa un poème funèbre superbe, l’Erfidrápa Óláfs Helga. L’auteur de l’Histoire d’Olaf le Saint, au faîte de son œuvre, renoue pleinement avec la tradition héroïque, thème d’entre tous les thèmes de la littérature germanique ancienne.

Postérité historique et littéraire

Après la bataille le corps du roi est un temps caché, pour ne pas être profané. Une série de miracles est liée au cadavre. Acheminé jusqu’à l’église Saint-Clément de Nidaros, le roi y est inhumé, avant d’être proclamé saint l’année suivant sa mort. Le décès du souverain entraîne bien des répercussions. Tout d’abord quant à son image. L’opinion populaire tourne en sa faveur, notamment en ce qui concerne la manière qu’a le roi Sven fils Knut de Danemark de gouverner la Norvège, avec des lois toujours plus accablantes qui sont imposées. Le peuple norvégien regrette son roi, et le culte du nouveau saint cristallise ce sentiment.

Avec la mort d’Olaf Fils Harald, les grandes monarchies de l’Europe du Nord ne sont toutefois pas pérennes. L’hégémonie danoise, étendue à l’Angleterre et à la Norvège, se désagrège. La terre danoise revient un temps au roi Harde-Knut. L’Angleterre est disputée par ce dernier et son frère Harold qui s’autoproclame roi. La Norvège, enfin, est gouvernée par le roi Sven. Toutefois, devant les lois toujours plus drastiques qu’il met en place, il voit le pays se soulever contre lui et restitue sa couronne. En 1035, Magnus Fils Olaf, prend la tête de la Norvège, cinq ans après la mort de son père. Le jeu de pouvoir ne s’arrête pas là pour Magnus le Bon. Sept années plus tard, il se retrouve également roi de Danemark, par suite d’accords conclus en 1038 avec Harde-Knut. La lignée d’Olaf Fils Harald perdure alors à travers son fils, et s’étend désormais à des territoires que le père avait certainement en vue, lorsqu’il était sur le trône.

Le monde d’Olaf le Saint n’est ni un monde lointain ni un monde tranquille. Il témoigne de luttes pour le pouvoir engageant bien des monarques européens. Sa détermination indéfectible à vouloir rassembler sous sa bannière et sous la croix tout le peuple de Norvège, ainsi que sa canonisation, l’ont conduit à la postérité historique et littéraire. Surnommé à bon droit rex perpetuus Norwegiæ d’après un opuscule de la seconde moitié du XIIe siècle intitulé Historia Norwegiæ, Olaf le Saint voit son souvenir se perpétuer à travers les siècles, comme le roi éternel de la Norvège, son saint patron, fondateur de la nation norvégienne.

Armand Berger – Promotion Dante

Snorri Sturluson, Histoire des rois de Norvège, Tome II : Histoire du roi Olaf le Saint. Traduit du vieil islandais, introduit et annoté par François-Xavier Dillmann, Gallimard 2022, 1248 p., avec un cahier iconographique hors texte de 16 p.

https://institut-iliade.com/le-monde-dolaf-le-saint/

La Russie face à l’Europe, géopolitique et panslavisme

 

Nikolay Danilevski
 

La Russie est-elle une nation européenne au même titre que la France, l’Angleterre ou l’Italie au sein d’une même civilisation ou bien constitue-t-elle une civilisation à part entière, foncièrement distincte ? Il s'agit d'une question éminemment complexe, qui revient sur le devant de la scène à chaque nouveau conflit entre la Russie et l'Europe.

Cette question mérite d’être examinée avec sérieux, à la fois pour comprendre la façon dont la Russie se perçoit face au monde et pour penser les frontières de l’Europe. Pour cette raison, nous examinerons dans cette vidéo les réflexions d’un auteur fondamental dans l’histoire de la pensée politique russe, à savoir Nicolas Danilevski. Connu comme l’un des pères de la pensée « panslaviste », Danilevski a légué à son pays une oeuvre importante qui inspire une bonne partie de l’élite dirigeante russe, une oeuvre qui incarne la position la plus radicalement anti-européenne de la Russie.


Source : Ego Non

https://www.revue-elements.com/la-russie-face-a-leurope-geopolitique-et-panslavisme/

Visages de Verdun (Michel Bernard), très bel album d’hommage aux combattants de la Grande Guerre

 

visages-de-verdun

Michel Bernard, écrivain et haut fonctionnaire, est l’un des meilleurs spécialistes de la Grande Guerre vue par ses combattants-écrivains, notamment Maurice Genevoix.

Le nom de Verdun restera à jamais associé à l’une des plus marquantes batailles de la première guerre mondiale. La bataille de Verdun s’est éternisée de février à décembre 1916. Près de trois cents jours de combats qui ont coûté la vie à environ trois cent mille soldats français et allemands !

Remarquablement bien écrit, ce bel album traite avec humanité de cette confrontation terrible, cruelle, dont nous commémorons le centenaire.

En outre, ce livre regorge d’images saisies par les photographes des armées pour immortaliser les sacrifices de ces hommes venus de tous horizons, y compris des lointaines colonies, pour se battre dans la boue des tranchées à l’appel de la mère patrie.

Qu’est-ce que la France ?, s’interroge l’auteur. « Elle est ce reflet de la mémoire entre deux miroirs de pierre. La pluie, la neige, le vent les usent et les effacent, d’autres mains y gravent à nouveau les mêmes noms, les noms de nos pères et ceux de la terre sur laquelle ils sont morts. », répond-il.

Visages de Verdun, Michel Bernard, éditions Perrin en partenariat avec le Ministère de la Défense, 254 pages, 27 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/visages-de-verdun-michel-bernard-tres-bel-album-dhommage-aux-combattants-de-la-grande-guerre/48635/

samedi 29 octobre 2022

Les tirailleurs sénégalais, avec Anthony Guyon

Les trois piliers de l’eurasisme

 

par Zhar Volokhvin.

L’essence de la pensée eurasienne peut être réduite à trois déclarations globales.

La Russie est une civilisation

La première affirmation, la plus importante, est que la Russie est une civilisation indépendante et originale. Cette affirmation est l’axe autour duquel devrait être construite toute pensée conservatrice (absolument toute la pensée conservatrice, et pas seulement la pensée conservatrice eurasienne). Que nous apporte-t-elle ? Premièrement, nous comprenons que le monde n’est pas global, n’est pas uni, n’est pas homogène. Le monde est composé de nombreuses civilisations, qui ne sont pas réductibles les unes aux autres. C’est-à-dire que les civilisations chinoise, indienne, européenne, américaine, russe – toutes ces civilisations sont égales.

Cela semble être une pensée simple et triviale, mais je suggère de s’y attarder. Si nous regardons le courant dominant qui règne actuellement, que voyons-nous ? Il y a un certain mode de développement occidental : il y a des pays du premier monde, du deuxième, du troisième. Et il serait bon, dans l’optique de l’occidentalisme, que tout le monde devienne à terme comme l’Occident, en suivant un chemin préétabli, c’est-à-dire être des pays du premier monde. Même si l’on écarte le côté pratique de la question, si l’on écarte ce que cette rhétorique est destinée à cacher – l’inégalité colossale entre les pays, le fossé monstrueux, le racisme, si vous voulez – il est évident que dans la formulation même de la question, il y a une erreur, une faille : la division des pays en pays de première – deuxième et troisième catégorie.

L’approche civilisationnelle suggère que toutes les civilisations – c’est la civilisation qui est centrale dans cette approche, et non un pays ou un État, c’est donc la civilisation qui est le sujet de la politique mondiale – sont équivalentes et ne peuvent être réduites les unes aux autres. La civilisation est parfois égale à un pays et/ou à un État, comme dans le cas de la Russie à certaines étapes de son histoire : dans l’Empire russe, en Union soviétique, les frontières de l’État étaient approximativement égales aux frontières de la civilisation. Parfois, une civilisation comprend plusieurs États, mais, d’une manière ou d’une autre, c’est la civilisation qui est le véritable sujet actif, sur le plan historique. Et c’est la civilisation qui est la valeur la plus élevée de l’humanité. Les civilisations peuvent différer par leur caractère, leur style, mais il n’y a pas de hiérarchie entre elles. C’est un point fondamental, il est impossible d’affirmer la supériorité de telle ou telle civilisation sur les autres.

Si nous adoptons un tel point de vue, nous verrons alors une image complètement différente de celle communément admise : nous ne pouvons pas être mondialistes – libéraux, communistes, nationalistes ou quoi que ce soit d’autre (à savoir qu’il est désormais habituel de décrire la réalité du point de vue du mondialisme). Mais nous devons reconnaître la diversité et la complexité qui règnent dans le monde.

De plus, l’approche civilisationnelle est une idée absolument russe et, si l’on veut, principalement une idée russe. Pourquoi ? Elle a été formulée par deux remarquables penseurs russes à la fin du XIXe et au début du XXe siècle : Konstantin N. Leontiev et Nicolas Danilevsky. Peut-on trouver quelque chose de similaire chez d’autres peuples ? Sûrement chez les Européens, par exemple chez les Allemands ? Oui, nous pouvons trouver la phrase du philosophe J. G. Herder, qui ressemble à ceci : « Les peuples émanent des pensées de Dieu ». Cette phrase n’est pas loin de l’approche civilisationnelle. Cependant, il est revenu aux Russes de la formuler comme un concept indépendant.

En nous tournant vers Dostoïevski, qui parle d’humanité universelle, nous trouverons exactement l’idée même qui sous-tend l’approche civilisationnelle. Notons que la toute-humanité de Dostoïevski est souvent comprise de manière simplifiée. La toute-humanité est à la fois un « sens gaulois aigu », et un « génie allemand lugubre », et quelque chose d’autre. Mais ce « quelque chose d’autre » vient certainement d’Europe. Peut-être est-ce quelque chose d’espagnol, de portugais, d’anglais. Mais, si nous nous plaçons sur les positions d’une approche civilisationnelle, il devient nécessaire de reconnaître aussi « quelque chose » d’iranien, de brésilien, de japonais, de chinois… C’est cette sorte de toute-humanité qui est une véritable approche civilisationnelle, et c’est la véritable essence d’une personne russe.

Cependant, dans cette toute-humanité, le Russe ne se dissout pas : il s’ouvre au monde. Il est prêt à percevoir le nouveau, le meilleur – et à refuser ce qui est contraire à sa nature. Dans ce cas, il est absolument libre. Comme un tireur de croix eurasien (rose des vents), qui se dirige dans huit directions à la fois, il en va de même pour un Russe : il se déplace en largeur dans toutes les directions à la fois, y compris dans toute l’immensité du monde, tout en restant russe et eurasien.

C’est la première thèse : la Russie est une civilisation indépendante. Indépendante, originale, irréductible aux autres. Et même si nous supprimons le mot « eurasisme » d’ici, nous pouvons réunir sous ce terme un éventail assez large de penseurs conservateurs et traditionalistes ainsi que des tendances et des courants de pensée. L’idée naturelle pour un humain russe est de ressentir son identité.

L’espace de développement : La volonté de l’espace

La deuxième thèse est plus spécifique. Je la désignerais comme « la volonté de l’espace ». Elle signifie que l’espace n’est pas un paysage mécanique, pas une sorte de carte marquée d’une grille sèche et sans vie, où chaque carré individuel est égal à un autre. L’espace est vivant, il respire. Chaque espace a son propre esprit, son propre genius loci : en conséquence, il existe par sa propre volonté.

Cette approche n’est pas spécifiquement eurasienne, mais trouve son expression originale chez les Eurasiens dans le concept d’« espace de développement » (« mestorazvitie »). Il apparaît simultanément chez Peter N. Savitsky et George V. Vernadsky, reflétant l’attitude des Eurasiens vis-à-vis de l’espace. La Russie-Eurasie se distingue parce qu’elle s’est trouvée dans certaines conditions géographiques qui ont façonné le style de notre peuple, qui comprend de nombreux groupes ethniques, slaves et non slaves. Et ce style particulier qui les unit est formé principalement par la géographie et les conditions historiques. Comme le dit le dicton, « la géographie est une phrase ». Ou, plus exactement, la géographie est un destin. Le destin commun de nos groupes ethniques, causé par la géographie (à savoir, par la volonté de l’espace), est la deuxième thèse – « l’espace de développement » (« mestorazvitie »).

Ethnogenèse : L’union de l’esprit et du sang

Enfin, nous nous tournons vers la troisième thèse spécifiquement eurasienne, qui peut être désignée par le mot « ethnogenèse » : par celle-ci, en parlant un peu plus en détail, nous entendons l’union des Slaves et des Turcs (ainsi que d’autres ethnies eurasiennes), des Forêts et des Steppes (et d’autres zones spatiales).

De tous les Eurasiens, Lev N. Gumilev a particulièrement insisté sur cette position. En effet, l’influence sur la culture russe des Turcs, Tatars, Mongols, qui ont traversé le territoire de notre empire comme un tourbillon ardent – est indéniable. Et leur impact n’a pas été que négatif. Nous voyons non seulement les églises détruites laissées par les Mongols, non seulement l’inimitié qui existait autrefois entre les Tatars et l’État russe. Mais nous voyons aussi la noblesse tatare, qui a fait partie du nouvel État russe, moscovite. Nous observons un certain style hérité de l’empire de Gengis Khan, qui a été adopté par les princes moscovites et préservé par les souverains russes jusqu’à ce jour. Nous reconnaissons certaines tâches historiques, une approche particulière de la conduite de la vie de l’État, qui ne peut nous laisser indifférents. C’est de cela que parlent les Eurasiens.

Une autre chose est que le degré d’influence des Turcs (Tatars, Mongols ou autres groupes ethniques) sur le noyau civilisationnel russe est contesté par de nombreux Eurasiens. Lev Gumilev estime que cette influence est exceptionnellement grande, d’autres Eurasiens sont plus méfiants à son égard, mais tout le monde le reconnaît.

Nous pouvons ajouter de notre côté que l’influence des ethnies turques et slaves n’est pas la seule à être exceptionnellement grande. Pour en revenir au « Conte d’antan », qui décrit le moment de l’organisation de l’État russe, rappelons les tribus qui, selon les annales, s’appelaient Rurik. Qui verrons-nous ? – Les Krivichs, Chud, Merya, Ves’ et Vod’. Ce sont à la fois des tribus slaves et finno-ougriennes. Les peuples finno-ougriens ne devraient pas non plus être privés d’attention : ils étaient au cœur même de l’État russe – et nous avons également adopté d’eux une approche particulière de la vie, un certain style, des mots significatifs, des rituels, des éléments de vêtements et nous conservons encore soigneusement tout cela.

C’est sur ce type d’ethnogenèse, sur l’essence impériale du peuple russo-eurasien, que les Eurasiens insistent. On peut le décrire schématiquement : il existe un certain noyau, fondamentalement slave, et d’autres groupes ethniques sont soigneusement rattachés à ce noyau, ce qui a pour effet de former un seul peuple russo-eurasien, qui existe aujourd’hui – que nous avons porté à travers les siècles.

Il est important de noter que le peuple n’est pas un concept statique. Un groupe de personnes peut se proclamer peuple, mais cela ne suffit pas. Un peuple, c’est un destin commun, des ancêtres communs, des descendants communs, un vecteur commun de développement, un sang commun versé ; parfois ce sang est versé dans des batailles fratricides.

Si nous nous tournons vers l’époque actuelle, nous verrons qu’il n’y a pas si longtemps, les Russes étaient en guerre contre les Tchétchènes, et maintenant les Tchétchènes se disent Russes, et nous les appelons « Russes ». Et quand notre ennemi dit : « Les Russes sont arrivés », il veut aussi dire les Tchétchènes. Quand nos civils entendent : « Akhmat est le pouvoir », ils comprennent : « Les Russes sont venus ! ». Ainsi, le sang commun qui a été versé sur notre terre a une influence unificatrice. Oui, c’est une tragédie. Oui, souvent elle ne passe pas paisiblement, mais elle donne de grandes semences.

Par conséquent, un destin commun, des guerres communes, un objectif historique commun doivent être traités de manière très responsable. C’est précisément ce sur quoi insistent les Eurasiens, et c’est de là que provient notre troisième thèse spécifique. Et si nous voulons être appelés Eurasiens, nous devons l’accepter.

Conclusion

Reprenons depuis le début. Nous avons identifié trois thèses. Si, après avoir lu ceci, vous voulez devenir des Eurasiens, vous devez accepter non seulement la troisième, mais aussi les deux premières. Quelles sont-elles ?

• La Russie est une civilisation indépendante, originale, irréductible aux autres : ni pire ni meilleure, une parmi plusieurs.

• La volonté de l’espace (espace éveloppemental/mestorazvitie) détermine le destin historique du peuple.

• L’Empire russe est le résultat d’une ethnogenèse, au cours de laquelle s’est produite l’union des groupes ethniques slaves, turcs, finno-ougriens et autres, qui ont constitué un seul peuple russe dans toute sa diversité.

source : Katehon via Euro-Synergies

https://reseauinternational.net/les-trois-piliers-de-leurasisme/

L'ORDONNANCE de VILLERS-COTTERÊTS - 1539

Histoire de France (Jacques Bainville)

 

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Jacques Bainville (1879-1936), journaliste et historien, proche de Charles Maurras, fut aussi membre de l’Académie française.

Par cet ouvrage, Jacques Bainville réussit en moins de cinq cents pages à synthétiser deux mille ans d’histoire de France. Il raconte avec talent les grands faits, heureux et malheureux, qui cimentent une nation. Il parvient surtout à exposer avec honnêteté les motifs et les intentions des hommes qui ont conduit les grandes affaires de la France, ce qui est indispensable à la clarté des événements.

Même les lecteurs peu attirés par les livres d’histoire trouveront dans celui-ci, par son style et sa méthode, une explication précieuse du passé français et des personnages qui l’ont façonné.

Histoire de France, Jacques Bainville, éditions Omnia Veritas, 482 pages, 19 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/histoire-de-france-jacques-bainville/48770/

vendredi 28 octobre 2022

Des lettres mortes aux lettres vivantes de la littérature (4/4)

 

Patrice Jean
 

De François Rabelais à Patrice Jean, l’humour est le grand souffle de l’art romanesque, qui l’empêche de mourir. Introduisant une distance avec soi-même, il préserve contre le conformisme et les certitudes idéologiques. Une série de Sylvie Paillat, docteur en philosophie, auteur de la Métaphysique du rire (L’Harmattan, 2014).

Comment la littérature peut-elle tout à la fois représenter le kitsch, les contradictions, les thèses et les antithèses de son époque, l’endroit et l’envers du décor, multiplier tous les points de vue ? Quelle est « cette sagesse du roman1 » qui n’est pas philosophique, c’est-à-dire théorique selon Kundera, et qui initie pourtant son auteur et le lecteur à l’esprit critique, celui qui consiste en ce pouvoir d’intégration des oppositions et des contradictions, des identifications et des rejets, tout en les dépassant et en leur donnant un sens, du moins un dénouement ?

L’écho du rire de Dieu

Concernant la littérature et le roman en particulier, Kundera écrit qu’il « est né non pas de l’esprit théorique mais de l’esprit d’humour2 » et qu’il serait l’écho du rire de Dieu : « Il y a un proverbe juif admirable : ‘‘L’homme pense, Dieu rit.’’ Par cette sentence, j’aime imaginer que François Rabelais a entendu un jour le rire de Dieu et que c’est ainsi que l’idée du premier grand roman européen est née. Il me plaît de penser que l’art du roman est venu au monde comme l’écho du rire de Dieu. Mais pourquoi Dieu rit-il en regardant l’homme qui pense ? Parce que l’homme pense et la vérité lui échappe. Parce que plus les hommes pensent, plus la pensée de l’un s’éloigne de la pensée de l’autre. Enfin, parce que l’homme n’est jamais ce qu’il pense être. C’est à l’aube des Temps modernes que cette situation fondamentale de l’homme, sorti du Moyen Âge, se révèle : Don Quichotte pense, Sancho pense, et non seulement la vérité du monde mais la vérité de leur propre moi se dérobe à eux. Les premiers romanciers européens ont vu et saisi cette nouvelle situation de l’homme, et ils ont fondé sur elle l’art nouveau, l’art du roman.3 »

L’humour, ce trait d’esprit qui consiste avec recul et détachement à dégager les aspects plaisants, fussent-ils parfois tragiques quand celui-ci devient noir, et insolites de la réalité et de nous-mêmes, permet de cultiver le doute et permet de ne rien prendre « au pied de la lettre » afin que les racines de la littérature ne se figent pas ; auquel cas, on retombe dans les lettres mortes d’une littérature stéréotypée, engagée, dogmatique, kitsch. L’humour comme essence décalée prend donc racine dans les objections qu’on s’adresse d’abord à soi-même dès lors qu’on risque de s’enfermer dans des certitudes.

Le rire de Rabelais

L’humour est dans le roman ce grain de sel qui permet d’introduire de l’altérité par le questionnement et de multiplier les points de vue. Il peut aussi déstabiliser les rouages de la fiction romanesque qui seraient trop bien fixés. En tant que style littéraire critique, il introduit ce décalage subtil et constant qui permet à la fois d’y être et pourtant de savoir qu’on n’y est pas tout à fait, de ne plus tout à fait adhérer à la situation ou bien à des théories ou bien à soi-même, de ne plus se prendre trop au sérieux, de ne pas tomber dans ce que Rabelais craignait le plus au monde, les agélastes4. Car, selon Kundera, les agélastes sont les ennemis de la littérature romanesque. Dans Les testaments trahis, il écrit : « Les agélastes, la non-pensée des idées reçues, le kitsch, c’est le seul et même ennemi […]5 » Ils sont nombreux, aujourd’hui comme hier, ceux qui nous assènent leur savoir universitaire, leur certitude idéologique, leur conformisme social que la littérature romanesque intègre au lieu de rejeter. Tous les ingrédients sont ainsi présents pour composer un récit fictif parfois plus vivant en ses lettres humoristiques que la banalité de certaines situations réelles.

Pour ce qui est d’hier, on peut à juste titre se référer à la satire rabelaisienne, à la fois humoristique et comique. Rabelais est le premier pourfendeur des certitudes et conformismes de son époque, notamment ceux des pédants scolastiques et des agélastes en tout genre. Il les met en scène à plusieurs reprises, notamment dans ce fameux passage du Tiers Livre que cite du reste Milan Kundera, où Panurge est tourmenté par la question de savoir s’il doit se marier ou non. Pour le courant humaniste naissant, la question n’est pas anodine. D’une part, Rabelais montre que le mariage devrait être une décision personnelle et non celle de la famille, des autorités sociales, intellectuelles ou cléricales. D’autre part, il met en évidence l’inutilité d’un savoir érudit concernant la question de Panurge qui relève du bon sens. Il écorne au passage la sotte pédanterie livresque des médecins, des voyants (en compagnie de Pantagruel et d’Epistémon, Panurge chemine pendant trois jours pour aller trouver la sibylle de Panzoust), des professeurs, des poètes, des philosophes, qui, au lieu de réfléchir, citent à leur tour Hippocrate, Aristote, Homère, Héraclite, Platon. Kundera conclut ainsi cet épisode qui relève du plus haut comique : « Mais après toutes ces énormes recherches érudites qui occupent tout le livre, Panurge ignore toujours s’il doit ou non se marier. Nous, lecteurs, nous ne le savons pas non plus mais, en revanche, nous avons exploré sous tous les angles possibles la situation aussi comique qu’élémentaire de celui qui ne sait pas s’il doit ou non se marier.6 »

Rabelais n’épargne pas non plus les agélastes scolastiques. Il préconise au contraire une science et une sagesse joyeuses. Il ne faut pourtant pas y voir de la pure dérision et l’apologie de l’ignorance mais plutôt une remise en cause de l’éducation scolastique et d’un discours creux visant à faire de l’effet. Rabelais revient sur la signification du terme apprendre. Il s’agit précisément d’apprendre une certaine conscience critique individuelle qui vise à se distancier de soi-même mais aussi de toute autorité tenant lieu d’argument d’autorité incontournable. Cette attitude critique s’exprime dans la critique moqueuse des théologiens et scolastiques de son époque auxquels Rabelais reproche un apprentissage rhétorique mécanique et répétitif, souvent pédant en visant les gens de la Sorbonne qui se prennent trop au sérieux. L’exemple de maître Janotus de Bragmardo, représentant de la Sorbonne envoyé auprès de Gargantua pour récupérer les cloches de Notre-Dame que ce dernier a volées, illustre la parodie rabelaisienne à l’œuvre pour dénigrer ce pédantisme rhétorique. Ainsi vante-t-il « la substantifique qualité de la complexion élémentaire qui est intronifiquée en la terrestréité de leur nature quidditative7 ». La raillerie rabelaisienne montre donc la nécessité du rire comme distanciation d’avec soi-même et marque de sagesse, quelle que soit l’éminence à laquelle on appartient. La sagesse n’est donc pas du côté de l’érudition mais dans l’usage de la raison et précisément du jugement dont le roman est, par l’humour et le rire mais également la sensibilité, porteur.

La chute d’un homme

Le deuxième exemple, L’homme surnuméraire de Patrice Jean, relève de la littérature contemporaine. Roman satirique à l’humour caustique, il nous montre non seulement la place de ce dernier dans la littérature mais également l’invention d’une nouvelle forme de roman qui intègre en son sein un autre roman lui servant de critique à un double niveau. D’une part dans ce premier roman, L’homme surnuméraire, on découvre les artifices de notre société à travers la famille Le Chenadec. Si Claire et les enfants représentent les idéologies dominantes, la conformité prétentieuse et tocarde de notre société progressiste où le « vivre ensemble », le tourisme bobo comme désœuvrement et vacance absolus et les études standardisés sont devenus un impératif catégorique du bonheur, Serge Le Chenadec représente l’homme en trop, décalé, passéiste, qui ose acheter des tickets pour aller voir le cirque Zavatta avec sa famille à La Baule : « Or, il s’aperçut les jours suivants, que Kilian ne cessait de railler ‘‘les numéros pourris des clowns’’ et de s’indigner des conditions de vie des animaux, soumis à une torture permanente dans le but d’amuser les mômes.8 »

Serge Le Chenadec incarne l’existence dérisoire d’une vie sans transcendance, ni recours à un quelconque engagement politique ou social. Mais, à la différence d’Antoine Roquentin9 qui finalement intellectualise la souffrance d’une existence absurde, désespérée et par conséquent se joue une comédie philosophique existentielle pour occuper son ennui, Serge Le Chenadec la vit, jusqu’à sa chute : « Serge rêvait de déserter la scène quand bien même cette mutinerie équivalait à n’être plus rien. N’être plus rien quand on est un moins que rien, c’est une authentique promotion.10 » Sous le poids d’une société matricielle, féminisée et infantilisée que véhiculent les idéologies « droits-de-l’hommiste », c’est par conséquent la dévalorisation ontologique et sociale du masculin à laquelle on assiste à travers le personnage de Serge Le Chenadec.

Mise en abyme de la bêtise

D’autre part, dans la construction du roman, on découvre un deuxième niveau critique. En effet, L’homme surnuméraire, écrit par un certain Patrice Horlaville, est un roman dans le deuxième roman, une sorte de mise en abyme où le lecteur découvre « la littérature universitaire critique », littérature thématique, théorique et politisée dont notamment L’homme surnuméraire sera l’objet à travers le personnage de l’universitaire Alexandre Corvec11 : « Car, si Sartre ou Camus en savaient autant et plus que cet Horlaville sur la contingence de la condition humaine, ils ne raillaient pas, comme vous devez le savoir, l’engagement politique ni le sens de la solidarité […] On peut donc dire que L’homme surnuméraire représente une double régression : régression à un stade dépassé de la thématique romanesque (le non-sens) et régression à un stade réactionnaire de la fonction romanesque (la raillerie de l’engagement). Ce n’est pas, selon moi, l’homme qui est surnuméraire, mais le roman de Patrice Horlaville. (Hilarité de l’amphithéâtre).12 »

Cette deuxième histoire qui enclot la première permet donc à Patrice Jean de mettre en perspective une véritable observation et réflexion critiques, critique sociale, critique du kitsch contemporain, critique de la littérature universitaire, critique surtout de la prégnance idéologique comme imposture, y compris dans le milieu de l’édition à travers un chapitre consacré à « la littérature humaniste13 ». Pris dans cet étau idéologique, le « rewriter », incarné dans le roman par le personnage de Clément et employé par les éditions Gilbert Langlois, est lui-même conduit à censurer les œuvres anciennes, non en les interdisant mais en proposant de réécrire certains passages à l’aune de la bien-pensance. Ne sont-ce pas là les prémices de la future « littérature humaniste » finalement déjà en germe, si l’on s’en tient à la récente polémique médiatique autour du titre de l’œuvre d’Agatha Christie, Dix petits nègres, rebaptisé Et ils étaient dix ?

Le roman ne peut pas mourir

On peut ainsi conclure que si les lettres mortes de la littérature, en surproduction de nos jours, se ramassent à la pelle, toutes ne sont pourtant ni mortes, ni à jeter. Le roman de Patrice Jean en témoigne : « La littérature est cet art qui unit l’être et le connaître, par l’humour, par l’émotion, par la sensibilité.14 » Elle l’est d’autant plus que là où beaucoup annoncent sa fin, du moins celle du roman, preuve est encore faite du contraire. En effet, Patrice Jean intègre dans son roman ce qui pourrait aujourd’hui signer la fin de la littérature, à savoir cette littérature idéologique dite humaniste. Le rôle de la littérature, du romancier, de l’écrivain, n’est-il pas justement d’observer ce qui est, notamment ce qui devient symptomatique, de le retranscrire par les mots, quel que soit le genre littéraire choisi, et par là-même, de transformer ce qui pourrait rester lettre morte en une dynamique littéraire créatrice de lettres vivantes ? Muray écrit ainsi : « Le roman ne peut pas mourir : sa propre mort est intégrable à lui-même. Le roman n’est jamais renouvelé par la littérature, mais par la réalité qu’il sait romanesquement démantibuler.15 »

Mais si cette réalité venait à disparaître, notamment sous les effets d’une idéologisation généralisée dont la philosophie n’est pas épargnée, si, de surcroît, pour reprendre les termes de Jean Baudrillard dans Simulacre et simulation, la carte venait à précéder le territoire, alors que deviendrait la littérature romanesque ? Lettres virtuelles composées à partir de la simulation du réel ou bien définitivement lettres mortes ?

© Photo : Benjamin de Diesbach – Patrice Jean

1. M. Kundera, « Discours de Jérusalem ».
2. Ibid.
3. M. Kundera, « Discours de Jérusalem », ibid.
4. Le terme « agélaste » est une invention de François Rabelais que l’on retrouve notamment dans le Quart Livre . Il signifie celui qui ne rit pas, celui qui ne sait pas rire, celui qui n’a pas le sens de l’humour. Il peut donc particulièrement désigner ces snobs dont la prétention intellectuelle n’a d’égale que le discours sophistique filandreux qu’ils entretiennent.
5. M. Kundera, Les testaments trahis, Paris, Gallimard, 1993, pp. 174 et 198.
6. M. Kundera, « Le rire de Dieu » in « Discours de Jérusalem », ibid.
7. F. Rabelais,  Gargantua, Paris-Genève, Slatkine, 1995, p. 83.
8. Patrice Jean, L’homme surnuméraire, ibid., p. 11.
9 J.-P. Sartre, La nausée, Paris, Gallimard, 1938.
10. P. Jean., ibid., pp. 149-150.
11. On relèvera au passage que l’amalgame entre Camus et Sartre à propos de l’engagement est un stéréotype que le milieu universitaire a souvent  relayé et entretenu.
12. Ibid., pp. 111-112.
13. Ibid., p. 197 à 253. Cette littérature humaniste n’a rien à voir avec le courant humaniste propre à la Renaissance. Il s’agit, pour reprendre en ses termes les propos du rewriter Clément, « d’une collection prétendument humaniste (comme si l’humanisme se fût réduit à un bréviaire de boy-scouts). p. 244.
14. Ibid., p. 346.
15. P. Muray, Désaccord parfaitIbid., p. 45.

https://www.revue-elements.com/des-lettres-mortes-aux-lettres-vivantes-de-la-litterature-4-4/

jeudi 27 octobre 2022

Paganisme et philosophie de la Viechez Knut Hamsun et David Herbert Lawrence 3/3

  

Lawrence, lui, perçoit surtout la césure par rapport au mystère cosmique. Le christianisme renforce cette césure, empêche qu'elle ne se colmate, empêche la cicatrisation. Pourtant, la religiosité européenne conserve un résidu de ce culte du mystère cosmique : c'est l'année liturgique, le cycle liturgique (Pâques, Pentecôte, Feux de la Saint-Jean, Toussaint et Jour des Morts, Noël, Fête des Rois). Mais celui-ci a été frappé de plein fouet par les processus de désenchantement et de désacralisation, entamé dès l'avènement de l'église chrétienne primitive, renforcé par les puritanismes et les jansénismes d'après la Réforme. Les premiers chrétiens ont clairement voulu arracher l'homme à ces cycles cosmiques. L'église médiévale a cherché au contraire l'adéquation, puis, les églises protestantes et l'église conciliaire ont nettement exprimé une volonté de retourner à l'anti-cosmisme du christianisme primitif.

Lawrence : « But now, after almost three thousand years, now that we are almost abstracted entirely from the rhythmic life of the seasons, birth and death and fruition, now we realize that such abstraction is neither bliss nor liberation, but nullity. It brings null inertia » (Mais aujourd'hui, après près de 3.000 ans, maintenant que nous nous sommes presque complètement abstraits de la vie rythmique des saisons, de la naissance, de la mort et de la fécondité, nous comprenons enfin qu'une telle abstraction n'est ni une bénédiction ni une libération, mais pure nullité. Elle ne nous apporte rien, si ce n'est l'inertie). Cette césure est le propre du christianisme des civilisations urbaines, où il n'y a plus d'ouverture sur le cosmos. Le Christ n'est dès lors plus un Christ cosmique, mais un Christ déchu au rôle d'un assistant social. Mircea Eliade parlait, lui, d'un “Homme cosmique”, ouvert sur l'immensité du cosmos, pilier de toutes les grandes religions. Dans la perspective d'Eliade, le sacré est le réel, la puissance, la source de la vie et la fertilité. Eliade : « Le désir de l'homme religieux de vivre une vie dans le sacré est le désir de vivre dans la réalité objective ».

La leçon idéologique de Hamsun et de Lawrence
Sur le plan idéologique et politique, sur le plan de la Weltanschauung,  les œuvres de Hamsun et de Lawrence ont eu un impact assez considérable. Hamsun a été lu par tous, au-delà de la polarité communisme/fascisme. Lawrence a été étiquetté "fasciste" à titre posthume, notamment par Bertrand Russell qui parlait de sa madness ("Lawrence was a suitable exponent of the Nazi cult of insanity" : Lawrence était un exposant typique du culte nazi de la folie). Cette phrase est pour le moins simpliste et lapidaire. Les œuvres de Hamsun et de Lawrence s'inscrivent dans un quadruple contexte, estime Akos Doma : celui de la philosophie de la Vie, celui des avatars de l'individualisme, celui de la tradition philosophique vitaliste, celui de l'anti-utopisme et de l'irrationalisme.

  1. La philosophie de la Vie (Lebensphilosophie) est un concept de combat, opposant la "vivacité de la vie réelle" à la rigidité des conventions, jeu d'artifices inventés par la civilisation urbaine pour tenter de s'orienter dans un monde complètement désenchanté. La philosophie de la Vie se manifeste sous des visages multiples dans la pensée européenne et prend corps à partir des réflexions de Nietzsche sur la Leiblichkeit (corporéité).
  2. L'individualisme. L'anthropologie de Hamsun postule l'absolue unicité de chaque individu, de chaque personne, mais refuse d'isoler cet individu ou cette personne hors de tout contexte communautaire, charnel ou familial : il place toujours l'individu ou la personne en interaction, sur un site précis. L'absence d'introspection spéculative, de conscience, d'intellectualisme abstrait font que l'individualisme hamsunien n'est pas celui de l'anthropologie des Lumières. Mais, pour Hamsun, on ne combat pas l'individualisme des Lumières en prônant un collectivisme de facture idéologique. La renaissance de l'homme authentique passe par une réactivation des ressorts les plus profonds de son âme et de son corps. L'enrégimentement mécanique est une insuffisance calamiteuse. Par conséquent, le reproche de "fascisme" ne tient pas, ni pour Lawrence ni pour Hamsun.
  3. Le vitalisme tient compte de tous les faits de vie et exclut toute hiérarchisation sur base de la race, de la classe, etc. Les oppositions propres à la démarche du vitalisme sont : affirmation de la Vie/négation de la Vie ; sain/malsain ; organique/mécanique. De ce fait, on ne peut les ramener à des catégories sociales, à des partis, etc. La Vie est une catégorie fondamentalement apolitique, car tous les hommes sans distinction y sont soumis.
  4. L'irrationalisme reproché à Hamsun et à Lawrence, de même que leur anti-utopisme, procèdent d'une révolte contre la faisabilité (feasability : Machbarkeit), contre l'idée de perfectibilité infinie (que l'on retrouve sous une forme “organique” chez les Romantiques de la première génération en Angleterre). L'idée de faisabilité se heurte à l'essence biologique de la nature. De ce fait, l'idée de faisabilité est l'essence du nihilisme, comme nous l'enseigne le philosophe italien contemporain Emanuele Severino. Pour Severino, la faisabilité dérive d'une volonté de compléter le monde posé comme étant en devenir (mais non un devenir organique incontrôlable). Une fois ce processus de complétion achevé, le devenir arrête forcément sa course. Une stabilité générale s'impose à la Terre et cette stabilité figée est décrite comme un "Bien absolu". Sur le mode littéraire, Hamsun et Lawrence ont préfiguré les philosophes contemporains tels Emanuele Severino, Robert Spaemann (avec sa critique du fonctionnalisme), Ernst Behler (avec sa critique de la perfectibilité infinie) ou Peter Koslowski (cf. NdSE n°20), etc. Ces philosophes, en dehors d'Allemagne ou d'Italie, sont forcément très peu connus du grand public, d'autant plus qu'ils critiquent à fond les assises des idéologies dominantes, ce qui est plutôt mal vu, depuis le déploiement d'une inquisition sournoise, exerçant ses ravages sur la place de Paris. Les cellules du "complot logocentriste" sont en place chez les éditeurs, pour refuser les traductions, maintenir la France en état de "minorité" philosophique et empêcher toute contestation efficace de l'idéologie du pouvoir.

Nietzsche, Hamsun et Lawrence, les philosophes vitalistes ou "anti-faisabilistes", en insistant sur le caractère ontologique de la biologie humaine, s'opposent radicalement à l'idée occidentale et nihiliste de la faisabilité absolue de toute chose, donc de l'inexistence ontologique de toutes les choses, de toutes les réalités. Bon nombre d'entre eux — et certainement Hamsun et Lawrence — nous ramènent au présent éternel de nos corps, de notre corporéité (Leiblichkeit). Or nous ne pouvons pas fabriquer un corps, en dépit des vœux qui transparaissent dans une certaine science-fiction (ou dans certains projets délirants des premières années du soviétisme [cf. les textes qu'ont consacrés à ce sujet G. Galli et A. Douguine in NdSE n°19]).

La faisabilité est donc l'hubris [démesure] poussée à son comble. Elle conduit à la fébrilité, la vacuité, la légèreté, au solipsisme et à l'isolement. De Heidegger à Severino, la philosophie européenne s'est penchée sur la catastrophe qu'a été la désacralisation de l'Être et le désenchantement du monde. Si les ressorts profonds et mystérieux de la Terre ou de l'homme sont considérés comme des imperfections indignes de l'intérêt du théologien ou du philosophe, si tout ce qui est pensé abstraitement ou fabriqué au-delà de ces ressorts (ontologiques) se retrouve survalorisé, alors, effectivement, le monde perd toute sacralité, toute valeur. Hamsun et Lawrence sont les écrivains qui nous font vivre avec davantage d'intensité ce constat, parfois sec, des philosophes qui déplorent la fausse route empruntée depuis des siècles par la pensée occidentale. Heidegger et Severino en philosophie, Hamsun et Lawrence au niveau de la création littéraire visent à restituer de la sacralité dans le monde naturel et à revaloriser les forces tapies à l'intérieur de l'homme : en ce sens, ils sont des penseurs écologiques dans l'acception la plus profonde du terme. L'oikos [environnement naturel considéré comme habitat] et celui qui travaille l'oikos recèlent en eux le sacré, des forces mystérieuses et incontrôlables, qu'il s'agit d'accepter comme telles, sans fatalisme et sans fausse humilité. Hamsun et Lawrence ont dès lors annoncé la dimension géophilosophique de la pensée, qui nous a préoccupés tout au long de cette université d'été. Une approche succincte de leurs œuvres avait donc toute sa place dans le curriculum de 1996.  

Robert Steuckers, Vouloir n°142/145, 1998.

(conférence prononcée lors de la IVe université d'été de la FACE, Lombardie, juil. 1996)

http://www.archiveseroe.eu/lettres-c18386849/42

Les forces militaires arméniennes dans l’Empire byzantin (Armen Ayvazyan)

 

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Armen Ayvazyan, Docteur en Histoire et en Sciences politiques, est l’auteur de nombreux articles et ouvrages consacrés à l’histoire arménienne.

L’ouvrage d’Armen Ayvazyan est composé de deux études, traitant d’aspects de l’histoire militaire romaine et arménienne souvent négligés, qui sont distinctes mais dont les thématiques se recoupent.

Ces études sont consacrées à la révolte arménienne de 538-539 contre le gouvernement de l’Empereur Justinien et aux raisons qui motivent son omission dans le Strategikon de l’Empereur Maurice, l’un des plus célèbres traités byzantins de l’art de la guerre. L’auteur met aussi en perspective des aspects cruciaux de la culture militaire de Rome et de l’Arménie du quatrième au sixième siècle.

Ce sujet, très peu étudié, est examiné de façon pluridisciplinaire par l’auteur sur base des sources arméniennes et occidentales. Ce livre nous apprend notamment les tactiques favorites utilisées par les Arméniens entre les V et VIème siècles pour lutter contre des forces ennemies supérieures en nombre. La redoutable efficacité au combat des forces militaires arméniennes fut rarement contestée. De l’antiquité jusqu’au XIème siècle de notre ère, l’Arménie a possédé l’une des armées les plus expérimentées, les plus efficaces et les plus organisées de tout le Proche-Orient. L’auteur souligne également la continuité entre les politiques romaine et byzantine s’opposant à l’indépendance de l’Arménie et perpétuant pour des motifs essentiellement géopolitiques certains préjugés ethniques à l’égard des Arméniens installés dans les sociétés romaine et byzantine.

Ce livre fournit aussi une étude concise mais fouillée des relations militaires entre Byzance, l’Arménie et l’Iran.

Les forces militaires arméniennes dans l’Empire byzantin, Armen Ayvazyan, éditions Sigest, 152 pages, 14,95 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/les-forces-militaires-armeniennes-dans-lempire-byzantin-armen-ayvazyan/48884/

mercredi 26 octobre 2022

Les leçons de réalisme de Gustave Thibon

 

Les leçons de réalisme de Gustave Thibon
Les Jeudis de l'Iliade du 6 octobre 2022. Les leçons de réalisme de Gustave Thibon. Présentation de Retour au réel, par Romain Robert-Primo.

Loin des salons d’intellectuels et des universités d’État, Gustave Thibon (1903-2001) a incarné, dans sa vie et dans son œuvre, la figure du philosophe et poète paysan. Cet autodidacte, formé par la lecture de Nietzsche, a écrit, en 1943, un « essai de physiologie sociale » qui fait suite aux Diagnostics écrits trois plus tôt.

Retour au réel n’est ni une somme de philosophie, ni un traité de morale : c’est un appel à retrouver le réalisme, cette sagesse qui liait les anciens aux réalités physiques et métaphysiques, et qui manque tellement aux modernes abreuvés d’idéaux révolutionnaires. Rien n’est plus mortel, pour les civilisations, que les abstractions désincarnées, car on élève d’autant plus haut l’idéal qu’on ne le réalise pas dans sa vie. Détaché de ses liens vitaux avec ses « communautés de destin », l’homme est condamné à mourir. Dans une époque plus atomisée que jamais, qui a détruit ce qui restait de communauté organique, les leçons de réalisme de Gustave Thibon doivent être redécouvertes avec le plus grand intérêt.

Voir aussi

https://institut-iliade.com/les-lecons-de-realisme-de-gustave-thibon/

Rome ou Babel / La figure de Tolkien

 

Tolkien sur radio courtoisie

Dans son Libre Journal de la Nouvelle Droite du 18 octobre 2022, Thomas Hennetier interrogeait Laurent Dandrieu, auteur de Rome ou Babel (Artège), sur la possibilité d’un christianisme enraciné, puis évoquait la figure de Tolkien en compagnie d’Armand Berger, coordonnateur du Nouvelle École n°70 consacré à l’auteur du Seigneur des anneaux.

950ème anniversaire de la bataille d’Hastings

 

Statue de Guillaume le Conquérant à Falaise
@Arnaud Guérin – Lithosphere

Cette année, la Normandie célèbrera le 950ème anniversaire de la bataille d’Hastings, célèbre victoire de Guillaume le Conquérant, Duc de Normandie, sur le roi Harold d’Angleterre, immortalisée par la tapisserie de Bayeux.

En septembre 1066, des centaines de navires ont quitté la Normandie et franchit la mer à la conquête de l’Angleterre. Après leur traversée de la Manche, les troupes de Guillaume débarquent sur la plage en pente de Pevensey. Des navires sortent des chevaux en quantité impressionnante. Le campement s’installe.

Le matin du 14 octobre 1066, Guillaume a revêtu son armure. Il adresse une harangue à ses hommes, place ses Normands au centre, avec leurs alliés bretons sur un flanc, les Français et les Flamands sur l’autre. Les lignes sont formées et une retentissante sonnerie de trompettes annonce le début des hostilités. Un escadron de chevaliers déclenche sa première charge. La bataille est longue et sanglante. Les sources écrites révèlent que le duc Guillaume perdit deux ou trois chevaux au cours des combats et dut en enfourcher d’autres. Le carnage de Hastings commença à la troisième heure après l’aube et se poursuivit toute la journée. La résistance des Anglais est farouche et déterminée. Mais les archers normands vont commencer à faire céder les Anglais et permettre à un groupe de chevaliers normands d’atteindre et de tuer le roi Harold. Le soir venu, la victoire de Guillaume est totale et reste légendaire pour tout Normand.

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