dimanche 8 août 2021

Trois livres sur les relations germano-soviétiques de 1918 à 1944 4/5

  

Ci-contre : Deux personnages importants de la République de Weimar : von Papen et Kurt von Schleicher, ici en 1932, respectivement alors Reichskanzler et Reichswehminister, lors d’une commémoration militaire à Berlin. Von Schleicher constatera que son armée ne pouvait contenir les éléments communistes et nazis si ceux-ci unissaient leurs forces. Son objectif : maintenir le statu quo (réparations incluses) en demandant aux Alliés de pouvoir disposer de 300.000 hommes. Cette éventualité inquiétait les Soviétiques, car elle aurait pu déboucher sur une alliance franco-germano-polonaise. Le conflit entre von Schleicher voulant temporiser la situation socio-politique et l’ultraconservateur von Papen décrétant la loi martiale ne fera que rendre plus instable le gouvernement de Hindenburg.

Le document n°53 reproduit les fameux “protocoles secrets supplémentaires”, signés par Ribbentrop et Molotov, où Russes et Allemands se partagent l’Europe Orientale en zones d’influence (cf. la carte ci-dessous). Rappelons que le point 3 mentionne l’intérêt soviétique pour la Bessarabie attribuée en 1918 à la Roumanie. L’Allemagne déclare se désintéresser de cette région.

L’avis de Mussolini

Le document n°55 est une lettre de Hitler adressée à Mussolini et datée du 25 août 1939. Hitler demande l’avis de Mussolini sur la situation nouvelle.

Le document n°56 reproduit la réponse du Duce, envoyée le jour même. En voici le contenu intégral :

« Führer, je réponds à votre lettre que vient de me remettre à l’instant l’ambassadeur von Mackensen.

  1. En ce qui concerne l’accord avec la Russie, j’y souscris entièrement. Son Excellence Göring vous dira que je confirme les propos tenus lors des entretiens que j’ai eus avec lui en avril dernier : en l’occurrence qu’un rapprochement entre l’Allemagne et la Russie est nécessaire pour éviter l’encerclement par les démocraties.
  2. J'estime qu'il est utile de faire le nécessaire pour éviter une rupture ou un refroidissement avec le Japon, à cause du nouveau rapprochement de celui-ci avec les États démocratiques qui en résulterait. Dans ce sens, j'ai envoyé un télégramme à Tokyo et il semble qu'après avoir surmonté l’effet de surprise, l’opinion publique japonaise adoptera une meilleure attitude psychologique.
  3. l’accord de Moscou bloque la Roumanie et peut contribuer à faire changer la position de la Turquie, qui a accepté les prêts anglais, mais n'a pas encore signé d’alliance. Une nouvelle attitude de la Turquie réduirait à néant tous les plans stratégiques des Français et des Anglais en Méditerranée orientale.
  4. Pour ce qui concerne la Pologne, je comprends parfaitement l’attitude de l’Allemagne et admets le fait qu’une situation aussi tendue ne peut perdurer à l’infini.
  5. Pour ce qui concerne l’attitude pratique de l’Italie en cas d’une action militaire, mon point de vue est le suivant :
    Si l’Allemagne attaque la Pologne et que le conflit demeure localisé, l’Italie accordera à l’Allemagne toutes formes d’aide politique et économique.
    Si l’Allemagne attaque et que les Alliés de la Pologne amorcent une contre-attaque contre l’Allemagne, je porte d’avance à votre connaissance, qu'il me paraît opportun que je ne doive pas prendre moi-même l’initiative d’activités belligérantes, vu l’état actuel des préparatifs de guerre de l’Italie, dont nous vous avons tenus au courant régulièrement et à temps, vous, Führer, ainsi que von Ribbentrop.
    Mais notre intervention peut être immédiate si l’Allemagne nous livre sans retard le matériel militaire et les matières premières nécessaires à contenir l’assaut que Français et Anglais dirigeront essentiellement contre nous.
    Lors de notre rencontre, la guerre était prévue pour 1942 ; à ce moment-là j’aurais été prêt sur terre, sur mer et dans les airs selon les plans prévus.


Je suis en outre d’avis que les simples préparatifs militaires, ceux déjà entamés et les autres, qui devront être commencés dans l’avenir en Europe et en Afrique, immobiliseront d’importantes forces françaises et britanniques.

J’estime que c'est mon devoir inconditionnel, en tant qu’ami loyal, de vous dire toute la vérité et de vous avertir d’avance de la situation réelle : ne pas le faire aurait des conséquences désagréables pour nous tous. Voilà ma conception des choses et, puisque sous peu je devrai convoquer les plus hauts organes du régime, je vous prierais de me faire connaître la vôtre.

s. MUSSOLINI. »


L’enquête de Höffkes ne reprend que des documents datés entre le 17 avril 1939 et le 28 septembre 1939. Après cette date, Russes et Allemands collaborent étroitement pour réduire toute résistance polonaise au silence. Staline tente de réaliser sur le terrain la zone d’influence qui lui a été octroyée le 23 août. La Finlande résiste héroïquement pendant la guerre d’hiver de 1939-40 et Staline doit se contenter de quelques lambeaux de territoires qui sont toutefois stratégiquement importants. Dans le sillage de la campagne de France, il occupe les Pays Baltes, avec, en plus, une bande territoriale de la Lithuanie, normalement attribuée au Reich. Ensuite, il occupe la Bessarabie et la Bukovine, contre les accords qui le liaient à Hitler [cf. à ce propos Jens Hecker, Der Ostblock : Enstehung, Entwicklung und Struktur, 1939-1980, Nomos Verl., Baden-Baden, 1983].

À partir de ce moment, l’Allemagne devient réticente et la méfiance de Hitler à l’égard des “bolchéviques” ne cesse plus de croître. Le discours “anti-fasciste” est réinjecté dans les écoles de l’Armée Rouge. Staline encourage les Yougoslaves à résister aux pressions allemandes ; les Anglais lui suggèrent, contre sa promesse d’entrer en guerre à leurs côtés, la “direction des Balkans”. Molotov en parle à Hitler et demande au Führer s'il est prêt à faire une concession équivalente. À partir de ce moment, Hitler envisage la guerre avec l’URSS. Le gouvernement yougoslave adhère à l’Axe puis est renversé par un putsch ; Staline reconnaît le nouveau gouvernement et Hitler envahit la Yougoslavie. Les relations privilégiées entre le Reich et l’URSS avaient cessé d’exister…

Les protocoles du 9 novembre 1940

La dernière tentative allemande de mener une politique commune avec la Russie date du 9 novembre 1940. Molotov est à Berlin pour négocier. Il détient une position de force : l’URSS a reconstitué le territoire des tsars de 1914, Finlande exceptée. L’Allemagne n'a pas réussi à mettre l’Angleterre à genoux. Molotov exige dès lors les Dardanelles, la Bulgarie, la Roumanie, la Finlande, un accès à la Mer du Nord… Hitler rétorque en soumettant un plan de “coalition continentale euro-asiatique”, inspiré du théoricien de la géopolitique, Haushofer. L’Allemagne et la Russie se partageraient la tâche : le Reich réorganiserait l’Europe tandis que la Russie recevrait en héritage une bonne part de l’Empire britannique en Asie. Staline dominerait ainsi la Perse, l’Afghanistan et les Indes, tout en bénéficiant d’une immense façade maritime dans l’Océan Indien. Les protocoles du 9 novembre 1940 n'ont jamais été signés. Les Soviétiques ont toujours nié leur authenticité, comme ils ont nié l’authenticité des “protocoles secrets supplémentaires” du 23 août 1939.

Le texte de ces protocoles non signés, nous l’avons retrouvé dans le livre de Peter Kleist (Die europäische Tragödie, Verlag K.W. Schütz KG, Pr. Oldendorf, 1971, 320 p.). Les 3 pays de l’Axe suggéraient à l’URSS de participer à la construction de la paix, promettaient de respecter les possessions soviétiques, de ne pas adhérer individuellement à une coalition qui serait dirigée contre l’une des quatre puissances signataires. La durée de cet accord serait de 10 ans. Dans le protocole secret n°1, soumis aux quatre puissances, l’Allemagne promettait de ne plus étendre sa puissance en Europe mais de faire valoir ses droits en Afrique centrale. L’Italie promettait de ne plus poser de revendications territoriales en Europe mais de concentrer sa pression en Afrique du Nord et du Nord-Est. Le Japon promettait que ses aspirations seraient circonscrites à l’espace extrême-oriental au Sud de l’archipel japonais. L’URSS devait promettre que ses aspirations d’expansion territoriale se porteraient à l’avenir vers l’Océan Indien.

Un second protocole secret, devant être signé par les trois puissances européennes de la “quadripartite” envisagée, prévoyait de dégager la Turquie de ses obligations à l’égard de la France et de l’Angleterre. Une offensive diplomatique dans ce sens devait être amorcée dans la loyauté, avec échanges d’information réciproques. Les trois pays devaient viser à établir un accord avec la Turquie, respectant l’intégrité territoriale turque. Un troisième point prévoyait le règlement de la navigation dans les détroits, impliquant une révision du statut de Montreux. L’URSS recevrait le droit de franchir les détroits, tandis que toutes les États riverains de la Mer Noire. Les navires de commerce pourraient sans difficultés majeures continuer à franchir les détroits.

Les Soviétiques refusent de participer à la construction de la “Grande Eurasie”

Cette suggestion, pourtant pleine de sagesse, n'a pas été retenue par les Soviétiques, encore fascinés par la volonté séculaire des Tsars de contrôler tout l’espace orthodoxe du Sud-Est de l’Europe et de conquérir Constantinople. Le refus de participer à la construction de la “Grande Eurasie” semble être corroboré par le témoignage récent d’un officiel soviétique passé à l’Ouest, Viktor Souvorov (ou Suworow) (in Der Eisbrecher : Hitler in Stalins Kalkül, Klett-Cotta, 1988, 420 p.). Pour le transfuge russe, le calcul de Staline a été le suivant : laisser les forces allemandes venir à bout de la France et de l’Angleterre, puis dicter des conditions énormes à l’Allemagne exsangue, de façon à la tenir totalement sous la coupe de la Russie. En cas de refus, les Armées Rouges envahiraient l’Europe.

Hitler aurait été conscient de ce projet et n'aurait jamais envisagé de conquérir un “espace vital” à l’Est, explique un autre historien, Max Klüver (in : Präventivschlag 1941 : Zur Vorgeschichte des Rußland-Feldzuges, Druffel Verlag, Leoni am Starnberger See, 1986-89, 2e éd., 359 p.). Son enquête minutieuse retrace au jour le jour l’évolution de la situation en Europe depuis le 23 août : la dépendance de l’Allemagne vis-à-vis des matières premières russes, les plans coloniaux du Reich après l’effondrement de la France, la création d’un foyer juif à Madagascar, le problème épineux de la Bukovine, l’offre de paix de Hitler à l’Angleterre, l’accord économique limité entre la Grande-Bretagne et l’URSS du 27 août 1940, l’arrivée de Eden sur la scène et l’amélioration des relations soviéto-britanniques, la nouvelle doctrine de l’Armée Rouge, l’arbitrage de Vienne réglant les problèmes de frontières entre la Hongrie et la Roumanie, la pomme de discorde finlandaise, le refus de la part de Molotov d’accepter le protocole du 9 novembre 1940, la campagne des Balkans, le Traité soviéto-yougoslave du 5 avril 1941. Ce livre explique l’échec de l’accord d’août 1939 et révèle en fait que l’Opération Barbarossa, déclenchée le 22 juin 1941, était une « guerre préventive ». Nous y reviendrons

À suivre

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