jeudi 3 mars 2022

 La Monarchie fédérale, par Charles Maurras 3/4

  

Les dialectes, les coutumes, les goûts locaux s'en allaient, il n'en fallait pas davantage à la fin du XIXème siècle ; l'on noyait ce qui ne demandait qu'à se sauver à la nage. On se gardait d'examiner pour chaque victime condamnée ses titres à la vie. On alléguait, en bloc, la formation prochaine d'États-Unis d'Europe, la fatale tendance du monde à s'unifier, l'inévitable disparition des nationalités consécutive à l'effacement des anciens petits États devenus simples préfectures ou sous-préfectures de pays plus grands.

Les instituteurs primaires du XXème siècle commencent à ne plus vouloir d'un verbiage dont s'est nourri plus d'un lettré du XIXème. On s'est rendu un compte parfait de la frivolité de certaines oppositions, de la fragilité de certaines déductions. Il n'y a pas antinomie, mais affinité entre l'unité française et les diversités régionales qui la composent. L'Europe moderne n'assiste pas à un mouvement d'unification fatale, elle subit deux efforts en sens divers, mais non contraires, et l'effort unitaire n'est pas le plus puissant ; les peuples heureux, les politiques adroits sont d'ailleurs ceux qui savent combiner ces diversités au lieu de les entrechoquer. Enfin, loin de se fusionner et de se fédérer, les grandes nations modernes vivent dans un état croissant d'antagonisme qui suffirait à montrer que l'avenir européen et planétaire appartient à l'idée de la défense des nations, nullement à la concorde cosmopolite. Pour faire face à cet avenir, la France contemporaine n'aura point trop de toutes ses forces, de leur organisation la plus pratique et la plus vigoureuse !

C'est pour la bien organiser que nous voulons aller au Roi ; mais c'est pour ne rien gaspiller, pour tout utiliser dans le meilleur état possible que nous conseillons l'autonomie des pouvoirs locaux et professionnels. Les républicains autonomistes et fédéralistes, qui s'étaient cachés longtemps, ne se dérobent plus. Ils ne nous disent pas comment leur régime, où la centralisation est fatale, réalisera ce qu'ils veulent ; mais enfin ils le veulent, d'une volonté plus profonde qu'on ne le croit dans le pays. Le mouvement du Narbonnais en 1907, la crise de Champagne en 1911 ont fait apparaître des passions et des intérêts dont on ne se doutait guère. Le pays s'intéresse à de simples problèmes de division administrative. Ces jours-ci, lorsque le parlement a essayé de grouper les départements en des circonscriptions électorales plus vastes, mais sans égard à la nature et à l'histoire, les protestations se sont élevées des « anciennes provinces » restées plus fermes qu'il n'eût semblé dans le sentiment et dans le souvenir de leur unité.

À Perpignan, une municipalité radicale-socialiste a protesté contre toute idée d'adjonction à l'Ariège et c'est à l'Aude, à une région méditerranéenne comme la leur, que les élus de la Catalogne française veulent être rejoints. Déjà, à Paris même, les députés de la Normandie avaient « sans acception de parti » (ce qui est beau) protesté contre « l'expulsion de l'Orne de la famille normande » et réclamé la division rationnelle et traditionnelle en Haute et Basse-Normandie. En Lorraine, on s'élève contre la tentative de dissociation dont la province est menacée ; les Vosges étaient juxtaposées au département champenois de la Haute-Marne et séparées du groupe formé par la Meurthe-et-Moselle et la Meuse ! Mais autant que ces résistances, les gauches initiatives du pouvoir central établissent que le réveil est assez fort pour poser la question et préoccuper le gouvernement.

Un historien de ce mouvement, M. Charles Brun, dans son livre du Régionalisme que l'Académie a couronné, reconnaît quelle influence exerça la Déclaration de 1892. Les signataires qui survivent ne peuvent qu'être sensibles à la justice qui leur est rendue. Mais il y aurait une injustice considérable à s'en armer pour contester, au nom du Midi, l'originalité du mouvement lorrain. Il est parfaitement inexact de prétendre que l'initiative de Maurice Barrès ait dû quoi que ce soit à nos Provençaux. Que la flamme et la science d'Amouretti, son génie, sa passion aient été admirés de Maurice Barrès, cela est certain. Mais peut-on croire que nous n'ayons rien dû à Barrès, Amouretti et les amis d'Amouretti ?

À suivre

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