Aînée d’une famille de cinq enfants, Constance grandit à Sligo en Irlande, au sein d’une riche famille d’aristocrates protestants. Artiste dans l’âme, elle part à Londres étudier à la Slade School of Fine Art, puis en France à l’Académie Julian. En gage de son amour pour l’art, elle arbore une alliance à l’annulaire gauche.
Son titre de « comtesse Markievicz », sous lequel on la connaît mieux, lui vient de son mariage avec Casimir Dunin Markievicz, comte polonais qu’elle rencontre à Paris en 1899. Charmant jeune homme aux cheveux noirs et aux yeux bleus, peintre de talent, il ne peut que séduire notre héroïne, malgré ses six ans de moins qu’elle. La première femme du comte meurt rapidement de maladie, ainsi que leur jeune fils, tandis que l’aîné retourne auprès de sa famille maternelle en Ukraine. Casimir et Constance peuvent donc s’unir en 1901, à respectivement 27 et 33 ans, à Londres.
Les jeunes mariés s’installent en Irlande en 1903, où la situation politique est délicate. En effet, depuis un débarquement anglo-normand sur ses côtes au XIIème siècle, l’Irlande est occupée. Bien que des périodes de calme succèdent aux tentatives de rébellion, la fracture est aggravée lors du schisme anglican provoqué par Henri VIII : l’Angleterre embrasse l’anglicanisme, tandis que les Irlandais restent profondément catholiques.
Un désir d’indépendance a donc toujours été présent sur le sol irlandais mais les tensions s’aggravent considérablement au début du XXème siècle. En effet, la première Guerre mondiale relance les conflits anglo-irlandais : les indépendantistes ne se sentent pas concernés par cette guerre et ne veulent pas s’engager. La révolte gronde et ce contexte favorise le développement des mouvements indépendantistes tels que l’Irish Republican Brotherhood et ses Volontaires (Volunteers), l’Irish Citizen Army ou le parti politique du Sinn Féin.
Nationalisme et féminisme
Constance désire ardemment se joindre à la lutte. Très républicaine malgré ses origines, elle revendique sans ambiguïté son opposition à la couronne. Lors d’une visite royale en Irlande, elle brandit un drapeau noir, refuse de se lever pour le God save the King, et ne porte pas de toast en faveur des membres de la famille royale. Néanmoins, s’engager n’est pas un acte évident pour une femme, tous les mouvements nationalistes n’acceptant pas ces dernières dans leurs rangs. Si l’ICA est ouvert aux femmes, les Volontaires de l’IRB les refusent systématiquement. Quant au Sinn Féin, il n’est pas du tout hostile à la gent féminine, ni même au féminisme, bien que le droit de vote des femmes ne soit pas une priorité pour lui.
Le nationalisme n’est pas la seule lutte au cœur des préoccupations de la comtesse. Celle-ci se revendique féministe. Déjà à Londres, elle participe à la constitution de la Sligo Women’s Suffrage Society en 1896. Cette organisation féministe réclame, comme son nom l’indique, le droit de vote pour les femmes, avec notamment le slogan « no taxation without representation ». Elle est la troisième société de ce type à naître en Irlande, une vingtaine d’années après la première. Cependant, Constance se démarque du simple combat sur le droit de vote : elle souhaite un combat plus large pour les femmes. Ainsi, lors des vœux échangés pendant la cérémonie de son mariage, faisant sienne une pratique russe, elle supprime la promesse d’obéir à son mari.
Son féminisme et son indépendantisme vont alors fusionner : elle devient membre de l’Inghinidhe na h-Eireann, organisation irlandaise nationaliste féministe issue des Volontaires mais réservée aux femmes. Cependant, Constance tolère mal la fusion du mouvement avec le Cumann na mBam, reprochant à ce dernier de cantonner les femmes à de simples missions de collecte, de transmission ou de distribution de pamphlets. Elle décide donc d’adhérer à l’Irish Citizen Army, qui laisse aux femmes un rôle réellement actif et dans lequel elle peut pleinement s’épanouir.
Par ailleurs, bien qu’issue d’une riche famille d’aristocrates, Constance s’est toujours préoccupée des plus pauvres, notamment en participant aux distributions de nourriture lors des périodes difficiles, – ce qui lui vaut son surnom de « Comtesse rouge ». Elle est d’ailleurs très proche de James Connolly, célèbre socialiste indépendantiste. Les deux nationalistes s’influencent d’ailleurs mutuellement, Connolly se saisissant aussi du sujet du féminisme.
Une ardente combattante lors de l’Insurrection de Pâques
Constance peut enfin passer à l’action à l’occasion de la révolte de 1916, aussi appelée Insurrection de Pâques, au cours de laquelle les indépendantistes décident de se soulever et de bouter les Anglais hors d’Irlande.
Le lundi de Pâques de l’année 1916, un groupe d’hommes armés, dont le célèbre Michael Collins, entre dans la poste centrale de Dublin. Ils hissent sur le toit le drapeau national, interdit par les Anglais, et accrochent sur la porte principale une bannière proclamant « POBLACHT NA H-EIRANN – République d’Irlande ! ». Patrick Pearse, choisi comme président de la nouvelle République, sort et lit la Déclaration d’indépendance proclamant l’établissement du Gouvernement provisoire de la République irlandaise. Elle est signée par sept indépendantistes, dont James Connolly. D’autres lieux sont pris à Dublin et ailleurs en Irlande : en tout, environ mille insurgés sont décomptés.
Constance est alors une activiste de premier rang dans la révolte. Elle y joue un rôle très actif, puisqu’elle commande le point de défense central au sud, avec un autre insurgé. Soixante-dix femmes au total prennent part à l’action. Si beaucoup œuvrent dans la transmission et l’infirmerie, certaines participent directement à l’attaque, comme Margaret Skinnider, gravement blessée alors qu’elle lance un assaut. D’autres n’hésitent pas à détourner, les armes à la main, des chariots de nourriture.
L’insurrection de Pâques est un échec. D’abord surpris, les Britanniques se ressaisissent et n’hésitent pas à employer les grands moyens en bombardant violemment Dublin, ce qui oblige les insurgés à se rendre. Les Volontaires, habitués à une guérilla de campagne et qui ne disposent pas du soutien de la population, n’avaient pas imaginé que les Britanniques déploieraient de tels moyens de répression.
Ainsi, les Anglais procèdent à 5000 arrestations ainsi qu’à des exécutions sommaires, – représailles démesurées pour les sept signataires et les mille volontaires ayant pris part à l’insurrection. En tout, 90 peines de mort sont prononcées. Tous les signataires sont exécutés ; James Connolly, pourtant gravement blessé, est fusillé sommairement.
Bien qu’une dirigeante de premier plan, Constance échappe à la mort en raison de son sexe. Elle s’exclame à cette occasion : “J’espérais que vous auriez eu la décence de me fusiller”. Condamnée à la détention à perpétuité, elle est internée à la prison de Kilmainham, d’où elle entendra ses compagnons d’armes se faire fusiller. La vie en prison est difficile : peu nourrie, Constance devient vite décharnée, et le manque d’hygiène est difficile à vivre. Elle se convertit au catholicisme, et sa foi nouvelle l’aide à endurer les épreuves.
Malgré son échec, l’insurrection est le détonateur d’une gigantesque déflagration sociale et nationale. Le peuple, choqué par la violente réaction des Anglais et terrorisé par les bombardements, s’est senti injustement visé. Les insurgés, au départ incompris et rejetés, deviennent, aux yeux de la population, de véritables héros après la répression. Ainsi, libérée le 18 juin 1917 – en dépit de sa condamnation à la perpétuité -, Constance reçoit un accueil triomphal à sa sortie de prison : on la couvre de fleurs et de messages d’admiration et de soutien à son retour.
Opposition au traité anglo-irlandais
La Comtesse n’abandonne pas la cause indépendantiste et décide de s’impliquer dans le parti politique du Sinn Féin, ce qui lui vaut d’être arrêtée pour la deuxième fois en mai 1918. En effet, les Anglais voulant à tout prix éviter une révolution irlandaise – qui pourrait entraîner leur défaite lors de la Grande Guerre – décident d’emprisonner les dirigeants du Sinn Féin. Néanmoins, cette incarcération se fait dans de bien meilleures conditions, et c’est d’ailleurs en prison qu’elle est élue au Parlement britannique : elle se trouve être la première femme député. Ensuite, lors de la guerre d’indépendance irlandaise (janvier 1919 – juillet 1921), elle devient membre du gouvernement révolutionnaire en tant que ministre du Travail.
La signature du traité anglo-irlandais de 1921, sous l’égide de Michael Collins, engendre la création de l’État libre d’Irlande mais laisse le nord de l’île aux mains des Anglais. Une nouvelle guerre civile éclate et Constance prend fait et cause pour l’opposition au traité menée par Eamon De Valera. Elle démissionne de son poste de ministre, et malgré sa réélection au parlement irlandais en 1923, elle refuse d’y siéger. La guerre civile irlandaise aboutit à la victoire des pro-traités : Constance est arrêtée par le gouvernement irlandais, mais rapidement relâchée.
Après ces événements, elle a beaucoup de mal à accepter la situation de l’État libre d’Irlande. Elle rejoint Eamon De Valera lorsqu’il fonde le Fianna Fail en 1926, faisant scission avec le Sinn Féin, et est réélue député en 1927. Malheureusement, elle tombe malade en juillet de cette année. D’abord opérée de l’appendice, elle subit une seconde opération pour une péritonite. Son mari, dont elle était dans les faits séparée, arrive à temps de Varsovie pour lui offrir un bouquet de roses : ce fut, d’après les derniers mots de Constance, le plus beau jour de sa vie. Le 15 juillet 1927, à l’âge de 59 ans, elle s’éteint à Dublin. De Valera prononce en son honneur un émouvant discours et, lors du passage de son cortège funèbre, des centaines de citoyens lui présentent leurs respects. Un hommage vibrant pour cette combattante, qui avait dévoué toute sa vie à l’égalité des droits entre les femmes et les hommes, à la liberté de son pays et à celle de son peuple.
Diane A. Roger – Promotion Tolkien
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