Il faut être atteint d'une singulière forme de myopie pour ne pas prendre acte du retour de la guerre froide.
Or, dans ce contexte factuellement indiscutable, et que beaucoup d'Européens considèrent comme un "périlleux retour des blocs", ses conséquences inéluctables sont douloureusement ressenties ces temps-ci par les souverainistes français.
C'est dans ces termes en effet que la guerre d'Ukraine est analysée par l'un des plus actifs d'entre eux, Jacques Myard. Dans son message du 29 août 2022, sous le titre "Guerre en Europe",il note ainsi: "La guerre est de retour en Europe, depuis 6 mois l’intervention russe en Ukraine provoque de multiples réactions et condamnations de la part des opinions publiques européennes et occidentales. À leurs yeux, Vladimir Poutine est l’agresseur et porte une lourde responsabilité dans ce qui est au regard du droit international une agression indubitable." Longtemps député des Yvelines, maire de Maisons-Laffitte, président du Cercle Nation et République et président, enfin, de l'Académie du Gaullisme il connaît le poids des mots.
Ainsi, au mot de « gaullisme », étiquette fourre-tout que quant à moi je ne revendique pas du tout, me semble associée historiquement, avant tout, une idée, elle très légitime. Elle figurait en exergue d'un hebdomadaire aujourd'hui disparu, alors fort antigaulliste, et que notre jeunesse militante vendait à la criée le dimanche matin, à l'époque de la guerre d'Algérie. « De toutes les libertés humaines, écrivait en effet Charles Maurras, la plus précieuse est l'indépendance de la patrie. »
Sur ce terrain nous pourrions nous retrouver tous... à condition de s'entendre sur le sens des mots.
Indépendance de la patrie, idée que le maître de Martigues incorpore ici à celle des libertés humaines, cela ne peut pas être considéré comme un synonyme de souveraineté de l'État. La "souveraineté" n'est en effet qu'une fiction, un os à ronger accordé aux petits pays faussement "indépendants", où l'administration bureaucratique d'un État central n'exerce en fait sa "souveraineté", ordinairement centraliste, qu'à l'encontre de ses seuls nationaux. Ainsi en est-il de la plupart des "décolonisés" pseudo indépendants, car dotés d'un drapeau, d'un hymne national et d'une compagnie aérienne.
Cet ersatz, – dont le vrai nom n'est pas je le répète "indépendance" mais "souveraineté" –, ne doit pas être confondu avec la véritable indépendance, telle que définie dans le livre fondamental de François Perroux "Indépendance de la nation".
Publié en 1969 (302 pages, éd. Aubier-Montaigne) il était "inspiré par une préoccupation centrale : quel avenir peut-on concevoir pour l'Europe, et pour la France en particulier, dans un monde de plus en plus dominé par l'énorme puissance économique des États-Unis d'Amérique ?" (cf. Claude Jessua dans Le Monde du 16 décembre 1969 [https://www.lemonde.fr/archives/article/1969/12/16/independance-de-la-nation-1_2408503_1819218.html]. On lira aussi son entretien avec Philippe Simonnot publié dans Le Monde du 2-3 novembre, à l'occasion de la parution [https://www.lemonde.fr/archives/article/1969/11/03/il-faut-se-soustraire-a-l-obsession-que-le-systeme-economique-americain-est-le-seul-possible-nous-declare-m-francois-perroux_2442244_1819218.html])
Dans ce livre, François Perroux démontre essentiellement que "l'indépendance" doit être en réalité considérée comme la "modalité forte de l'interdépendance", c'est-à-dire qu'aujourd'hui un pays indépendant, c'est un pays doté d'une production industrielle, et d'une technologie puissantes, un pays disposant de forces armées et d'une industrie de défense, nécessairement exportatrice, etc.
En 2008, votre chroniqueur s'était permis de s'interroger à propos de "Maurras père putatif des souverainistes. Mais l'ont-ils seulement lu?" (cf. L'Insolent du 16 janvier 2008 https://www.insolent.fr/2008/01/maurras-pre-put.html). Article d'humeur, certes, mais que je ne renie pas. Près de 15 ans plus tard, une telle question se pose un peu différemment.
Le souverainisme en effet ce n'est pas du tout l'indépendance, c'est au contraire son échec. Le mot est apparu au Québec en 1967, année du fameux "Vive le Québec libre", mais aussi année où René Lévesque, politicien québécois issu du parti libéral fonde le Mouvement Souveraineté-Association. Il va entraîner la Belle Province dans une voie de traverse, en rupture avec celle de l'Union nationale, jugée trop réactionnaire. Quand il prend le pouvoir, en 1976, "l'indépendantisme de gauche" de son Parti québécois va l'amener à chercher "un mandat pour négocier avec le gouvernement fédéral une entente de souveraineté-association". Ceci conduira au référendum désastreux de mai 1980, cette option tarabiscotée est repoussée par 59,56 % de non. Naufrage total.
Dans une prochaine chronique je me permettrai donc de solliciter la patience du lecteur, cherchant à explorer la question de l'indépendance française et européenne sur le terrain militaire, en regard du contexte actuel, dominé par la situation incontournable de la nouvelle guerre froide, en quête de ce qu'on appelle "l'OTAN 2.0"...
JG Malliarakis
https://www.insolent.fr/2022/09/le-sens-de-lindependance.html
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