La bonne littérature est de droite. Le grand critique Albert Thibaudet l’a dit une fois pour toutes. Il en va de même de la bonne polémique. Quoique née dans sa forme moderne en 1789, elle s’est épanouie à droite. La Révolution fut trop sanguinaire pour élever les écrivaillons dont elle louait les services au rang de polémistes.
À lui seul, Marat nous montre ce qu’il advient des plus mauvais d’entre eux lorsqu’ils épousent le pouvoir – des égorgeurs. Ses appels au meurtre dans L’Ami du peuple rythmèrent le sabbat infernal de la Terreur. Ami du peuple, ennemi du reste. C’était l’idole des tricoteuses et des sectionnaires jusqu’à ce que Charlotte Corday vienne venger ses victimes. Du roi, il disait : « Égorgeons le cochon ! Faisons-en autant de quartiers qu’il y a de départements pour en envoyer un morceau à chacun. » Son eczéma le démangeait, il s’en vengeait dans son bain en égrenant la liste des suspects.
L’hagiographie républicaine l’a canonisé, mais c’était un pourceau qu’excitait la vue du sang, comme Camille Desmoulins, le plus brillant de la bande, déchaînant sa verve macabre à la vue de la guillotine.
Desmoulins a mis la Terreur dans le latin des cuistres, Marat dans la langue des corps de garde et Hébert dans celle de l’ordure, assortissant sa logorrhée de « foutre » et de « bougre ». Son journal, Le Père Duchesne, était un gland. Il n’y en a pas un pour sauver l’autre. Seul, dans cette bande d’assassins, surnage Chénier, l’ange et la colombe de la Révolution. De prison, il éleva un chant déchirant. « Console-toi, gibet. Tu sauveras la France. »
Rivarol, le vrai
Mais le vrai polémiste de 1789, c’est Rivarol, le contre-révolutionnaire qui fut paradoxalement le meilleur élève de Voltaire. À deux siècles de distance, son Journal politique et national et son Petit dictionnaire des grands hommes de la révolution restent des bijoux. Il avait des prémonitions stupéfiantes, sur Napoléon entre autres, dont il annonça le destin à la virgule près. Sainte-Beuve disait de ses textes qu’il laissait échapper « le cri de la civilisation perdue ». Et la civilisation avait de beaux restes chez lui. « Mirabeau est capable de tout pour de l’argent, même d’une bonne action. » La Fayette ? « Quel est cet homme qu’une Révolution n’a pu grandir et que le malheur n’empêche point d’être méprisable ? »
Les révolutionnaires espèrent. Ça fait des prêtres, pas des prophètes. Les réactionnaires désespèrent, ça fait des pamphlétaires. Mais alors que faites-vous des Hugo, Marx, Proudhon, Vallès ? Pas grand-chose à la vérité. Hugo est trop « hénaurme », trop « kilogrammatique », pour faire un pamphlétaire digne de ce nom. Dans Les Châtiments, il déclenche un feu nucléaire sur Napoléon III, malheureux roitelet affligé de calculs urinaires en qui il voit l’héritier de Tibère, Caligula et Néron. Il aurait dû s’en tenir à la bataille d’Hernani dont l’esthétique tragicomique annonçait dans ses grandes lignes le règne de Badinguet.
Semelle lourde et pieds plats
Il y a bien Jules Vallès, « le candidat de la misère », aussi enragé que Louis-Ferdinand Céline, mais comme lui, bien meilleur dans le roman. Marx était le plus doué. Proudhon en fit les frais, qui vit l’auteur du Capital répliquer à sa Philosophie de la misère par un terrible et sans appel Misère de la philosophie. Marx, cependant, était trop occupé à ériger son monument à la gloire du prolétariat pour se disperser ainsi.
Proudhon, d’ailleurs, n’en demandait pas tant. On trouve dans sa polémique autant d’éléments révolutionnaires que réactionnaires. Il rêvait d’un peuple vertueux se nourrissant de tubercules et de tisane. C’était une sorte de témoin de Jéhovah du socialisme, solide comme une vieille charrue, mais qui s’enivrait d’eau plate.
Paul-Louis Courier, pourtant auteur d’un Pamphlet des pamphlets, est lui aussi un peu mou du stylet. On a l’impression que ce brave démocrate disserte sur le pamphlet plus qu’il n’en écrit un. On le cite, mais on ne le lit pas (sans quoi, on ne le citerait pas).
Pour Zola, l’affaire est plus grave. Quoique auréolé de son « J’accuse », il avait la semelle lourde et les pieds plats. Sa polémique suggère le piétinement d’un veau. Avec un pareil avocat, Dreyfus a eu beaucoup de chance de s’en tirer.
Action française, réaction gauloise
Voilà pour la gauche. Sous ces latitudes, on rêve et on bêle ; éventuellement, on critique. Il n’y a qu’aux hautes latitudes droitières qu’on polémique. C’est ainsi depuis deux siècles. « Le polémiste d’envergure, affirmait Daudet, est généralement réactionnaire, pour la bonne raison que ce genre de combat est une “réaction”, au sens étymologique du mot. »
Voyez Barbey, vigie flamboyante de la chouannerie, le meilleur tireur d’épée de son temps. Ses Quarante médaillons, où il rosse avec la superbe d’un aristocrate d’âme et de naissance les vieux barbons de l’Académie, cette « Salpêtrière de ministres tombés et de parlementaires invalides », autrement appelée par lui « havre de vieux hérons moroses », sont un chef-d’œuvre.
Si les antimodernes – et la liste est longue, de Joseph de Maistre à Bloy, de Chateaubriand à Baudelaire – ont fait basculer la polémique à droite, c’est l’Action française qui l’y a définitivement arrimée. Elle fut la grande école du combat de rue et du combat de plume. La plupart des polémistes y sont passés, même Rebatet, qui se plaisait à railler « l’inaction française ». Le plus grand des maîtres d’armes y a exercé ses talents, le roi des polémistes, Léon Daudet, dit le gros Léon, qui arrachait les poils un à un ou assommait sans façon. L’épilation sadique ou le massacre réjouissant. Parfois les deux. Action française, réaction gauloise. On n’a pas fait mieux depuis.
Photo : Charles Maurras et Léon Daudet à fête de Jeanne d’Arc
Épisode précédent :
L’âge d’or de la polémique (1/5)
https://www.revue-elements.com/royaute-de-la-droite-misere-de-la-gauche-2-5/
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