Les guerres civiles sont souvent le théâtre des pires atrocités, mais de l’horreur des charniers surgissent parfois des figures que l’Histoire avec sa grande hache permet de révéler.
Si la guerre de Vendée compte parmi les épisodes les plus sanglants de l’histoire de France, son récit relève d’une épopée grandiose et tragique que Napoléon qualifia de « guerre de géants ». C’est aux chefs de cette insurrection que Jean-Joël Brégeon, historien spécialiste de la Révolution française et du premier Empire, consacre son dernier livre Les héros de la Vendée (éditions du Cerf), restituant à travers une galerie de portraits la dimension épique de leur engagement qui les conduira jusqu’au sacrifice ultime.
Blancs ou Bleus, la révolte d’une génération
Jean-Joël Brégeon considère que la Vendée représenta la « révolte d’une génération ». La Révolution française permit, chez les républicains comme chez les royalistes, l’émergence d’une nouvelle génération de chefs militaires qui bouleversa les concepts de la guerre classique. Au sein des armées de la République, Marceau, Hoche, Kléber, Travot sortirent du rang à la faveur de la révolution. Mais encore ceux-ci avaient-ils choisi le métier des armes, pour affronter « l’effroi du monde, la tragédie de la vie, l’incertitude des jours… » (Sylvain Tesson). Tandis qu’au contraire, les futurs généraux insurgés aspiraient, pour la plupart, à mener une vie paisible, loin du fracas des armes et des tumultes des batailles. Sans la Révolution, tous seraient restés de parfaits inconnus. Mais c’était sans compter l’imprévu de l’Histoire, transformant leur vie en destin, quittant leur statut d’hommes ordinaires pour se muer en héros.
Les chefs de l’armée blanche procèdent en effet de milieux divers, la plupart n’ont pas d’expérience militaire, mais si les hommes du peuple ne manquent pas, l’essentiel du commandement vient de la noblesse. Ces chefs sauront évoluer dans leur stratégie, par choix ou poussés par les évènements. La guerre de Vendée connaîtra ainsi deux phases distinctes : aux grandes batailles rangées du début du conflit succédera la « petite guerre », faite de coups de main et d’embuscades, s’appuyant sur le soutien de la population. « La Vendée a fait réfléchir les plus grands stratèges, Napoléon, Jomini, Clausewitz. Plus tard en Russie, les chefs bolcheviks nourriront leur réflexion de cet exemple ».
Avec honneur, fidélité et panache
Une phrase, sous la plume de Jean-Joël Brégeon, résume l’engagement des généraux vendéens : « Les Vendéens ne se battent pas pour la victoire finale, ils se battent pour l’honneur, par fidélité ». Honneur, fidélité, ces mots reviennent souvent dans le récit, mais aussi le panache. Beaucoup sont sans illusion sur l’issue tragique de la bataille mais tous plongent sans hésiter dans le chaudron rougeoyant de l’insurrection. Pour illustrer cette attitude, Jean-Joël Brégeon cite Rabelais, « parce que les gens libres, bien nés, bien éduqués, vivant en bonne société, ont naturellement un instinct, un aiguillon qu’ils appellent honneur et qui les pousse toujours à agir vertueusement ».
À la lecture de la vie de ces généraux, on reste subjugué devant leur droite attitude, guidés par une éthique chevaleresque mêlant ardeur au combat et magnanimité pour les vaincus, affrontant avec lucidité leur destin malgré des conditions dantesques. Cathelineau, Lescure, d’Elbée, Bonchamps passèrent comme des éclairs fulgurants dans l’Histoire, fauchés dès les premiers mois du soulèvement. La Rochejaquelein, celui qui « ne voulait être qu’un hussard, pour avoir le plaisir de se battre », mourra à 21 ans, moins d’un an après son engagement dans l’insurrection. Charette et Stofflet, les deux derniers « géants », tinrent trois ans à peine face aux armées républicaines lancées à leurs trousses.
Le livre présente également l’entourage de chaque chef vendéen sous forme de courtes notices biographiques. Leur lecture laisse songeur : enfants ou vieillards, nobles ou paysans, hommes ou femmes, mères, sœurs ou filles, tous ou presque ont péri, sur l’échafaud, fusillés, noyés, tués au feu. Leur évocation laisse deviner l’ampleur du cataclysme qui dévasta la Vendée martyre.
Au-delà du caractère quasi romanesque de la vie des « héros de la Vendée », Jean-Joël Brégeon consacre la troisième partie de son livre aux abondantes sources historiographiques – plus de cinquante mille – traitant du soulèvement de 1793 et aborde notamment la controverse sur la reconnaissance du génocide vendéen, née de la célébration du bicentenaire de la Révolution. S’il se refuse à confondre histoire et mémoire, l’auteur reconnaît que le débat ainsi engendré a fait progresser la recherche historique et démontré la réalité de « l’extermination de populations civiles » par la République.
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En tête de chacun des chapitres consacrés à la vie d’un général vendéen, Jean-Joël Brégeon a choisi de faire figurer une citation appropriée de l’Iliade. C’est un choix heureux. À travers son livre, il dit le courage de La Rochejaquelein qui, comme Hector, affronte en combat singulier ses ennemis, il dit la ruse de Charette qui, comme Ulysse, sut échapper tant de fois à de nombreux périls, il dit la bonté d’âme de Bonchamps qui, comme Priam, pardonne à ses ennemis… à trente siècles de distance, c’est un même sang et une même éthique qui traverse et porte ces héros.
La dimension éminemment tragique de l’insurrection vendéenne, qui fut un échec sanglant, ne fut pas vaine pour autant. « Si les dieux ont infligé la mort à tant d’hommes, c’est pour donner des chants aux gens de l’avenir » (VIII, 579-580) nous dit Homère dans l’Iliade. Selon la formule de Dominique Venner dans son livre Le samouraï d’Occident, la geste héroïque des Vendéens a ainsi « transcendé le malheur en beauté ».
BCT
Jean-Joël Brégeon, Les héros de la Vendée, éditions du Cerf (2019)
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