(Charles VI, pris de folie, attaque son frère dans la forêt du Mans. Chronique de Monstrelet. Source : Herodote.net )
Cet article a fait l’objet d’une parution sur le site d’information Vexilla Galliae.
« Et si le roi était fou ? Comment ferions-nous ? » Vous connaissez tous cette ritournelle. Royalistes, on vous l’a souvent servie pour vous placer, pensait-on, devant les contradictions de vos beaux systèmes. Républicains, vous avez toujours pensé une fois à cette possibilité, vous disant qu’au moins on pouvait se débarrasser d’un mauvais président, mais pas d’un roi fou.
La réponse royaliste toute trouvée est de dire que l’institution royale est assez solide et vertueuse pour suppléer à la folie du roi. L’histoire vient au secours du débatteur, lui rappelant qu’en quinze siècles, la royauté française n’aurait connu qu’un seul roi fou, Charles VI.
Est-il pourtant si sûr que l’institution puisse permettre de passer outre l’incompétence du dirigeant ? Car c’est bien ce qui est sous-entendu dans cette question de républicain, au-delà de la folie, marginale.
Prenons dans l’histoire capétienne deux exemples d’incompétence dans le gouvernement, Philippe III le Hardi, fils de Saint Louis, et Charles VI, justement, fils de Charles V.
Dans le premier cas, Philippe III est parfaitement sain d’esprit, mais intellectuellement limité, ne portant que peu d’intérêt au gouvernement, incapable selon les chroniqueurs du temps, d’administrer seul le royaume. La question de l’aptitude à régner de leur fils inquiétait le couple royal. Louis IX partant en croisade en 1270 prit soin de nommer un conseil de régence bipartite, avec l’abbé de Saint-Denis Matthieu de Vendôme et Simon de Nesles, noble d’épée, vieux conseiller du roi. Marguerite de Provence, quant à elle, avait imaginé maintenir une tutelle jusqu’aux trente cinq ans révolus de son fils, ce à quoi s’opposa saint Louis, craignant, à juste titre, l’accaparement de la dignité royale par le clan provençal de sa femme. Philippe III monté sur le trône et rentré de croisade à la tête du cortège funèbre contenant les restes de son père, de son frère, de son épouse et des plus grands noms de la chevalerie française, maintint le conseil de régence installé par son prédécesseur. Certes, ce n’était plus une régence, le souverain étant rentré en France, mais la réalité du pouvoir leur demeurait.
Nous avons, dans ce cas de figure, une parfaite illustration de la supériorité institutionnelle de la royauté dans un contexte de paix. Le roi, incapable de gouverner seul, est entouré de conseillers fidèles, qui assurent pour lui le fonctionnement régulier du pays. Il assiste aux conseils, il signe les actes officiels, mais l’institution se suffit à elle-même, il en est le garant nécessaire, mais elle peut se passer de son action.
Non seulement le royaume ne souffrit point de l’incapacité du roi, mais le domaine royal s’accrut encore de plusieurs provinces et villes, la paix publique fut maintenue, la prospérité du royaume assurée.
On sait que la série de souverains incapables dont l’Angleterre fut affligée dans la fin du XVIIIe et le début du XIXe donna définitivement son impulsion parlementaire libérale à sa monarchie à cause du trop long effacement du souverain.
Ce ne fut pas le cas en France quelques siècles plus tôt, puisqu’à Philippe III le Hardi, roi batailleur et preux chevalier mais piètre gouvernant, succéda le très actif et compétent Philippe Le Bel.
Mais si ce système a si bien fonctionné, c’est aussi que la France était en paix.
En effet, il en est allé tout autrement avec le règne de Charles VI.
Nous voici cent ans plus tard, en plein conflit opposant la France à l’Angleterre. Même pour un roi aussi habile gouvernant que Charles V, la partie fut difficile. En 1380 le jeune Charles VI a douze ans. Ce sont ses oncles qui assurent la régence. A peine stabilisé par l’œuvre pacificatrice du règne précédent, le royaume est frappé par une série de soulèvements antifiscaux à Paris, Rouen et dans les Flandres, pour ne citer que les principaux foyers.
Adolescent chevaleresque, le jeune roi doit d’abord écraser son propre peuple à la tête de l’armée royale menée en fait par les ducs de Bourgogne, de Berry, d’Anjou et de Bourbon. Majeur et marié à Isabeau de Bavière, Charles VI se défit de la tutelle de ses oncles. Jeune et séduisant souverain, gouvernant infatigable, attaché au souvenir des réformes de son père dont il rappela plusieurs anciens conseillers surnommés les « marmousets », chevalier aux idées généreuses, hanté par le souci de la croisade au nom de laquelle il fallait conclure à tout prix la paix générale en Occident et rétablir l’unité de l’Eglise déchirée par le grand schisme, le roi Charles VI avait les qualités requises pour cette fois, au contraire, pallier les faiblesses de l’institution royale, amoindrie par la guerre et les révoltes. Il était en quelque sorte l’homme providentiel apte à continuer l’œuvre fragile de son père.
Mais survint la folie et le roi, dans l’incapacité de gouverner, ne fut plus en mesure d’accomplir son grand dessein. Le pouvoir fut partagé entre son frère, le duc Louis d’Orléans, confident de la reine Isabeau, le vieux duc Jean de Berry et Philippe de Bourgogne, bientôt remplacé par Jean sans Peur son fils.
L’Etat royal fut le sujet des coteries partisanes, les groupes au pouvoir nommant les officiers de la royauté selon leur appartenance à tel ou tel clan, n’hésitant pas même à traiter directement avec l’étranger contre leur adversaire de l’intérieur.
Ici, nous avons le miroir inversé de l’épisode de Philippe III le Hardi. Non seulement l’institution ne peut pas tenir en dépit de la faiblesse de son chef, mais elle ne pouvait se relever que grâce à lui.
Là, justement, il faut souligner l’état de guerre et de crise interne de la France.
Nous sommes face à un enseignement à deux faces. Certes, la permanence de l’institution royale, le caractère arbitral de la fonction même de roi, permettent à l’Etat de continuer sa marche et de profiter du caractère bénéfique de la royauté même quand le souverain est incapable. Philippe III le montra malgré lui, ainsi que l’histoire étrangère plus récente, au Royaume-Uni, mais aussi en Prusse sous le règne de Frédéric-Guillaume IV. Mais il s’agit de situations ordinaires de paix publique ou de prospérité économique. Que la situation nécessite une action exceptionnelle et justement il faut un homme d’exception, au moins un homme ordinaire sachant tenir la barre dans la tempête.
Il faut trouver l’équilibre entre l’homme et l’institution. Pas la peine d’être grand clerc pour s’en rendre compte.
La République qui espère fréquemment en l’homme providentiel pour réparer ses faiblesses internes pêche par l’excès inverse de celui des royalistes imaginant que l’institution pourra combler seule la faiblesse des hommes.
Yves-Marie Adeline dans son Pouvoir légitime l’avait bien compris, lui qui postulait que si l’institution se suffit à elle-même par la suite, au nom du bien commun, il y a cependant un homme exceptionnel, une sorte de César, à la source de l’institution, pour opérer le premier saut, salutaire, qui met en place le nouvel Etat. Pour la royauté capétienne ce furent Hugues Capet et son fils Robert II le Pieux.
La République a ceci de particulier qu’elle promeut l’esprit partisan et la courte vue à la tête de l’Etat, court-circuitant l’appareil administratif à son service et ainsi écrasant les talents qui pourraient en sortir, ou les dévoyant pour en faire des conquérants du pouvoir politique mais plus des serviteurs du bien commun.
Au moins, par son fonctionnement hyper combattif parvient-elle à susciter des personnalités hors du commun, mais hélas utilisées à la seule fin de leur carrière personnelle.
On pourrait espérer qu’un système d’équilibre stabiliserait la tête de l’Etat par l’instauration d’une royauté capétienne, tout en continuant de s’appuyer sur une administration moderne qui sécrète ses hommes d’exception, l’Etat royal en donna la démonstration au XVIIIe siècle, et comme nous en avons souvent l’image aujourd’hui avec ces grands commis de l’Etat qui essuient les plâtres de l’incurie ministérielle.
Mais pour parvenir à ce fonctionnement institutionnel régulier, où hommes et institutions marcheraient dans un chemin d’équilibre, encore faudrait-il un homme providentiel numéro un pour relancer la machine par son action salvatrice.
Tout en sachant que le régime idéal n’est pas de ce monde, c’est ici que nous l’attendons, notre nouveau Clovis…
https://gabrielprivat78.wordpress.com/2014/06/27/les-hommes-ou-les-institutions/
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