La Revanche aurait été la vraie souveraine de la France durant la troisième République jusqu’à la Grande Guerre ?
L’idée n’est pas neuve pour Maurras quand il la reprend dans son article du 11 août 1914. Il l’a déjà utilisée, dans Kiel et Tanger en particulier. Qu’est-ce à dire ?
Le roi de France pourrait être remplacé par une idée ? faute de souverain, on accepterait une sorte de royauté abstraite, celle du pays, du peuple sur le territoire, bref l’idée de la nation remplacerait le roi, ou du moins lui servirait de succédané dans des temps sombres ou pour faire face au péril ?
Nous sommes une fois de plus, en cet été 14, au cœur de contradictions dont ni Maurras ni l’A. F. ne sortiront jamais vraiment : devant l’imminence du péril, les frontières politiques et même idéologiques s’effacent. La question n’est pas tant de savoir si cet effacement est pertinent que de questionner son intelligibilité pour ceux qui s’y trouvent contraints. Avec quelle conscience de ces contradictions nécessaires font-ils ce choix que les uns trouveront admirable, que d’autres leur reprocheront amèrement ?
Du côté républicain, il est évident que la guerre sera une aubaine : elle permettra de sceller définitivement un patriotisme qui, quoi qu’en disent ceux qui y adhèrent dans les rangs royalistes, sera un patriotisme républicain : Jean de Viguerie a amplement montré dans ses Deux Patries combien ce pro Patria mori est d’essence révolutionnaire, combien il était étranger à la France d’Ancien Régime, et combien l’ambiguïté qu’il entretient se révélera mortifère pour les restes intellectuels de cette ancienne France.
Maurras voit-il la menace ? sans doute. Et d’autant plus que les voix ne manquent pas pour le mettre en garde en privé contre une union sacrée, voix catholiques surtout. C’est le temps où le futur cardinal Baudrillart écrit dans ses Carnets : « Ils ne veulent l’Union Sacrée que pour nous étrangler sans même que nous puissions crier. »
Mais du coté des politiques, des nationalistes engagés dans le débat politique, ces propos de catholiques ne trouvent aucun écho. Les trois grandes voix de Maurras, de Barrès et du vieil Albert de Mun dans L’Écho de Paris se joignent sur un thème : celui de la guerre du droit, de l’ennemi barbare, de l’Allemagne qu’il faut abattre coûte que coûte. Dans le cas de Maurras, on a l’impression qu’il est entraîné contre ses propres principes. Où est passé le politique d’abord ? où la brillante analyse de Kiel et Tanger qui conduisait à dire que la République n’a pas de politique étrangère, qu’elle n’en use que dans la mesure où son combat idéologique contre la France ancienne en est renforcé ? Où sont passés les appels à abattre le régime comme un préalable à tout bien possible ? On veut bien que toute une génération ait été traumatisée par la guerre de 1870 et ses suites, comme cet article du 11 août 1914 le rappelle, et qu’elle verse dans un anti-germanisme forcené, mais tout cela devait conduire au moins à des réserves de la part de Maurras.
Les lit-on ces réserves ? d’abord il ne faut pas oublier que la censure s’exerçait : y avait-il moyen d’émettre ces réserves ? nous n’en savons pas grand chose. Maurras aurait-il eu la possibilité de les émettre, l’aurait-il fait ? Tout donne plutôt à penser que l’urgence du moment l’a conduit à simplifier, à endosser un ralliement au régime qu’il pensait provisoire, fait pour sauver l’essentiel face à l’ennemi. Les heures dramatiques sont peu propices aux distinctions fines. Enfin aurait-il émis quelques réserves, ses propres troupes l’auraient-elles écouté ? L’exercice était plus facile pour des anarchistes, des pacifistes ou même pour des socialistes sur une lancée encore Jaurésienne.
L’adhésion à l’Union Sacrée sera maintenue tout au long du conflit, et l’immédiate après-guerre, avec la chambre bleu horizon, semblera même un temps donner raison aux nationalistes qui ont pour leur immense majorité osé cette synthèse dans l’été 1914. On sait que de cruelles désillusions suivront, aboutiront au retour de Briand, au Cartel, au Front populaire puis au désastre de l’été 40.
Rien donc ? pas la moindre hésitation à embrasser sous la pression des événements ce que Viguerie appelle justement le patriotisme révolutionnaire ? Il y a bien quelque chose, mais cela reste du domaine de l’appréciation personnelle : cette belle au bois dormant un peu sourde qui peine à se réveiller au son des crises diplomatiques et des multiples coups de canons peut sans doute être lue comme une figure un peu ridicule où Maurras fait entrer quelque amertume, surtout quand on se souvient de ses textes antérieurs sur l’abandon coupable par la République de l’idée de Revanche.
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