Ce fut loin d’être une évidence.
Au cœur de la grande guerre (il y aura aujourd’hui cent ans) François Simon, président du Souvenir français (1) formula pour la première fois une noble proposition toute française : accueillir au Panthéon, un « Poilu » mort au combat.
Cependant, le projet ne revint devant l’Assemblée que le 12 novembre 1919, pour y être adopté à l’unanimité.
C’est alors que commença un affrontement politique « bien de chez nous » où les lieux symboliques incarnent des idéologies opposées : la gauche voulait le Panthéon et la droite, plutôt que cette « église défroquée », préférait l’Arc de Triomphe, trop impérial pour les premiers.
Finalement, une manipulation très républicaine est imaginée par le gouvernement à cette occasion : célébrer tout ensemble, dans un bel amalgame, le 11 novembre 1920, le 50e anniversaire de la IIIe République (déplacé du 4 septembre), la victoire de 1918, la récupération de l’Alsace et de la Lorraine, et le transfert au Panthéon du coeur de Gambetta, qui avait mené la défense du pays en 1870-1871. Il n’était plus question de Poilu, fut-il inconnu.
Une fois de plus, ces messieurs les anglais tirèrent les premiers, reprenant, perfidement bien sûr, la première idée française : ils annoncèrent le 24 octobre, pour ce même 11 novembre, l’inhumation dans la cathédrale de Westminster, d’un «Tommy» inconnu, mort en France aux côtés des soldats français.
Humiliation, chagrin et sentiment de trahison alimentèrent une colère patriotique, et les journaux réclamèrent un soldat inconnu national, pour accompagner le cœur de Gambetta. Le gouvernement répliqua qu’il était trop tard, mais le 31 octobre, «Le Journal» publia une lettre ouverte menaçante de Binet-Valmer, écrivain-ancien combattant, proche de l’Action française, au président de la République.
Le lendemain, le président Millerand est informé « par la bande » du projet de l’auteur : s’emparer, avec des légionnaires, du cadavre d’un soldat, et interrompre avec lui les cérémonies du transfert du coeur de Gambetta au Panthéon !
Dans l’urgence et la panique, le gouvernement se rappelle qu’impossible n’est pas français : le 2 novembre, un Conseil des ministres extraordinaire propose d’inhumer un soldat inconnu au Panthéon en même temps que le coeur de Gambetta. Le 8, les députés entérinent cette décision et décident même, trois jours avant la date fatidique, que le mort sans identité ira, lui, sous l’Arc de Triomphe.
Ordre est donné aux généraux des huit secteurs où les combats furent les plus meurtriers de «faire exhumer dans un endroit qui restera secret, le corps d’un militaire, dont l’identité française est certaine mais dont l’identité personnelle n’a pas pu être établie». Tâche aussi difficile qu’urgente : il n’est souvent plus possible de distinguer morts français et morts allemands. Les corps demandés n’en sont pas moins amenés, chacun dans un cercueil de chêne, le 9 novembre, à Verdun.
Après diverses hypothèses, il est décidé qu’un simple soldat méritant devra désigner lors d’une cérémonie sur place, celui qui reposera sous l’Arc de Triomphe. Le 10 au matin, le premier combattant choisi est hospitalisé, victime de la typhoïde ! Il faut le remplacer au plus vite. A midi, Auguste Thin est à son tour appelé. Jeune recrue dont le père est mort au fort de Vaux, il s’est engagé en janvier 1918, et a échappé la même année à la décimation de son régiment. Il reçoit un uniforme neuf, et quelques heures plus tard, au coeur d’une impressionnante cérémonie, André Maginot, alors ministre des Pensions, lui tend un bouquet d’œillets rouges et blancs pour qu’il le dépose sur le catafalque de son choix. Il expliqua plus tard : «Après que j’eus fait le premier tour des cercueils, il me vint une pensée simple. J’appartiens au 6e corps. Mon régiment est le 132e. En additionnant ces chiffres, j’obtins le chiffre 6. Ma décision est prise, ce sera le 6e cercueil que je rencontrerai en partant de la droite que je choisirai».
Acheminé par le train à Paris l’après-midi du 11 novembre 1920, après l’étape Gambetta au Panthéon, le cercueil du soldat, placé sur l’affût d’un canon, remonte enfin les Champs-Elysées vers l’Arc de Triomphe.
Cette histoire ne s’est pas arrêtée là : creuser une fosse sous l’édifice n’était pas chose facile. Ainsi l’inhumation définitive n’eut-elle lieu que le vendredi 28 janvier 1921, et enfin, deux ans plus tard, André Maginot devenu ministre de la Guerre, allumera la flamme qui brûlera jour et nuit. L’honneur de la France n’en était pas moins sauf, et l’inconnu glorieux verra, au fil du temps, des gens très divers déposer des gerbes et ranimer le feu de sa tombe, aux heures lumineuses ou sombres de notre Histoire.
Il reste qu’on ne peut pas exclure l’hypothèse des derniers vers du fameux poème de la Légion étrangère :
« Qui sait si l’inconnu qui dort sous l’arche immense
Mêlant sa gloire épique aux orgueils du passé
N’est pas cet étranger devenu fils de France
Non par le sang reçu mais par le sang versé. »
(1) association dédiée aux soldats français morts à la guerre de 1870
https://www.medias-presse.info/le-soldat-inconnu-a-french-affair/64784/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire