A l’origine du 4 août de l’abolition des Privilèges au 14 juillet de la fête de la Fédération se trouve la même hypocrisie qui se perpétue de nos jours. L’abolition des privilèges fait suite à la Grande peur de l’été 1789 au cours de laquelle des rumeurs avaient enflé pour annoncer que des brigands soudoyés par l’aristocratie en perdition allaient attaquer les campagnes. Rumeurs qui eurent pour effet de lancer les villageois armés sur les routes pour refouler les prétendues bandes de brigands. Comme ces bruits étaient faux, les villageois ne voyant rien venir, vont par compensation en quelque sorte, en profiter pour s’en prendre aux châteaux, les piller, les brûler avec leurs « terriers » (documents qui établissaient les droits et privilèges des seigneurs) et parfois massacrer leurs occupants dans la foulée. Les ruines des châteaux deviendront ainsi des mines de pierres de construction…
Privilèges ou plutôt libertés ?
Nobles et bourgeois sont saisis d’effroi devant ces atteintes au droit de propriété, lequel sera d’ailleurs garanti très vite par la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, juste quelques jours après l’abolition des privilèges… D’un seul coup leurs certitudes sont ébranlées et c’était bien le but de la manœuvre, car les rumeurs qui recouvrent la France au même moment sont parties de différents points du territoire en même temps suivant un seul mot d’ordre occulte qui ne peut qu’être l’œuvre des loges maçonniques. L’Assemblée nationale constituante est en majorité formée par des bourgeois soucieux d’être admis aux mêmes privilèges que la noblesse; des privilèges surtout politiques car la bourgeoise française à cette époque est la plus riche du monde bien que partie intégrante du Tiers ordre, mais c’est elle aussi qui rassemble le plus de richesses d’une France qui est le pays le plus riche du monde, malgré le déficit des caisses publiques. Elle se rend compte subitement que le Tiers état ne fait pas bloc et qu’on ne soulève pas impunément le peuple. Pour ramener le calme, elle proclame qu’elle « détruit entièrement le régime féodal », ce qui fait faire un bond phénoménal à la Révolution. Et pas une voix ne manque à ce bel élan de générosité. Même accompli sous l’emprise de la peur, le fait reste sidérant: les privilégiés ont renoncé eux-mêmes à leurs propres privilèges à l’unanimité! Car la noblesse et le clergé n’étaient pas les seuls détenteurs des privilèges, bien loin s’en faut! Ces privilèges que l’Ancien régime préfère souvent appeler « libertés », -tant il est porteur de libertés aujourd’hui complètement oubliées, surtout lorsqu’il s’agit des libertés communales ou corporatistes-, s’étendaient depuis l’arrêt de Fontainebleau qui clôt le Procès des Tailles en 1634, à de nombreuses terres particulières, même roturières, mais aussi à de nombreuses communautés, métiers ou fonctions. Le Tiers état y avait largement part, individuellement et dans son ensemble au niveau des administrations territoriales à travers les parlements de province qui votaient l’impôt et avaient un droit de réprimande envers le Roi. Mais encore à travers les très nombreuses et complexes particularités qui faisaient qu’aucune commune n’était comparable en droit à une autre, toutes plus fières de leurs libertés propres qui les exemptaient soit de tenir garnison, soit de lever des troupes pour les guerres, soit de tels ou tels impôts etc. La suppression des privilèges est la clef de voûte de l’édifice révolutionnaire car elle atteint aussi les forces vives de la nation que sont les métiers à travers les corporations. L’abolition des Privilèges annihile l’édifice sociale en faisant table rase des précieuses libertés inaliénables élaborées patiemment au cours des siècles, qui faisaient la fierté des administrations locales et des corps intermédiaires.
La pérennité des lois d’Anciens régime fondées sur les principes chrétiens de la tradition, de l’honneur et de l’engagement, vont laisser place aux lois évolutives et jetables de la République. Les premières fondées sur des engagements historiques et pérennes entre le Roi et une personne (y compris une personne morale), les secondes sur des opinions, aussi volages que peuvent l’être des opinions sans fondement soumises à la majorité d’un parlement. Ne voit-on pas poindre alors ce qui mènera à la Révolution du concile Vatican II ?
Les lois jetables de la République
A partir de ce principe les provinces vont se diluer dans l’unité nationale centralisée, aplanissant par la même occasion les particularismes régionaux. Les villes et les individus vont être soumis aux mêmes lois destinées à niveler la société à son plus bas niveau. Rien d’étonnant que ce bouleversement brutal d’une société qui sublimait les particularismes et « sacralisait » les parties d’un contrat et le contrat lui-même, ait provoqué tant de malheurs et de destructions jusqu’à aujourd’hui, où en dépit de l’apparition de régions transformées en grandes régions avant même d’avoir trouvé leur vocation, les provinces d’Ancien régime sont toujours autant chargées de nostalgie.
Le Droit de la France actuelle pulvérisé par le Droit européen n’a rien à envier aux droits labyrinthiques d’Ancien régime (dont la complexité était inextricable), mais sans leurs charmes, et surtout sans leurs libertés innombrables, propres à chaque cas.
La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen le 28 août 1789, de même que la Constitution Civile du Clergé du 12 juillet 1790 forment une suite naturelle à cette abolition des Libertés le 4 août 1789.
De même que l’abolition des privilèges ou des libertés, destinée à faire progresser la République universelle, la fête de la Fédération le 14 juillet 1790 à Paris est une vaste hypocrisie qui trouve son origine dans les « petites » fêtes de la fédération qui se sont multipliées à partir du Dauphiné, partout en France au printemps 1790. La Fédération du 14 juillet à Paris en est le clou et rassemble les délégations des gardes nationales de tous les départements qui viennent d’être créés. Les gardes nationales qui viennent, elles aussi, d’être instituées en lieu et place des gardes bourgeoises issues des communes d’ancien Droit, sont chargées de faire célébrer avec éclat ces fêtes de l’unité afin d’effacer le souvenir sanglant de la prise de la Bastille du 14 juillet de l’année précédente. Sensée réconcilier la Nation, la fête de la Fédération de Paris est directement précédée le 12 juillet 1790 de la Constitution civique du clergé, qui montre bien la continuité du 14 juillet 1790 avec le 14 juillet 1789 malgré ses chants, ses messes et Te Deum, ses farandoles et ses serments d’être « fidèles à la nation, à la loi et au Roi », le Roi qui semble tant se réjouir en cette fête enfumée d’illusions… De nombreux prêtres dans les provinces ne s’y trompèrent pas qui refusèrent de participer à cette vaste fumisterie fédérative où ils étaient appelés à dire la messe. Certains d’entre eux refusèrent leur participation sans se laisser intimider et en dépit des menaces…
De la Grande peur au Front républicain…
Suite à la fête de l’unité du 14 juillet 1790, les massacres anti-catholiques et anti-royalistes vont alors se multiplier, les prêtres et évêques jureurs vont être élus par l’ensemble des citoyens (même juifs ou protestants…) ce qui va provoquer diverses réactions épidermiques de la part des catholiques qui vont se soulever des terres de l’Ouest au Midi, en passant par le Centre, avec les brutales répressions que nous savons. Les prêtres jureurs élus dans ces assemblées, comme curés ou évêques, vont remplacer les réfractaires bientôt contraints à la fuite, condamnés à la déportation ou encore à la guillotine…
Et ainsi de suite au fil des deux siècles et demi qui nous mènent aux abominations que nous connaissons aujourd’hui, dans une République de plus en plus universelle.
Emilie Defresne emiliedefresne@medias-presse.info
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