vendredi 2 septembre 2022

Le prophète des patries charnelles

 

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Qu’il affronte les éléments déchaînés, les meutes de chars d'assaut ennemis ou la solitude hostile des grands espaces, le héros de Saint-Loup est un homme qui tire du plus lointain de son sang la volonté d'aller jusqu'au bout. Cette œuvre, marquée par un retour au paganisme ancestral, possède une force peu com­mune et une unité profonde. De tous les thèmes que traita cet écrivain-aven­turier, le plus significatif et aussi le plus nécessaire reste sans doute celui qu'il nomme « le cycle des patries charnelles ».

S'il y eut un écrivain “engagé”, selon la formule lancée au lendemain de la guerre par des idéologues en pan­toufles, ce fut bien Saint-Loup qui se lança, à corps et âme perdus, dans toutes les aventures de son siècle, le sport, la politique, la guerre, et tira ses livres du plus extrême d'une expérien­ce vécue, faisant de chacun d'eux une sorte de manifeste illustrant, par la vie même de ses personnages, sa propre conception du monde, lentement écha­faudée au hasard des rencontres et des combats. Il n'eut jamais l'esprit “gens de lettres”, cet écrivain pour qui semble écrite la vieille chanson fla­mande :

« De cuir est ma peau première
D'acier ma seconde peau… »

Nietzschéen

Il vagabonda au Sahara et en Lapo­nie, il parcourut la Biélorussie quand c'était dangereux et la Patagonie quand ce n'était pas à la mode, il passa des paisibles collines de Haute-Provence à l'enfer de fer et de feu de Berlin écrasé par les “Forteresses volantes” alliées, il fut homme de plein vent et de grand risque. Émergeant du Gotterdämmerung, le crépuscule des dieux, il dédia, plus que jamais, toute son œuvre à l'exaltation du “surhomme”, faisant sienne là volonté de puissance et l'anti-christia­nisme résolu du vieux Nietzsche, après avoir été le compagnon de Jean Giono au temps des rencontres du Contadour. Lyrique, mystique même, mais organisé et têtu, Saint-Loup ordonna son œuvre avec la rigueur géométrique d'un bâtisseur médiéval.

Cette œuvre comprend une demi­-douzaine de romans et de reportages sur la montagne et le ski, une trilogie sur les géants de l'automobile, une dizaine de récits épiques sur la Seconde Guerre mondiale, où il a réussi à conju­guer magnifiquement la poésie et l'his­toire, et enfin cette évocation des “patries charnelles” qui sont peut-­être ce qu'il apporte de plus original à la famille politique où les événements du dernier conflit l'ont un peu injuste­ment enfermé.

Dans un milieu qui, par irréflexion et par habitude, a toujours confondu les notions différentes de patrie, de nation et d'État, il a le mérite de poser un pro­blème capital, essentiel, incontour­nable, sans se soucier des réactions que peuvent provoquer quelques siècles de centralisation monarchique, napoléo­nienne ou jacobine. Écologiste intégral, il estime que la Nature a créé un envi­ronnement imprescriptible, minéral, végétal et animal (c'est-à-dire aussi, bien entendu, humain) dont les forêts et les peuples portent témoignage.

Les nouveaux cathares

Ce visionnaire se veut aussi scienti­fique que littéraire ; s'il se laisse sou­vent emporter par le torrent de son lyrisme, il défend la cause des ethnies menacées avec la rigueur exigeante d'un matérialisme éclairé. Il est sans doute aussi darwinien que nietzschéen. À l'appui de cette véritable hantise, rendue encore plus aiguë par l'appari­tion inéluctable de ce que Gobineau appelait « le monde gris », il va se lancer dès 1969, au lendemain de la pseudo-révolution de mai 68, prélude du libéralisme pleurnichard actuel. dans une série de livres consacrés aux nations “minoritaires” et “inter­dites” en lutte pour leur survie.

Le coup d'envoi fut donné superbe­ment par les Nouveaux Cathares pour Montségur, saga occitane, qui connut un succès indéniable. L'année suivante, il quitta l'hexago­ne pour le Proche-Orient et publia Le Sang d'Israël. Ce livre fut suivi en 1971 par Pas de pardons pour les Bretons. Il songea alors à des ouvrages sur les Basques, les Corses, les Flamands, les Alsa­ciens, les Bourguignons, les Nor­mands, mais le temps lui manquait pour ses enquêtes dans les milieux autonomistes. Il craignait aussi un peu de se répéter. Aussi La république du Mont-Blanc, son dernier livre, paru en 1982, termine-t-il la série et nous appa­raît aujourd'hui comme une sorte de testament.

S'inspirant très largement des péré­grinations de l'Allemand Otto Rahn, qui avait écrit avant la guerre Croisade contre le Graal et surtout La cour de Lucifer, Saint-Loup donne une inter­prétation toute personnelle de l'aventure cathare, dans laquelle il décèle l'influence des Wisigoths et la survie de la religion germanique primitive. Dans un Languedoc complètement transposé par le mythe fondateur qu'instaure le romancier, s'affrontent entre 1937 et 1968 des héros qui sont autant de porte-parole de l'auteur. Ses hérétiques se veulent aussi et surtout des patriotes occitans, conscients de posséder une langue, une culture, un esprit fort différents du mode de vie que veulent leur imposer depuis le XIIIe siècle les gens du Nord. Ce livre est celui de la grande revanche contre Simon de Montfort. Il s'inscrit dans le cadre des événe­ments tragiques de la Seconde Guerre mondiale et nous y découvrons de sin­guliers miliciens, qui ne sont certes pas “catholiques et français toujours”, comme le proclamait naguère un pieux cantique fort tricolore. Leur seul dra­peau est le sang et or, brandi autrefois par les seigneurs “toulousains” devenus “faydits” lors de la défaite de leur pays. Leurs héritiers interprètent à leur manière la “révolution” de 68 et ce n'est pas la moindre originalité de Saint-Loup de nous donner une lecture régionaliste, ésotérique et écologiste, d'une prise de conscience qui pour lui ne saurait être parisienne et encore moins cosmopolite.

Le succès de ces Nouveaux cathares pour Montségur - et aussi la mode du temps - poussèrent alors Saint-­Loup à écrire Le Sang d'Israël qui semble avoir aujourd'hui quelque peu vieilli. Autant le personnage de Yehuda Preuss, le conquérant juif qui veut bâtir envers et contre tout le Grand Israël, possède beaucoup de force et reste actuel, autant le faible et équivoque Ghaleb préfigure mal la dureté et la longue patience de la résistance pales­tinienne. Chantre des “patries char­nelles”, Saint-Loup n'a pas alors saisi dans sa totalité le drame de 2 peuples irréductiblement opposés sur la même terre, puisque le douloureux pro­blème des territoires occupés n'existait pas quand fut écrit ce livre, où les Israéliens ressemblent fort aux pion­niers décrits par Koestler.

La République du Mont-Blanc

Pas de pardons pour les Bretons est un gros bouquin qui mélange hardi­ment l'histoire du mouvement Breiz Atao, les exploits clandestins de la société secrète Gwen ha Du, l'action du Bezen Perrot et tout un univers de fiction et de légende, d'où émergent les chevaliers de la Table Ronde, l'enchan­teur Merlin et les terroristes irlandais du Sinn Fein et de l'IRA venus donner un coup de main à leurs frères armori­cains. La découverte de l'univers mental des Bretons par un écrivain sympathi­sant de la cause autonomiste, mais qui reste un étranger, mi-Auvergnat et mi­-Vendéen, apparaît assez révélateur des invisibles frontières qui séparent les peuples de l'hexagone.

La république du Mont-Blanc est sans doute le meilleur livre de la série des patries charnelles car, sur ses vieux jours, marqué par de dures épreuves, contraint au silence par un éditeur qui désapprouvait ses hardiesses impru­dentes, Saint-Loup nous a livré le plus exaltant et aussi le plus outrancier de son message. Nous quittons le “reportage” dans les milieux autonomistes, pour tomber dans la science-fiction selon un procé­dé cher au Jean Raspail du Camp des Saints, au Philippe Gautier de La Tous­saint blanche ou au Philippe Randa de Poitiers demain… Cette libre république, c'est celle dont rêvent quelques montagnards originaux et fraternels, qu'ils soient de la Savoie “française”, du Val d'Aoste “italien” ou du Valais “suisse”. Rejetant Paris, Berne et Rome, il finissent par placer la capitale de leur arche de salut au sommet même du Mont-Blanc.

La description du monde moderne qu'ils refusent est d'une rare violence de ton. La Table Ronde a eu un grand courage de publier ce livre quand les Presses de la Cité se récusèrent. Grâces en soit rendues à Roland Laudenbach. Restaurant leur langue commune, le « saxel », ces hommes et ces femmes retrouvent dans un très lointain passé les liens qui unissent leurs communautés montagnardes. Ils sont décidés « à effacer les nations et à en faire ressurgir les patries qu'elles contenaient et emprisonnaient ». Ils veulent aussi affirmer l'origine burgonde, donc germanique, du sang qui coule en leurs veines. La rupture avec la société de consommation ne va pas sans violence, d'autant qu'il est établi une « frontière altimétrique » destinée à isoler tous les hors-la-loi qui refusent le monde de l'argent et du métissage. Ces nostalgiques du duché de Savoie et du royaume de Bourgogne vivent et se battent dans un environnement alpestre que Saint-Loup — dont le meilleur roman s'intitule Face Nord — connaît mieux que personne. Jamais la grandeur tellurique des sommets et des glaciers n'a été décrite avec tant de force.

L'ultime message

[Ci-dessous : couverture du recueil intitulé Rencontres avec Saint-Loup (164 p., 1991, tiré à mille exemplaires numérotés), regroupant 20 textes ou témoignages inédits, dus entre autres à Henri Fenet, Jean Mabire, Robert Dun, Goulven Pennaod, Jean-Jacques Mourreau, Bernard Lugan, Philippe Conrad, Michel Marmin, Jean­-Claude Valla et Pierre Vial. La conférence à l'occasion de la sortie de l'ouvrage fut tristement entachée, le 20 avril 1991 à Paris, par l'agression gratuite armée de jeunes nervis se réclamant pro-sionistes, agression qui resta impunie malgré l'arrestation ultérieure de 2 participants et la mort d'une dame âgée après son réveil du coma]

Les hommes libres doivent défendre leur république les armes à la main. Leur seul avenir est en altitude. Tout le livre est le récit d'une montée, d'une ascension à la fois guerrière, familiale, spirituelle. Pour défendre leur identité biologique, ils vont devoir vivre au­-dessus de 3.000 mètres. On est alors arrivé au milieu du livre. Et tout bascule dans un récit des temps futurs, revus par Saint-Loup le prophète. Les années défilent sur un rythme haletant. Les « républicains » du Saxel, soumis aux implacables lois de la sélection naturelle, incarnent une nou­velle race chez qui a disparu tout com­plexe de culpabilité. Ils ont abandonné les refuges pour des igloos. Les jeunes générations ont retrouvé l'homme pri­mordial, d'origine polaire. La commu­nauté, pourtant, s'amenuise, même si ces véritables mutants développent « une morphologie surhumaine ».

Leur destin, ils le trouveront finale­ment au sommet même du Mont Blanc, à 4.807 mètres, tandis que le reste du monde disparaît sous la neige et la glace d'un brutal changement climatique. Ils ne sont plus qu'une vingtaine de survivants sur le sommet désormais inviolé, devenu temple de la sagesse et de la mort. L'enfant qui vient au soleil, sur le point géodésique le plus élevé d'Euro­pe, inaugure l'ère du Verseau qui verra, sans nul doute, le triomphe de la vie. Tel est. par-delà sa récente dispari­tion, l'ultime message dé Saint-Loup. Ainsi se termine l'œuvre d'un grand visionnaire.

 


Henri Landemer, Le Choc du Mois n°37, février 1991.

http://www.archiveseroe.eu/lettres-c18386849/34

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