Du trotskisme au socialisme, de SOS Racisme à l’universalisme, peu d’hommes politiques auront autant contribué à façonner notre époque que Julien Dray. Ça ne l’empêche pas de pleurnicher sur les plateaux TV qu’il ne reconnaît plus « sa » gauche. Le « Baron noir » est en deuil.
Certains collectionnent les pin’s, Julien Dray, c’est les tocantes. En or et en diamant. Au temps fastueux du socialisme, c’était le Monsieur montres du PS. Vous lui demandiez l’heure, il vous réclamait 50 000 euros – le prix de ses folies horlogères. Il illustre à lui seul les dérives don-corléonesques des socialistes. Remercions-les malgré tout. Sans eux, nous n’aurions jamais rien su du hobby dispendieux de Julien Dray, surnommé « Juju ». Souvenez-vous : Nicolas Sarkozy, alors président, voulait à tout prix en faire son ministre de l’Intérieur (ça laisse rêveur, n’est-ce pas).
Les « camarades » n’ont pas supporté l’affront. Ni une ni deux, ils ont aussitôt balancé l’affaire dans la presse. La légende du mauvais Larron – le « Baron noir », du nom de la série (« C’est moi », fanfaronne-t-il) – commençait. À SOS Racisme, personne n’était surpris. « À SOS, nous avons découvert, non sans surprise, sa passion pour les lunettes, les montres, les stylos, les cartables et les scooters. C’est un véritable maniaque », notait Serge Malik dans son Histoire secrète de SOS Racisme (1990).
Le roi du poker menteur
Socialiste à palaces, expert en tables de jeux et prestidigitation financière, Julien Dray est le type même du gros bras de banlieue élevé au rang de caïd du PS. L’espèce était connue dans le Milieu, un peu moins rue de Solférino. Ce n’est pas ainsi que Karl Marx, le Darwin du socialisme, avait envisagé le matérialisme historique.
Dray a longtemps été un routier increvable de la politique, un capitaine de route, comme on dit dans le jargon de la « petite reine ». Il remontait les bretelles, encourageait la troupe, grognait, suait et tapait dans la caisse. Sa tête imposante de député rad-soc d’Oran, où il est né en 1955, était curieusement son meilleur atout. Vaguement inquiétante, c’est elle qui l’a imposé : Juju le Moko, de la Casbah au Gotha.
Rien ne manquait à sa panoplie de flambeur. Outre la mécanique de précision, c’était le roi du poker. Au temps de sa splendeur monégasque, une de ses destinations préférées, les jeunes loups du PS devaient passer à sa table de jeu, où ils se laissaient plumer de bonne grâce par le « maestro ». L’homme n’est-il pas un Paul-Loup Sulitzer pour l’homme ?
« Grand dépensier » selon sa banque
Au temps de la Ligue communiste révolutionnaire, il a usé ses fonds de culotte dans tous les amphis de France, non pas sur les bancs, mais trônant à l’estrade, micro à la main, comme un Mirabeau au rabais. Quand vous avez commencé aussi bien à la fac, de piquet de grève en AG, vous finissiez généralement au PS dans les années 1980. Dray n’a pas échappé à la règle.
L’une de ses banques, qui a alerté la cellule anti-blanchiment de Bercy, l’avait classé high spender, « grand dépensier ». Disons les choses comme elles se présentaient : Juju est un magicien. C’est un homme qui dépensait plus qu’il ne gagnait, mais sans vivre à crédit pour autant. Quand il achetait une villa à Vallauris, qui surplombe Cannes, nul ne savait d’où sortait l’argent. Il tombait tout simplement du ciel (il y a des hommes qui ont de la chance).
Un de ses amis, cité par Christophe Dubois et Marie-Christine Tabet dans leur indispensable L’Argent des politiques (2009), a eu ce mot digne de Labiche : « Il a toujours peur de se retrouver sans rien. » Sèche ta larme, lecteur, et verse-lui un peu d’aumône !
« Dis Juju, t’as pas l’heure ? »
Dans ces années-là, la bonne étoile de Julien Dray s’appelait Nicolas Sarkozy. Entre eux, c’était « Touche pas à mon pote » et « Touche pas au grisbi ». La cellule anti-blanchiment de Bercy, qui le soupçonnait d’avoir détourné quelque 350 000 euros des comptes des Parrains de SOS Racisme et de la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (Fidl), fut recalée par le procureur de la République de Paris. Aussi indulgent avec les amis du Prince qu’intraitable avec ses opposants (voir Dominique de Villepin), ce dernier classa l’affaire, les investigations n’ayant pas mis « en évidence un train de vie personnel dispendieux de la part de Julien Dray ». Ah bon ! Une montre Patek Philippe achetée place Vendôme 38 000 euros (réglés pour l’essentiel en liquide !), c’est quoi ?
Aujourd’hui rangé des voitures, Juju traîne sa tristesse de plateau de télévision en plateau de télévision. Il ne reconnaît plus sa gauche. C’est pourtant lui qui l’a façonné, plus Daron noir que Baron noir.
Prochain épisode : La familia grande de la gauche caviar (9/9)
Épisode précédent :
Brève histoire de la gauche caviar (1/9)
Bernard-Henri Lévy, le Rienologue milliardaire (2/9)
Dominique Strauss-Kahn, cherchez les femmes ! (3/9)
Jack Lang le Mirifique (4/9)
Pierre Bergé, le milliardaire rose (5/9)
Les Badinter, la gauche anti-bling bling (6/9)
Laurent Fabius, le dandy contrarié (7/9)
https://www.revue-elements.com/julien-dray-touche-pas-au-grisbi-mon-pote-8-9/
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