En Occident, dans son usage courant, le mot « propagande » a une connotation négative, il est souvent opposé à l'« information », neutre, objective et factuelle. La définition du Larousse nous dit ceci :
Propagande : action systématique exercée sur l'opinion pour lui faire accepter certaines idées ou doctrines, notamment dans le domaine politique ou social
Jadis, en Union Soviétique, les journaux et télévisions assumaient ouvertement faire de la propagande, outil nécessaire à « l'édification du socialisme », tandis que l'Occident a toujours rechigné à employer ce terme, bien qu'il soit évident que tout ce que nous appelons « campagne de communication », ou mieux encore « campagne de sensibilisation », que ce soit contre l'homophobie, pour la vaccination, etc. relève directement de la définition de la propagande. Chose intéressante, refuser de nommer la propagande au profit de divers euphémismes, c'est aussi de la propagande : c'est bien une « action systématique exercée sur l'opinion », dont il faut découvrir les « idées ou doctrines » qu'elle cherche à faire accepter.
Inutile de tourner autour du pot, dans l'espace médiatique, tout est propagande. Au lecteur qui me dirait « vous faite de la propagande », je lui répondrais « oui, comme monsieur Jourdain faisait de la prose ». Cependant toutes les propagandes ne se valent pas, on peut définir des critères d'appréciation qualitatifs des discours, ce qui permet de les comparer, de les analyser.
Vous connaissez l'expression « la vérité est la première victime de la guerre », ajoutons que la Raison s'en prend un bon coup aussi. C'est d'autant plus malheureux que nous vivons, par décret du pouvoir, en état de guerre permanente depuis déjà des années. Avec le conflit militaire en Ukraine, nous sortons pour une fois des métaphores.
Un journaliste indien, relayé par le site dedefensa.org, résume très bien la situation sur le front médiatique :
La campagne de désinformation des médias de l’anglosphère actuellement menée à propos de l'intervention russe en Ukraine est d'un niveau qui dépasse la distorsion maximale. Elle semble être magnifiquement bien coordonnée par une autorité de commandement centrale.
Il y a des clips d'un jeu vidéo qui revendiquent 22 millions de vues, censés représenter un avion russe abattu, une explosion de gaz à Tianjin, en Chine, qui passe pour une frappe aérienne russe sur des infrastructures civiles. Un clip télévisé d'une manifestation autrichienne d'art de rue contre le changement climatique est présenté comme étant celui de civils morts dans des sacs mortuaires, tués par l'artillerie russe effrénée et aveugle. Des images d'une femme en bandages sur les couvertures de magazines européens, qui s'avèrent être truquées car la femme n'est ni blessée ni une civile mais un membre des services de sécurité ukrainiens, payé pour se déguiser en acteur de crise. Sur Twitter, nous voyons le visage d'un homme dont CNN a montré qu'il était déjà mort en Syrie et maintenant de nouveau à Kiev.
Pour les lecteurs qui s’apprêtent à dégainer le mot magique « complotisme » parce qu'ils viennent de lire « coordonnée par une autorité de commandement centrale », il convient de rappeler que toutes les armées sont pourvues depuis quelque temps d'une branche consacrée à la « guerre de l'information » (en anglais, Information Warfare), y compris en France. La chose n'est pas nouvelle dans son concept (pensez à Radio Londres), cependant, elle s'applique désormais à une échelle plus vaste et de manière permanente. Ceci est dit ouvertement, explicitement et publiquement par les états-majors : il s'agit de militariser l'espace médiatique de manière centralisée, en coordination avec les moyens militaires traditionnels. Il ne s'agit pas seulement de la presse officielle, mais bien de tout l'espace médiatique, "youtubeurs", "bloggeurs", jeux vidéo etc. Quand bien même la coordination est assurée par des militaires, il ne s'agit pas de recruter des soldats pour tenir des blogs, mais bien de manipuler l'opinion publique et les créateurs de contenus afin qu'ils participent, consciemment ou non, à un objectif dont la finalité est militaire. Il s'agit de « mobiliser la société », dans un nouveau champ de bataille qui est l'espace médiatique.
En guise de références, voici les vidéos de deux conférences et une interview. Elles sont en anglais, je m'excuse auprès des lecteurs qui ne parlent pas la langue, mais malheureusement, les contenus en français (c'est vrai pour la plupart des sujets "pointus") sont rares et de qualité souvent médiocre.
Colloque sur le "Cyber", la différence entre "opérations cyber" et "opérations informationnelles". Le conférencier donne une très bonne vue d'ensemble de la problématique de la guerre de l'information. On peut relever des expressions comme : "mobiliser la société", "repérer les idiots utiles", "organiser l'environnement pour que d'autres fassent le sale boulot pour vous".
Le lieutenant-général Smith du corps des "Marines" : « même quand nous trompons, nous disons la vérité »
Un exemple auto-illustratif : un youtubeur à succès se fait expliquer la guerre de l'information par un général 4 étoiles. L'effacement des frontières entre militaire et civil est une caractéristique typique de la guerre de l'information.
Vous pouvez facilement apprécier la réussite des opérations de guerre de l'information concernant le conflit en Ukraine, la « mobilisation de la société » bat son plein, la populace manipulée communie dans un gigantesque simulacre. J'insiste sur ce point, il s'agit bien d'un simulacre, je vais l'illustrer par un exemple très précis.
Il y a une grande mode des collectes humanitaires, organisées y compris dans les collèges. J'ai pu voir sur une chaîne régionale de charmantes images d'enfants aux joues roses, faisant la queue devant un guichet décoré d'un drapeau jaune et bleu, les bras chargés de savonnettes, de paquets de riz, etc. Demandez à n'importe quel professionnel des ONG et des actions humanitaires, c'est précisément ce qu'il ne faut surtout pas faire. C'est un cauchemar logistique, tant au niveau de l'inventaire que de l’inefficacité des transports. Une opération humanitaire ne se pratique pas comme cela. Première chose, pour aider vraiment, il faut faire des dons d'argent à des organisations de confiance. Celles-ci se chargeront d'évaluer les besoins réels, et les quantités nécessaires. Elles privilégient systématique l'achat de biens localement, non seulement pour réduire les transports, mais aussi pour amoindrir les perturbations sociales causées par des flux de réfugiés, en faisant circuler de l'argent dans l'économie locale. Le problème est plus aigu encore avec les médicaments, il faut que les personnels de santé les connaissent, il faut que les notices soient dans la bonne langue etc, etc. J'ajouterai également que mobiliser des enfants dans un conflit géopolitique dont ils ne comprennent pas le commencement du début du contexte relève du totalitarisme.
Autre phénomène de la guerre de l'information, nous avons enfin un exemple d'utilité de ce produit de synthèse importé récemment en Europe : la « cancel culture ». Cette pratique des autodafés et du vandalisme trouve enfin une application militarisée, maintenant qu'elle est tournée contre la culture russe. Là encore, ne cherchez rien de spontané, la technique est classique : des agents provocateurs commettent quelques actes qui sont sur-amplifiés médiatiquement, afin d'essayer de créer un mouvement d'entrainement chez les idiots utiles. En visant le patrimoine culturel russe sans aucun discernement, ces pratiques de « cancel culture », déjà très contestables lorsqu'elles prenaient pour alibi l'antiracisme, atteignent le stade de la pure et simple barbarie. Une barbarie participative, si j'ose dire.
La guerre de l'information vise également à atténuer les contradictions de l'Occident, il s'agit en fait de mettre en oeuvre ce qu'Orwell avait nommé la « double pensée ». Grâce à la Russie, l'ardoise occidentale est effacée. Libye, Irak, Yémen, Palestine, tout est oublié. L'Occident est le bien par ce qu'il combat le racisme, mais il est assez clair que tuer des blancs, ce n'est pas comme « casser du bougnoule ». Pour justifier cela, la théorie du « choc des civilisations » a été injectée dans les cerveaux il y a déjà un certain temps. On peut peut-être s'émouvoir du fait que le conflit se déroule en Europe, mais il faudrait oublier la guerre en Yougoslavie, et oublier également que Paris n'est pas plus proche de Kiev que de Tripoli. Autre contradiction flagrante de l'Occident, elle puise sa légitimité en se prétendant "démocratique". Si on réduit la démocratie au suffrage, c'est un piètre argument de « sainteté ». Ce qui est remarquable, c'est qu'a chaque nouvelle crise, les gouvernements profitent de la situation pour attaquer les principes fondamentaux qui jadis définissaient la démocratie, et lui conféraient sa supériorité « morale ». Parmi ces principes : liberté d'expression, respect de la vie privée, respect de l'état de droit. Bien plus que le suffrage, ce sont les piliers de la liberté individuelle, qui sont systématiquement détruits par des mesures d'exception qui s'avèrent finalement permanentes, y compris via l'argument de devoir lutter contre une « dictature » étrangère...
Les mécanismes profonds de la guerre de l'information occidentale reposent essentiellement sur l'exploitation de la bêtise et de l'ignorance des masses. Pour conclure cette première partie, je vais une nouvelle fois faire appel à un universitaire américain. J'espère que le lecteur saura prendre la mesure de l'information qu'il nous offre. L'opinion publique a été choquée par le lancement de l'opération militaire russe en Ukraine. Même si l'on trouve parfois quelques propos nuancés, l'explication la plus courante est extrêmement simple : le caractère imprévisible du comportement de Vladimir Poutine, il est tout simplement fou. Fou à lier. Ceci est activement propagé dans les circuits médiatiques, et fait partie de la stratégie de guerre de l'information occidentale. Une explication simple pour des esprits simples, si ce n'est pour des simples d'esprit. Celui qu'on affublait du qualificatif de "joueur d'échecs" ne serait finalement, peut-être du fait de son âge, qu'un tyran sanguinaire ayant définitivement perdu les pédales... L'ennemi est bête, méchant, irrationnel.
L'universitaire que je citais précédemment est Jasen Castillo, professeur associé à la "Bush School of Government and Public Service" de la "Texas A&M University", c'est-à-dire une école de haute administration, qui forme des diplomates, des hauts fonctionnaires, des conseillers etc. A l'occasion d'une conférence qu'il a donné en 2018, intitulée « Évaluation de la stratégie nucléaire de la Russie », conférence d'une qualité remarquable par ailleurs, à 46 minutes, 54 secondes, il a prononcé ces paroles, parlant des russes :
mais nous leur avons dit que nous n’unifierions pas l’Allemagne et nous l’avons fait, et ensuite nous leur avons dit que nous ne mettrions pas une Allemagne unifiée dans l’OTAN et nous l’avons fait, nous leur avons dit que nous n’étendrions pas l’OTAN et nous l’avons fait, nous leur avons dit que nous adhérerions au traité ABM et nous nous en sommes débarrassés, et ensuite l’UE flirte avec l’Ukraine, et je veux dire qu’à un moment donné, les grandes puissances ripostent, c’est peut-être choquant pour ceux d’entre vous qui pensaient que les guerres et les conflits entre grandes puissances étaient terminés, et que vous avez toujours votre "Tom Friedman" sur votre étagère quelque part, et que la mondialisation va résoudre tous ces problèmes, mais je pense que c’est parfaitement logique pour la Russie qui, a des niveaux limités de violence, en utilisant des conflits de faible intensité, essaie de changer le statu quo, essaie de diviser l’OTAN.
Comprenez ce que cela signifie : non seulement l’intelligentsia américaine reconnait qu'elle est directement responsable du conflit, mais qu'il était aussi, 4 années au moins avant son déclenchement, parfaitement anticipé : « c’est parfaitement logique pour la Russie ». Durant ces années, rien, strictement rien n'a été fait pour satisfaire les demandes de sécurité russes. Les accords de Minsk ont été systématiquement sabotés. Quand bien même tout le monde "informé" savait pertinemment où cela mènerait... Nos gouvernements ont provoqué volontairement ce conflit, et vont désormais en tirer parti pour poursuivre la transformation de nos sociétés vers le totalitarisme.
J'ai volontairement documenté cet article avec des heures de conférences particulièrement denses. On ne comprend pas le monde en ingurgitant à haute dose des tweets de 128 caractères et de petites images humoristiques ou choquantes, ou en s'abrutissant devant des chaines « d'information continue ». C'est un principe de la guerre de l'information occidentale, multiplier les contenus courts, redondants, simplets, superficiels. Un véritable matraquage, auto-infligé par paresse. Ces habitudes de consommation de propagande sont au savoir ce que le fast-food est à la gastronomie...
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/propagande-de-guerre-guerre-de-240171
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