samedi 24 juillet 2021

La FNSEA, un syndicat dans le système

 Le syndicat majoritaire dans le secteur agricole est co-responsable, avec l’État , des difficultés qu’affrontent les paysans.

Beulin n'est pas Dorgères et la FNSEA, premier syndicat d'agriculteurs aux élections professionnelles, n'a pas grand-chose de commun avec les chemises vertes des années 30, en dépit de l'exaspération de ses « troupes ». On l'a bien vu après la bruyante réception que les paysans présents au salon de l'Agriculture ont réservée le 27 février à François Hollande, copieusement conspué. Dès le lendemain, le « patron » de la FNSEA présentait « des excuses pour les noms qui ont été prononcés à l'égard du président »...

Au reste, la FNSEA elle-même n'est pas innocente de la situation actuelle. Les choix qu'elle a faits depuis les années 1960, et sa collusion avec le pouvoir politique, n'ont pas été sans conséquence sur le sort des paysans. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles était une composante de la Confédération Générale de l'Agriculture (CGA), structure fondée par le gouvernement provisoire de la République française et dominée par la gauche socialiste, radicale et communiste. La majorité des dirigeants de la FNSEA, au contraire, étaient issus de la Corporation paysanne créée par le gouvernement de Vichy, et guère portée à gauche.

Par ailleurs, en 1954 la FNSEA se dota d'une structure « jeunes » qui donna naissance au Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA), animée par des cadres de la Jeunesse agricole catholique (JAC), qui militaient pour la modernisation des petites structures agricoles et s'opposaient à la politique de soutien des prix (défendue par les « vieux » de la FNSEA), au motif qu'elle favorisait les exploitations importantes au détriment des petites.

Le double jeu du CNJA

Jusqu'alors, la FNSEA s'était méfiée des immiscions de l’État dans les affaires agricoles. Mais, au début des années 1960, le CNJA travaille en entente avec le gouvernement gaulliste et le Commissariat au Plan pour casser les « féodalités » rurales et moderniser l'agriculture française, notamment en favorisant l'agrandissement des exploitations, par absorption des petites - il est vrai que beaucoup avaient une taille insuffisante pour assurer de quoi vivre au paysan et à sa famille. Le gouvernement, en quête de main d'œuvre pour son programme d'industrialisation (on fait appel à la même époque à l'immigration maghrébine), appuie ces transformations et prépare avec les dirigeants du CNJA les lois sur l'agriculture de 1960 et 1962. En juin 1964, Michel Debatisse, l’une des figures du mouvement « jeunes », devient secrétaire général adjoint de la FNSEA, avant d'accéder à sa présidence en 1971. Dorénavant, le syndicat adopte une conception productiviste de l'agriculture et cogère les structures chargées de mettre en œuvre la restructuration de l'agriculture française (Safer et Cnasea). L'heure est à la spécialisation sur les cultures à hauts rendements. La FNSEA participe aussi avec l'Etat aux négociations sur la PAC, dont les subventions vont en majorité aux plus grosses exploitations... Signe de cette entente avec l'Etat, Michel Debatisse devient en 1979 Secrétaire d’État aux Industries agricoles et alimentaires. En 1986, un autre ancien président de la FNSEA, François Guillaume, sera nommé ministre de l'Agriculture dans le gouvernement de Jacques Chirac.

Résultat, entre 1970 et 2010, la surface moyenne des exploitations agricoles a augmenté de 21 à 55 hectares ; mais le nombre des exploitations est tombé de 1,6 million à 490 000 et la part de la paysannerie dans la population active a chuté de 32,4 % en 1950 à environ 3 % aujourd'hui. Par ailleurs, ces changements ont eu et continuent d'engendrer un coût humain considérable. Selon une étude de l'Institut de veille sanitaire (InVs), 485 agriculteurs se sont suicidés entre 2007 et 2009, ce qui fait du suicide la troisième cause de mortalité dans cette profession. La situation se dégrade d'autant plus que la politique productiviste s'est heurtée à partir des années 1990 à un problème de surproduction, le marché européen étant devenu excédentaire. Lors de son congrès de 1995, la FNSEA a d'ailleurs convenu qu'il fallait désormais « sortir de la culture quantitative ». Mais pour de nombreux agriculteurs, lourdement endettés (comme les élevages industriels de porcs), il ne sera pas facile de sortir du système.

Yves Kerhuon monde&vie 16 mars 2016

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