Conclusions de Jean-Yves Le Gallou au VIIe colloque « La nature comme socle, pour une écologie à l’endroit » le 19 septembre 2020.
La nature a été violemment arraisonnée par la technique et le développement économique : industrialisation de l’agriculture et de l’élevage, artificialisation des sols pour l’habitat, le commerce, le tourisme, destruction des paysages. Cette situation a conduit – dès la fin du XIXe siècle – à se préoccuper de l’écologie, la science de l’habitat, l’étude des écosystèmes vivants. Mais aujourd’hui l’écologie se trouve arraisonnée à son tour par des intérêts idéologiques et marchands. L’écologie est cul par-dessus par tête : comment la remettre à l’endroit ? Face aux pseudos écologistes hors-sols comment retrouver le sens d’une écologie enracinée ?
75% des Français vivent en ville, près de la moitié dans des grandes métropoles. L’oligarchie dirigeante vit dans un univers de trottinettes, d’escalators, d’immeubles à air conditionné et de bars à chaufferettes en plein air. Leurs meubles proviennent de bois du Pérou et ils comptent sur des livreurs précarisés pour leurs sushis et leurs burgers. Ils ignorent que la terre est basse, que les récoltes sont aléatoires, que les troupeaux peuvent être malades, qu’il fait froid en hiver et chaud en été. Et quand ils ont des enfants ils leur offrent des livres pour leur expliquer que Gonzague, le loup, est végétarien… À Paris, il n’y a guère que la prolifération des rats et la contagiosité du coronavirus pour rappeler que la nature est toujours là…
Cette situation est le terreau d’une écologie hors sol sur fond de « greenwashing » commercial, de moraline idéologique et de cash machine électorale et politique. Les vrais-faux rebelles d’ « extinction rébellion » sont des salariés de Soros. Le véganisme est le stade ultime de la déconstruction. La « climanipulation » l’instrument d’une formidable récupération idéologique.
La climanipulation
Le réchauffement climatique est un fait. Son instrumentalisation alarmiste par les grosses caisses de la propagande, un autre.
Commençons par un rappel des faits d’abord. Le climat de la terre dépend :
- de données astronomiques (position de la terre dans le système solaire, activité solaire) et de la géologie : volcanisme (terrestre et sous-marin) et magnétisme,
- de l’apparition de la vie qui a modifié l’atmosphère il y a 4 milliards d’années ; chaque espèce contribue par sa seule existence à influencer l’atmosphère et le climat. L’homme comme les autres, d’abord comme chasseur-cueilleur, puis plus que les autres depuis la révolution néolithique et plus encore depuis la révolution industrielle.
Pour autant l’homme est-il le seul responsable du réchauffement climatique que nous connaissons, en Europe notamment, depuis la sortie du Petit Âge glaciaire, il y a 250 ans ? C’est la thèse officielle d’un réchauffement anthropique dû aux rejets de gaz à effets de serre dans l’atmosphère.
Le retour à la proximité
Faut-il croire ce monothéisme du carbone ? Ce n’est ni le lieu, ni le moment de trancher cette question. Je m’en garderai bien et me limiterai à deux observations :
- Il est regrettable que le débat ne soit pas libre et que les médias et les crédits de recherche ne soient ouverts qu’aux climato-alarmistes. Car dans la pensée européenne, hors des dogmes religieux, ne peut être dit vrai que ce qui peut être librement contesté. Impossible de trancher donc.
- Mais si les réchauffistes et les climato alarmistes ont raison, et si le rejet dans l’atmosphère du gaz carbonique est une cause majeure d’inquiétude, alors voilà quelles mesures devraient être prises. Toutes doivent s’inspirer du principe de retour à la proximité.
Une écologie locale, pas mondiale, pas globale
- Relocaliser la fabrication des productions manufacturières et des services au plus près du lieu de consommation.
- Préférer le localisme au globalisme, dénoncer les accords de libre-échange et prendre des mesures protectionnistes.
- Freiner le tourisme et sa mondialisation vide de sens.
- Arrêter toute immigration nouvelle et engager une politique de remigration, ne serait-ce que parce que l’empreinte carbone d’un immigré africain en Europe est six à dix fois supérieure à celle d’un Africain resté au pays.
- Aider à la mise en œuvre de politiques de contrôle démographique dans les pays qui gardent une fécondité galopante : Afrique noire et monde musulman sunnite.
- Privilégier l’industrie nucléaire pour la production d’électricité.
- Arrêter de soutenir artificiellement la croissance par une publicité excessive.
Une écologie territoriale : protéger l’espace des Européens
Ces sept points sont essentiels, non seulement pour limiter les rejets carbonés mais aussi, mais surtout, pour protéger notre espace.
L’espace européen est rare. L’Europe est le plus petit continent : 4 millions de km2 pour l’Union européenne et l’un des plus densément peuplé, 120 habitants au km2.
Notre richesse c’est notre espace. Notre espace naturel sauvage comme notre espace naturel humanisé. Sans oublier notre espace culturel.
En Europe, les sites restés intégralement sauvages – côtes ou montagnes – sont infiniment rares ; ils doivent impérativement être protégés. Loi littorale et loi montagne doivent être renforcées pour protéger nos sites de la spéculation immobilière. Les derniers espaces sauvages des Alpes – en Savoie ou dans l’Ötztal – doivent être épargnés des délires des aménageurs à la recherche des touristes chinois.
Mais si « La nature est splendide, impassible et mythiquement vierge ; le paysage contient une histoire, il manifeste une civilisation, il prouve une alliance, il porte une promesse, même et surtout dans sa dévastation, il réclame le bien commun. » selon Richard de Sèze dans L’Incorrect.
Or nos paysages sont gravement menacés. Par les grandes infrastructures de transport. Par le développement des entrepôts et des commerces. Par les constructions d’habitations nouvelles. Par les éoliennes qui barrent les horizons européens des mêmes pales industrielles de l’Andalousie au Jutland.
L’harmonie se fait rare dans nos campagnes. Ce simple constat doit conduire à changer notre regard sur l’« aménagement » et à adopter une règle simple : ne pas nuire à la beauté et à l’harmonie des paysages ; et pour cela bannir les éoliennes dont par nature l’efficacité est proportionnelle… à la nuisance visuelle qu’elles engendrent ; admettre enfin que l’espace est un bien rare qui ne doit pas être consommé inconsidérément pour des projets économiques douteux ; considérer les forêts non pas seulement comme le cœur de la « filière bois » mais comme des organismes vivants. Comme nous l’a rappelé Jean-Philippe Antoni :
« l’Europe millénaire a été l’architecte de ses équilibres paysagers ; les effacer ou les renier (…) constituerait une amputation irréparable du support territorial qui contient simultanément toute l’unité et la diversité de l’identité européenne. »
Enfant de l’histoire, l’espace culturel, celui des cœurs des villes, des bourgs et des villages est lui aussi menacé par la normalisation et la boboïsation, commerciale et touristique. Les hauts lieux telluriques et mythiques sont en passe de devenir les plus beaux encombrements banalisés. Le tourisme de masse est devenu le fléau des villes de culture.
Les Européens doivent protéger leur territoire. De l’immigration qui envahit. Du tourisme de masse qui tue ce qu’il vient chercher. De la « croissance » qui consomme ce qui est le plus rare : l’espace. Des « parcs éoliens » et des « fermes solaires » qui enlaidissent. Refusons le Grand Remplacement de l’espace européen.
Une écologie poétique : biodiversité et réenchantement du monde
Les paysages sont le fruit d’un équilibre entre les différentes espèces et l’action humaine. Il ne peut y avoir d’écologie abstraite, déracinée sans relation avec un terroir.
Tout un pan du discours écologique porte sur la biodiversité et l’extinction d’un grand nombre d’espèces. Ce fait est indiscutable même s’il a toujours existé : les évolutions climatiques, les aléas météorologiques nuisent à certaines espèces et en avantagent d’autres. Le front de la vie n’est jamais stable. Les uns abandonnent des niches écologiques, les autres les occupent. L’augmentation du nombre des hommes et leur arraisonnement de la nature renforce évidemment ce phénomène.
Mais la défense de la bio-diversité peut moins se faire à l’échelle du monde qu’à celle des terroirs et des micros écosystèmes.
La biodiversité de la forêt amazonienne c’est une chose. Celle de la savane africaine en est une autre. Celle de nos bois, de nos champs, de nos prairies, de nos rivières nous concerne directement.
« Printemps silencieux, jardins sans oiseaux, terres mortes, sans insectes, sans micro-organismes, terres écrasées par les engins surdimensionnés, saturés de chimie et d’intrants. Combien d’années faudra-t-il pour y faire revenir la vie ? » Le réquisitoire d’Hervé Juvin est implacable.
Ce ne sont pas des mesures technocratiques qui permettront d’y répondre. Mais un changement de paradigmes : la volonté de réenchanter le monde.
Les torrents courent naturellement le long des pentes, ils n’ont pas vocation à finir tous emprisonnés dans des conduites forcées.
Les fleuves ne sont pas uniquement des « bassins hydrographiques » ce sont aussi des divinités. Avec leur source, leurs berges à « aménager » mais aussi à respecter, leur « lit majeur » à retrouver.
Les criques ne sont pas fatalement prédestinées à accueillir des ports en eau profonde, il est essentiel que certaines puissent rester sauvages.
Les crêtes et les points hauts sont des lignes d’horizon plus que des entrepôts à moulins à vent.
Les haies, les chemins creux et les bosquets doivent retrouver une place perdue lorsque les pays de bocage se sont transformés en champs ouverts.
L’Europe que nous aimons est celle des « Chemins noirs ».
S’inscrire dans le fleuve du vivant : une écobiologie
« Les mamans moustiques piquent parce qu’elles ont besoin du sang des humains pour nourrir leurs bébés. » Selon l’auteur de ce propos, tous les animaux étant égaux on devrait donc refuser de tuer les moustiques ! Celui qui affirme cela c’est Aymeric Caron, une personnalité médiatique omniprésente, président du parti « La révolution écologique pour le vivant ». L’antispécisme est un mouvement dénué de représentativité mais qui s’inscrit dans une dynamique globale de déconstruction des différences de sexes, de races et maintenant entre espèces. L’antispécisme est la phase ultime de l’antiracisme comme l’avait imaginé avec humour le philosophe Clément Rosset dans sa Lettre aux chimpanzés, il y a plus de 50 ans.
Aujourd’hui il n’est plus question d’humour mais d’agitation brutale et frénétique débouchant sur des actions violentes contre l’élevage, contre la chasse à courre, contre la chasse tout court, contre les commerces de bouche. Après la négation de l’existence des races au nom de l’antiracisme, voilà la négation des espèces et l’affirmation de leur égalité – de l’amibe à l’homme – au nom de l’antispécisme !
Cette attitude n’est pas naturelle. Elle est même anti naturelle. La nature c’est la compétition. La vie c’est la lutte. Entre les espèces. Entre les races et les populations à l’intérieur des espèces. Entre les individus à l’intérieur des groupes. C’est cela la dynamique de la vie par-delà le bien et le mal.
Le chevreuil qui déguste les pousses du jeune hêtre n’est ni bon, ni méchant, il est chevreuil, il est herbivore. Le loup qui mange le chevreuil – pour le plus grand bonheur des hêtres – n’est ni bon, ni méchant, il est loup, il est carnivore. Et c’est d’une bêtise insondable que de faire croire aux enfants que le loup est l’ami des trois petits cochons…
homme à l’affut du chevreuil n’est ni bon, ni méchant, il est l’héritier de ses ancêtres chasseurs–cueilleurs. Il est dans sa nature d’être omnivore et de manger de la viande.
Les éleveurs quant à eux ont un rapport particulier avec les animaux de la ferme : ils les protègent, les soignent, les nourrissent et en même temps ils mettent un terme à leur vie. Dur pour les individus mais bien pour les troupeaux. Car aujourd’hui les espèces domestiques ne sauraient survivre sans l’homme auquel elles se sont adaptées.
Bien sûr certains peuvent choisir d’être végétariens, voire végans, mais à condition de ne pas imposer aux autres des pratiques en rupture avec notre nature.
L’homme ne doit pas oublier qu’il s’inscrit dans le fleuve du vivant. C’est le fleuve du vivant qui assure l’équilibre des espèces. Et comme le rappelle Alain de Benoist, si l’homme a des devoirs envers les animaux, ceux-ci n’ont pas de droits.
Faire face à l’imprévu : une écologie du réel
Sac à dos, chaussures de montagne, piolet à la main, l’homme sortit de la benne et entra dans la gare de téléphérique de Zermatt puis il tendit le poing vers le Cervin et clama : « Il a fait le méchant aujourd hui !». La chaleur d’une belle journée d’août avait descellé des pierres. Leur chute avait rafalé deux alpinistes. « Monts affreux, monts sublimes » nous a dit Anne-Laure Blanc. Mont sublime, mont affreux, le Cervin n’est ni bon, ni méchant, il est. La nature n’est ni bonne, ni méchante, non, elle est indifférente. À l’homme de s’adapter à ses aléas. Le froid ou la chaleur, la pluie, la neige ou le vent. La bourrasque ou le calme plat. L’écologie du réel, c’est se préparer à faire face.
C’est pratiquer des activités sportives de nature : randonnée, alpinisme, voile, vol libre, équitation. Et toujours accepter l’aléa naturel. Très jeune il faut s’y préparer en sortant la tête des écrans et en faisant l’apprentissage de la vie, de la nature, avec le scoutisme ; activité de formation particulièrement précieuse aujourd’hui. Une activité qu’il ne faut pas laisser pasteuriser par le politiquement correct. Une activité où l’enfant, l’adolescent ou le jeune homme, pourra apprendre à mettre en œuvre le principe de Baden Powell : « Lorsqu’on quitte un lieu de bivouac, prendre soin de laisser deux choses. Premièrement : rien. Deuxièmement ses remerciements. »
Comme le majestueux Cervin, le microscopique coronavirus n’est ni bon, ni méchant. Il est. Il rappelle à l’homme que rien n’est jamais acquis. Que le vivant mute et que rien ne peut l’empêcher de muter. C’est sa manière à lui, le vivant, de réguler l’hybris humaine, de rappeler la fragilité des mégapoles, les dangers du décloisonnement et de la mondialisation.
« L’histoire est le lieu de l’imprévu » disait Dominique Venner. Mais l’imprévu prend aussi la forme des caprices de la nature. C’est le petit âge glaciaire et la grande peste qui bouleversent la fin du Moyen Âge. Ce sont les mauvaises récoltes qui précédent la Révolution française. C’est l’épidémie de coranavirus qui fragilise le puissant édifice de la mondialisation.
Pour conclure, je m’inscrirai dans le cycle de ce colloque. J’en reviendrai au message des Grecs qui nous a été rappelé par RémI Soulié : la recherche de l’harmonie des contraires. La nature est un tout dont nous sommes partie mais qu’il nous faut aussi, selon la Physique d’Aristote, analyser dans chacune de ses parties. Et si le génie de l’occident c’est d’avoir incarné le mythe de Prométhée, les Européens n’en doivent pas moins retrouver aujourd’hui la sagesse d’Orphée, le poète et musicien qui charme la nature qui, en retour, lui répond.
Jean-Yves Le Gallou 05/11/2021
Ce texte a été publié dans le numéro spécial de la revue littéraire Livr’Arbitres, “Actes du VIIe colloque de l’Institut Iliade”. Pour acheter ce numéro ou s’abonner à la revue : livrarbitres.com
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