Agatha Christie, « la plus belle enquête » : Une biographie merveilleusement incorrecte de Camille Galic
L’excellente collection « Qui suis-je ?» des éditions Pardès, qui aux côtés de la collection BA-BA conforte une approche encyclopédique non conformiste thématique et biographique, vient de s’enrichir d’un titre qui fera date, l’« Agatha Christie » de Camille Galic. « L’indétrônable impératrice du crime » a trouvé en fait sa biographe sœur. En effet il y a bien des points communs entre « la duchesse de la mort » et la grande dame de la presse qu’est Camille Galic.
Camille Galic a toujours traité l’actualité comme on mène une enquête. Elle a toujours cherché la vérité derrière les apparences et le vrai criminel derrière la présentation officielle. Un style impeccable, une plume affinée comme un scalpel, Camille Galic a été la référence d’un journalisme de l’investigation de l’intelligence, la référence des journalistes de combat, et elle continue à exercer ses talents sur le site Polémia qui dénonce avec force et pertinence le « totalitarisme médiatique ».
On peut facilement l’imaginer, d’ailleurs, dégustant un thé au côté d’Agatha dans un lodge de cette Rhodésie où « les Anglais étaient heureux » devisant autour d’une intrigue de la fin annoncée d’un certain ordre du monde. Comme Agatha, Galic analyse avec un esprit de déduction rationaliste les passions humaines criminelles ou politiques. C’est ce qui fait de cette biographie une biographie de référence, classique dans la forme mais à jamais unique dans le fond. Elle va au-delà de l’œuvre, elle dévoile les secrets de la pensée d’Agatha. Alors, bien sûr, il y a tout, sa vie privée, ses maris, sa disparition mystérieuse, un événement people parmi les premiers médiatisés, ses livres bien sûr, sa passion pour l’archéologie, ses enquêteurs Miss Marple ou Hercule Poirot, son théâtre, etc.
Agatha Christie est, en effet, l’un des écrivains les plus connus au monde si l’on considère le nombre de langues dans lesquelles son œuvre a été traduite (plus de 7.135 traductions, ce qui en fait l’auteur le plus traduit en langues étrangères selon l’Index Translationum), et l’importance des tirages de ses romans qui en fait la romancière la plus vendue au monde selon le Livre Guinness des records.
Agatha Christie a écrit 67 romans (dont 6 romances sous le pseudonyme de Mary Westmacott qui correspond à ses écrits les plus personnels), 190 nouvelles réunies en une quinzaine de recueils, 18 pièces de théâtre (+ 5 adaptations par d’autres auteurs), quelques poèmes et une autobiographie. Une grande partie de ses romans et nouvelles a été adaptée au cinéma ou à la télévision (20 films et plus de 100 téléfilms, en particulier Le Crime de l’Orient-Express, Dix petits nègres, Mort sur le Nil et Le Train de 16h50. La BBC a également produit des téléfilms et des émissions radiophoniques de la plupart des histoires qui mettent en scène Hercule Poirot et Miss Marple. L’une de ses pièces de théâtre, The Mouse Trap (La Souricière), a été présentée pour la première fois à Londres en 1952 au St Martin’s Theatre, et détient, depuis, le record de la pièce jouée le plus longtemps sans interruption.
Le 3 décembre 1926, très affectée par la mort de sa mère et l’infidélité de son mari (amoureux de Nancy Neele, dactylo dans la compagnie d’assurance pour laquelle il travaille, il lui a annoncé son intention de divorcer), Agatha Christie disparaît. Le lendemain, la police retrouve sa voiture, abandonnée près de l’étang de Silent Pool. La presse britannique s’empare alors de l’affaire : suicide d’une femme délaissée, meurtre commandité par son époux voulant retrouver sa liberté, coup de publicité d’une romancière voulant renforcer le succès de ses livres… Les hypothèses ne manquent pas. Elle est retrouvée douze jours plus tard dans le Swan Hydropathic Hotel, hôtel de la station balnéaire d’Harrogate, ayant tout oublié. Agatha devait en retirer à jamais une aversion pour la presse, une crainte panique des journalistes et de la foule qui la poursuivent tel « un renard traqué dans son terrier par une meute de chiens hurlant sans cesse à ses trousses ». Elle avait bien décrit la chasse à courre médiatique, avant l’heure.
Dans cette biographie de Camille Galic, on est aux sources des inspirations de l’auteur et on a les explications pour tout comprendre de son œuvre restituée magistralement dans sa diversité.
Mais il y a plus, bien plus. Derrière une petite jeune fille à la jeunesse dorée d’un autre temps, jusqu’à l’écrivain britannique la plus connue au monde et anoblie par la reine, il y a une vision du monde qui, pour les tenants du politiquement correct, la classerait dans les vieilles dames indignes. Galic a su le comprendre et le révéler.
Agatha est une suprématiste anglaise. Traditionaliste mais libre, femme la plus connue du monde mais antiféministe, elle est une femme de velours au mental de fer. Elle est un produit de la fierté impériale d’un pays qui devait gouverner le monde. Elle éprouvera pour le nazisme une fascination-répulsion partagée par bien plus d’Anglais que la version officielle de l’histoire ne le laisse entendre. C’est un volcan maîtrisé, cette femme… une criminelle née devenue enquêtrice pour peut-être dominer ses pulsions.
Agatha n’a pas toujours été une vieille lady, elle a été une femme amoureuse, jalouse et exceptionnelle. Cela, on le retrouve dans ses romans. Elle n’a aucun complexe du colonisateur, bien au contraire. Elle met l’Anglais au sommet de la chaîne de la civilisation. On tente maintenant de dénaturer parfois son œuvre dans des adaptations pour la faire coller avec le monde d’aujourd’hui, qu’elle aurait méprisé au-delà de l’imaginable. Quand on pense que son livre le plus connu Les 10 petits nègres a vu son titre changé en S’il n’en restait qu’un on voit en effet qu’il ne reste pas grand-chose de l’univers qui a inspiré Agatha ni de ses valeurs hiérarchisées, un univers où la cruauté et le crime cheminent avec la classe en habits de soirée, où l’on tue en restant un gentleman et une lady dans la fierté de l’empire. La gentry n’est jamais bien loin, l’exotisme non plus, ni l’insolite. L’échec de son premier mariage et la passion réussie avec son second mari font croire qu’un long calme a succédé à une tempête, mais cette biographie montre que l’on peut être l’image de la dignité en étant une rebelle jamais vraiment apaisée.
C’est une criminelle de papier qui reste d’actualité, jamais démodée, un style qui ne prend pas d’âge tout en nous parlant d’un autre monde où les choses étaient à leur vraie place, même les armes du crime. Il y avait de l’aventurière dans cette femme des salons « cosy » bien ordonnés. Ses voyages, sa passion de l’archéologie en sont des exemples frappants. Avant Indiana Jones, il y eut Meurtre en Mésopotamie et La Mort n’est pas une fin, une curiosité d’enquête historique qui nous a donné la passion des romans historiques dans l’Égypte antique.
Demain l’œuvre d’Agatha sera sans doute récupérée et transformée dans des adaptations couleur de notre époque. La récupération chemine avec la trahison. Heureusement il restera ce Qui suis-je de Camille Galic pour ceux qui veulent connaître la vraie personnalité à travers l’œuvre incomparable de l’indétrônable Agatha Christie. Toute vie est une intrigue, toute biographie est une enquête et celle de Camille Galic est fidèle à la lettre et surtout à l’esprit de la Kipling du crime.
Jean Ansar, 17/12/2013
http://www.polemia.com/agatha-christie-de-camille-galic/
Camille Galic, Agatha Christie, Editions Pardès, Collection « Qui suis-je », décembre 2013, 128 pages.
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