Le sujet de notre colloque porte sur le "terrorisme". Sujet délicat, puisqu'il recouvre de nombreuses catégories d'actes, depuis les actions isolées d'individus au service d'une cause (politique, sociale, écologique) jusqu'aux actes violents commis par des membres de services secrets en service commandé (l'affaire Greenpeace est le cas le plus récent et le plus connu), en passant pas des réseaux internationaux organisés pour l'action violente et souvent composés de professionnels (l'exemple de Carlos est célèbre grâce aux médias qui ont tissé sa légende).
Cette diversité de modalités, la multiplicité des idéologies défendues, enfin, la complexité des actions commises ne retiendront pas notre attention. Les étudier relève de l'observation empirique et débouche dans la plupart des cas sur une dénonciation subjective du phénomène. Parler du terrorisme, en refusant toute analyse idéologique sérieuse, c'est soit faire du sensationnel, soit de la description sèche.
Il nous semble plus intéressant de réfléchir sur les raisons profondes qui peuvent amener des hommes et des femmes, intellectuels ou ouvriers, placés dans des situations fort diverses, à utiliser la violence armée en vue de réaliser les objectifs doctrinaux qui sont les leurs.
Par-delà les dénonciations rituelles que pratiquent les médias occidentaux, le plus souvent au service d'intérêts politiques particuliers, il faut engager une réflexion sur les racines de l'acte.
Un phénomène essentiel de nos sociétés contemporaines
Dans un ouvrage récent, paru aux éditions Albin Michel (1), Roland Jacquard, journaliste, prétend définir le terrorisme comme le phénomène essentiel de nos sociétés contemporaines.
Si le terrorisme a bel et bien existé dans notre histoire — il cite à ce propos les actions terroristes commises en 132 et 135 de notre ère par le fameux Bar Kochba, meneur de la grande révolte juive contre l'Empire Romain — il en fait un des phénomènes majeurs de notre monde moderne. Pourtant, il se demande comment distinguer terrorisme et résistance ? Selon lui, le débat serait loin d'être fermé et nécessitera encore beaucoup d'efforts de réflexion. Il reste que, selon sa thèse, certains pays "fabriqueraient" du terrorisme. Un peu comme d'autres pays fabriqueraient du vin ou des automobiles. Et c'est à cet instant, fort confus comme chacun peut le remarquer, qu'il se permet de donner aux lecteurs une piste qui, dit-il, ouvrirait un nouveau champ de recherches : le terroriste serait alors le pur professionnel qui, pour des raisons soit financières soit psychologiques (pulsion meurtrière, par ex.) se mettrait au service d'une cause, abstraction faite des valeurs que sous-tendrait cette cause. Le résistant, a contrario, serait alors l'homme animé d'une foi, d'une conviction individuelle qui le porterait au sacrifice de son existence.
Définition acceptable, qui pourrait même recevoir un statut heuristique, s'il était possible de tracer, dans tous les cas, la frontière nette séparant les premiers des seconds ! À partir de cet éclairage, doit-on écrire que Carlos est un terroriste ou un résistant ? Militant marxiste, allié objectif des combattants palestiniens au service desquels il mit quelquefois ses connaissances de l'action violente, dans quels cas fut-il un homme de terreur ? Dans quels cas un homme de résistance ?
Dans un cas, sa motivation fut directe (lutter contre les régimes collaborant avec l'impérialisme américain en Amérique Latine), dans le second cas, elle fut indirecte (agir en solidarité avec toutes les révolutions armées). En d'autres termes, il faudrait écrire que l'intérêt direct à l'action violente légitime sa participation (résistance à une oppression locale ou régionale) et l'intérêt indirect (soutenir la guerre menée contre l'État sioniste) transforme le même homme en terroriste international.
On voit tout de suite l'ambiguïté de ce raisonnement et l'impossibilité d'aboutir à une analyse politique sérieuse
Le statut hybride du terrorisme
D'autant plus que le statut de terrorisme est un statut hybride. Considérés par les uns comme terroristes, certains hommes sont magnifiés par les autres. Cas évident de la résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale. Les terroristes d'alors sont ensuite devenus les dirigeants légaux d'un état. On trouve ce cas dans de multiples circonstances.. Citons pour mémoire Messieurs Begin, Premier Ministre d'Israël, ancien terroriste des groupes juifs qui ensanglantèrent la Palestine des années 40, Boumédienne, dirigeant FLN en Algérie, et futur président de la République populaire d'Algérie, etc, etc.
Le lecteur comprend pourtant très rapidement les raisons réelles qui ont entraîné R. Jacquard à la rédaction de son ouvrage. Il définit en effet 2 centres institutionnels mondiaux du terrorisme : l'un se situe au Proche-Orient et se compose de la Syrie, du Sud-Yemen et de l'Iran. Il complète sa liste par la Libye et l'Irak (à ce sujet, l'Irak, pour les services rendus aux États-Unis depuis 1980, a été rayé des listes des États dits "terroristes" par la CIA).
Le groupe constitue le premier foyer du terrorisme international, l'objet de son action étant automatiquement facteur d'intégration au camp du "terrorisme international". Cet objet est clair : l'élimination de l'État d'Israël. Et des amis de l'état sioniste à travers le monde par voie de conséquence. Les raisons qui poussent ce terrorisme que Jacquard qualifie de "musulman", notion englobante qui ne tient pas compte des différentes idéologies en présence dans chacun des pays cités (quoi de commun entre le chiisme militant et le baasisme laïque arabe ?) sont résumées en quelques points: l'anti-sionisme actif (Jacquard parle plutôt de la haine contre l'occupant juif, alors qu'il n'est jamais question du judaïsme en tant que foi, mais toujours de l'impérialisme en tant que système mondial dont le sionisme est un élément majeur dans les textes militants), de la guerre de religion contre les autres religions non-musulmanes (le message coranique est pourtant très tolérant vis-à-vis des autres monothéismes, et reconnaît même la valeur prophétique des paroles de Moïse ou Jésus). L'amalgame se poursuit d'ailleurs, puisque la lecture tend à rendre plausible l'équation "intégrisme = terrorisme en puissance".
L'autre groupe est celui des terrorisme régionaux. Principalement celui des nationalistes basques, des Irlandais, et des Corses. Ce terrorisme se situerait dans la mouvance de la cause palestinienne, le point commun étant bien sûr la revendication d'une terre pour un peuple.
Cette hydre à 2 têtes qui menacerait le monde dit libre est bien entendu favorisée dans son action par le KGB soviétique. Véritable deus ex machina planétaire, le service secret soviétique serait à l'origine du développement de presque tous les terrorismes actifs de notre époque. Ce dernier leur apporterait alors l'appui logistique indispensable à l'efficacité de leur stratégie. L'université Patrice Lumumba de Moscou étant enfin l'université mondiale des élèves terroristes.
À suivre
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