Miklos Horthy ou un militaire de petite noblesse qui rêvait d’occuper le trône de Saint-Étienne
« Il est vrai que je n’ai jamais pensé à une dynastie Horthy et je ne peux que déplorer le fait que certains cercles, en Hongrie, affirment qu’une telle pensée aurait pu exister ». Telles sont les paroles qu’a couchées sur le papier le régent du royaume Miklós Horthy dans ses mémoires, où il exprime son point de vue sur l’éventuelle fondation d’une dynastie. Les faits sont pourtant différents. Très tôt, le régent a cultivé l’idée d’assurer dans le futur le pouvoir aux siens, et surtout à son fils Istvan qu’il adulait. Son épouse Magdolna, très ambitieuse, et la camarilla qui l’entourait confortaient le régent dans ses intentions.
Le 1er mars 1920, l’assemblée nationale de Budapest élit l’ancien amiral comme chef d’Etat provisoire. Avant même de prononcer son serment de régent du royaume, il réclame un élargissement de ses prérogatives, ce que le parlement lui accordera pas à pas.
Dès le 19 août 1920, le régent du royaume obtient les droits d’accorder l’amnistie et d’engager la Honved (l’armée) en dehors des frontières en cas de crise. Six ans plus tard, le Parlement, autrement dit la Diète constituée de deux chambres, accorde au Chef de l’État provisoire une autre prérogative régalienne : le droit de nommer une partie des membres de la Haute Assemblée. À partir de 1933, Horthy peut ajourner la Diète de l’assemblée populaire “aux calendes grecques”. Quatre ans plus tard, la Diète renonce à son droit de demander des comptes au régent au cas où il enfreindrait les règles constitutionnelles. La personne Horthy est désormais “sacrée et inviolable”.
De cette façon, la Hongrie s’était dotée d’une sorte de “roi de remplacement”, auquel, pourtant, on n’avait pas accordé 3 prérogatives : Horthy ne disposait pas du “droit de patronage” sur l’Église romaine du pays, ne disposait pas du droit d’annoblir des sujets hongrois et son office n’était pas héréditaire.
Le droit de patronage sur l’Église ne semblait pas intéresser le calviniste qu’était Horthy, même si le droit de parole qu’il impliquait en cas de changement de personnel, notamment quand il s’agissait d’accorder des sièges d’évêchés, pouvait procurer un pouvoir appréciable. Ce représentant de la “gentry” hongroise semble avoir été davantage géné par l’interdiction d’annoblir ou d’octroyer des titres plus importants aux nobles qu’il estimait méritants. Le terme “gentry”, que j’utilise ici à dessein, est repris de l’anglais et désigne, au XIXe siècle, la petite noblesse de Hongrie, laquelle, bien qu’appauvrie, tient à conserver son style de vie et considère toute participation triviale à la vie économique comme indigne de son rang.
Pour cette raison, Horthy crée l’Ordre des Héros (Vitézi Rend). Ne peuvent en devenir membres que les anciens combattants décorés qui sont réputés farouches patriotes. Cette nouvelle “noblesse” de remplacement se réparti en 3 niveaux : les officiers, les soldats et les postulants. Ces derniers ne sont donc pas des membres à part entière de l’Ordre mais détiennent en quelque sorte un statut d’“aspirant”. Dans le cadre d’une cérémonie d’allure médiévale, dont la première se déroulera le 22 mai 1921 dans la citadelle royale, le Maître de l’Ordre, Horthy lui-même, confère la dignité de “héros” à ceux qu’il adoube “Chevalier” en leur posant l’épée sur l’épaule. Au début de l’année 1943, il y a déjà 4.342 Héros du rang d’officier, 11.189 Héros du rang de soldat et environ 8.000 aspirants.
L’appartenance implique plusieurs prérogatives. Le Héros peut, par ex., faire précéder son patronyme du terme de “Vitéz” (Héros). Ensuite, il se voit accorder un patrimoine immobilier héréditaire inaliénable et indivisible, qui ne sera transmis qu’à son seul fils aîné. Les officiers de l’Ordre peuvent donc bénéficier de fermes-châteaux avec terres adjacentes d’une dimension de près de 50 “jougs cadastraux” (le “joug cadastral” hongrois équivalait à 0,5754 ha, soit 5754 m2). Les Soldats de l’Ordre devaient se contenter de dix à quinze “jougs cadastraux”.
Les Héros ne sont toutefois pas considérés comme “pairs” par les anciens aristocrates. La taille des biens immobiliers et des terres accordées ne peut que faire sourire avec condescendance les barons et comtes installés depuis toujours, pour ne pas parler des 200 familles de “magnats” comme les Esterhazy, les Schönborn ou les Cobourg-Gotha, dont les terres sont immenses.
Les idées qui hantent le vieux régent du royaume concernent surtout la question de l’hérédité de sa charge. À la fin de l’automne 1941, le Cardinal Justinian Serédi, archevêque de Gran (Esztergom) et donc primat-prince de Hongrie, remarque suite à une conversation avec Horthy : « J’ai appris des paroles mêmes du Régent du Royaume qu’il souhaiterait, pour sa fonction (celle du “représentant”, du “stathouder” avec droit de transmission héréditaire), que celle-ci soit transmissible à son propre fils Istvan ; car il m’a dit, et pas seulement comme s’il évoquait une image ou un exemple, que celui qui possède une maison aime toujours qu’après sa mort celle-ci aille à ses enfants ; il a même ajouté qu’il aimerait transmettre sa fonction de régent du Royaume à son fils ».
Miklos Horthy s’est aussi adressé par lettre à son premier ministre Laszlo Bardossy qu’il considérait comme bon que le parlement élise bientôt un “stathouder”, “cum iure successionis” (avec droit de succession).
Le 9 février, le premier ministre dépose un projet de loi. À cause de la résistance de la haute noblesse et de l’église, la clause de succession a été omise dans le texte. Les 2 chambres acceptent à l’unanimité le projet de loi et, le 19 février, la Diète élit, sans aucune surprise, Istvan Horthy comme “réprésentant du régent”. L’élection est suivie d’applaudissements généralisés et de cris “Eljen” (Qu’il vive !).
Le porteur potentiel de la plus haute fonction de l’État doit, selon son père, faire ses preuves au front. Istvan Horthy est un pilote chevronné : il s’engage dans les forces aériennes. Il meurt, victime d’un accident, dans les premières heures du matin du 20 août 1942, sur le terrain d’aviation de la 2ème Armée hongroise à Alexeïevka.
Mais la famille n’abandonne pas le projet caressé par le régent Miklos Horthy. Dans les vitrines des magasins de Budapest, on pouvait voir des photos de la veuve d’Istvan Horthy avec son fils, Istvan junior, à peine âgé de 2 ans, flanquées du texte “Mindent a hazaért!” (Tout pour la patrie !). Le jeune enfant est au centre des discussions dynastiques. Il faudrait, disent ses partisans, qu’il se convertissent à la foi catholique pour qu’il soit ensuite couronné roi ou prince de Hongrie.
Dans l’ébauche d’une loi sur la pérennisation du souvenir du vice-régent Istvan Horthy, nous trouvons le passage suivant : « Après les familles des Arpad, des Anjou et des Hunyadi, le destin nous a envoyé la famille Horthy… », ce qui suscite de nouvelles polémiques. Après que le Prince-Primat Serédi ait déclaré au régent du royaume qu’il prendrait position contre ce projet de loi à la Chambre Haute de la Diète et que, par-dessus le marché, il appelerait l’opinion publique à exiger le couronnement d’Otto de Habsbourg, Miklos Horthy abandonne définitivement ses ambitions dynastiques en octobre 1942.
Exactement deux ans plus tard, le vieux régent perd sa fonction. Sous la contrainte, car les Allemands maintiennent en détention son fils cadet Miklos, Horthy signe le soir du 15 octobre 1944, une déclaration de démission rédigée en allemand : « Aux présidents des deux Chambres, par la présente, je déclare avoir pris la décision, en cette heure fatidique de l’histoire hongroise, et dans l’intérêt d’une belligérance optimale, de l’unité intérieure et de la cohésion de la nation hongroise, de me retirer de mon poste de régent du royaume. J’ai chargé Monsieur Ferenc Szalasi de former un nouveau gouvernement d’unité nationale ».
Le 4 novembre 1944 a lieu la cérémonie de la prestation de serment dans la salle de marbre blanc de la citadelle de Buda. Les membres des deux Chambres de la Diète, présents à Budapest, et parmi eux l’ancien régent du royaume, l’archiduc Joseph de Habsbourg, assistent à la cérémonie en tenue d’apparat. Les gardes du corps de Horthy défilent. Alors Ferenc Szalasi prête serment, dans un costume civil usé, avec une chemise verte et une cravate de même couleur, le chapeau à la main, devant la couronne de Saint Etienne. En dehors de la citadelle, l’ambiance est toute différente : dans le lointain, on entend distinctement tonner les canons soviétiques.
Erich Körner-Lakatos, zur Zeit n°40/2005. (tr. fr. : RS, avril 2012)
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