Jean-Jacques Rousseau est le père des façons modernes de penser et de sentir qui envahirent les Lettres et les Arts, la pensée politique, et enfin la conscience religieuse elle-même. Maurras le critique sans ménagement. À côté du Genevois, Montesquieu et Voltaire ne sont que des potaches.
Dans notre précédente étude, Charles Maurras nous menait au coeur même de la pensée subversive qui est – il convient de rappeler sans cesse le mot d'Auguste Comte – une « sécession de l'individu contre l'espèce ». La révolution politique représente le fruit de la révolution intellectuelle, elle-même résultat de la fermentation de la révolution morale et mentale. Le rêve individualiste produit le système égalitaire dont l'application ruine l'État, la société et finalement la civilisation.
Idée religieuse
Maurras avait bien compris que les « contestations » et les « audaces » d'un Montesquieu ou d'un Voltaire ne sont que des chahuts de potaches dont les amusements, s'ils se révèlent parfois de fort mauvais goût, ne remettent pas en cause les fondements de la civilisation classique. C'est avec Rousseau que l'idée démocratique devient religieuse, c'est Rousseau, héritier de la Réforme, qui est le père des façons modernes de penser et de sentir qui envahirent les Lettres et les Arts, puis la pensée politique, enfin la conscience religieuse elle-même.
Voyons, dans la préface de l‘édition définitive de Romantisme et Révolution (Bibliothèque des oeuvres politiques, Versailles, 1928) l'irruption de Jean-Jacques Rousseau dans la France de Louis XV, dans l'Europe française qu'il allait détruire au profit de la Révolution barbare :
« En ce temps-là, passé la frontière française, florissait le VIIe ou le VIIIe siècle de la civilisation des modernes. Il y entra comme un de ces faux prophètes qui, vomis du désert, affublés d'un vieux sac, ceints de poils de chameau et la tête souillée de cendres, promenaient leurs mélancoliques hurlements à travers les rues de Sion : s'arrachant les cheveux, déchirant leurs haillons et mêlant leur pain à l'ordure, ils salissaient les gens de leur haine et de leur mépris...
La gloire de la France et l'hégémonie de Paris furent employées à répandre les divagations d'un furieux. Ce sauvage, ce demi-homme, cette espèce de faune trempé de la fange natale avait plu par le paradoxe et la gageure de son appareil primitif. Cela avait intéressé des coeurs trop sensibles et des esprits trop cultivés. Mais il était inévitable que les parties du monde les moins avancées y fussent plus sensibles encore : l'Europe la moins polie ne pouvait manquer de se reconnaître et de s'aimer dans cet enfant de la nature dont Paris avait fait son idole dorée. De sorte que pour une partie de son public, la plus épaisse (l'allemande) sa prédication était prise au mot : les anciens jugements portés sur les choses en étaient renversés ; ce qui s'était jadis conçu comme ignorance à compléter, imperfection à corriger, faiblesse à réparer prétendit à la supériorité de sa fraîcheur barbare et neuve sur le dessèchement et l'épuisement imputés à toute race instruite, cultivée, arrivée. »
Poison rousseauiste
La préface où nous avons cueilli ces lignes constitue un des textes capitaux de Maurras. Nous sommes au coeur de sa pensée, là où l'analyse philosophique et esthétique rejoint l'analyse politique. Certes, les causes de la Révolution se révèlent multiples et complexes, certes, la pensée de Rousseau n'aurait pas détruit la société si elle n'avait trouvé des circonstances qui lui permirent de germer, mais la personne et l'oeuvre du Genevois sont hautement symboliques : son Héloïse, ses Confessions annoncent l'immoralité exhibitionniste que nous connaissons, son Contrat social est la source de la légitimité démocratique, sa Profession de foi du vicaire savoyard a contaminé la pensée religieuse. Les sarcasmes voltairiens nuisent moins à l'Église que le poison de la religiosité rousseauiste.
Voltaire avait d'ailleurs bien compris que Rousseau représentait un danger pour la civilisation et tendait à réduire l'homme à l'animalité : « On n'a jamais employé tant d'esprit à vouloir nous rendre bêtes ; il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage. » 1 Malgré ses immenses défauts, Voltaire est un homme civilisé, ce que n'est pas le père de la démocratie moderne, politique et religieuse, Jean-Jacques Rousseau.
Gérard Baudin L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 16 avril au 6 mai 2009
1 - Voltaire : Lettre à Rousseau. 30 août 1755.
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