vendredi 2 juillet 2021

Immigration et patronat, une histoire de la politique française

 

[Extraits d’un long article reprenant les positions successives des partis politiques, syndicats et du patronat vis-à-vis de l’immigration]

L’immigration est un sujet structurant du champ politique. Pour beaucoup la gauche est considérée comme favorable à l’immigration, les frontières sont détestées. La droite est considérée comme hostile à l’immigration et plus on va à droite, plus cette hostilité grandit.

Si l’on revient sur les vingt dernières années, il y a eu une hausse continue de l’immigration, et ce, peu importe le gouvernement: Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron. Gauche ou droite, les flux s’intensifient. En 2007, 171907 titres de séjours ont été délivrés; en 2008, 183893; 2009, 194410; puis 2012, 193120; 2015, 217533; 2018, 258929; et 2019, 274676.

Ces gouvernants n’ont aucune prise sur les flux d’immigration. Que leur discours frôle la xénophobie comme Nicolas Sarkozy en 2007 qui s’évertuait à récupérer l’électorat FN ou François Hollande qui cherchait à masquer un quinquennat désastreux, qu’ils produisent des lois supposées restrictives, la réalité vient les contredire: ces discours sont du vent.

La gauche et le contrôle de l’immigration

Avant les années 80, le thème de l’immigration n’était pas un tabou à gauche. Tout au long de l’histoire du 20e siècle la gauche a critiqué les politiques d’immigration en pointant le grand patronat avec son complice, l’Etat. Cette critique allait de pair avec la solidarité entre travailleurs nationaux et immigrés, l’égalité des droits et l’union dans la lutte des classes. Durant les périodes où elle a été au pouvoir, la gauche a mis en place des institutions pour contrôler l’immigration, alors chasse gardée du patronat, Par exemple, En 1926 le cartel des gauches met en place un Haut Comité de l’immigration que supprimera quelques mois Raymond Poincarré. Le Front Populaire créera le Secrétariat d’Etat à l’Immigration en 1937. Entre 1945 et 1947 Ambroise Croizat contribue à créer l’ONI (Office national de l’immigration) afin de satisfaire les énormes besoins de main-d’œuvre au lendemain de la guerre. Le but était de planifier la politique d’immigration au niveau national, pour ne plus laisser aux intérêts capitalistes le monopole des flux d’immigration. La droite a toujours défendu les besoins de main-d’œuvre du patronat et des propriétaires, ainsi que l’initiative privée pour l’organisation de l’immigration. Cette initiative privée ignore évidemment l’égalité entre salariés français et étrangers, elle défend le refoulement automatique des étrangers selon la conjoncture économique, et s’attache à mettre en concurrence les travailleurs étrangers et français, à la fois pour affaiblir le front social et pour disposer d’une masse corvéable et peu revendicatrice rejoignant la fameuse “armée industrielle de réserve” de Marx. Dans les années 20 et 30, la Société Générale l’Immigration (SGI), qui assure une grande part des recrutements d’immigrés est contrôlé par le patronat de la grande industrie….

La droite et le patronat

Face aux tentatives d’organisation de l’immigration dans l’intérêt des travailleurs, le patronat et la droite ripostent. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, tout sera fait pour saper l’ONI créée par Ambroise Croizat. L’ONI assure un contrat, un logement, des droits sociaux pour les travailleurs étrangers. Ces dispositions ne réjouissent pas le patronat. Alors que le centre de recrutement tarde à se mettre en place, le patronat le contourne, fait venir des travailleurs clandestins en masse, poussant la CGT à protester contre cet afflux incontrôlé d’étrangers. Ambroise Croizat, Ministre du travail communiste de l’époque décide de fermer la frontière avec l’Italie en mai 1946. Le ministre de l’intérieur envoie aux préfets des départements limitrophes une circulaire imposant l’exclusion des clandestins arrêtés lors de la traversée de la frontière et le renvoi en 48h de ceux découverts à l’intérieur du pays sans titre de séjour et sans travail. Les inspecteurs du travail ont pour ordre de contrôler systématiquement les industries, les employeurs sont sommés de déclarer les clandestins qui y travaillent sous peine de sanction lourde. Ces clandestins étaient  ensuite régularisés après une inspection professionnelle et sanitaire. En 1963, Georges Pompidou, alors Premier ministre, déclare: “l’immigration est un moyen de créer une détente sur le marché du travail, et de résister à la pression sociale”.  Michel Massenet directeur de la Population et des Immigrations au Ministère des Affaires sociales affirme en 1966 “l’existence d’une immigration étrangère importante constitue un instrument incomparable de lutte contre le réchauffement conjoncturel”….

Le tournant des années 1980

Il y a en matière d’immigration une grande amnésie du monde politique. Paul Collier, explique dans “Exodus” que “L’espace laissé vacant par les grands partis politiques a rapidement été occupé par une brochette d’hurluberlus: racistes, xénophobes et psychopathes ont attiré à eux des citoyens ordinaires de plus en plus inquiets du silence des partis traditionnels.” C’est ainsi qu’à partir des années 1980 le Front National, bien aidé par les manoeuvres de François Mitterrand, va émerger en France. Le FN devient l’épée des intérêts capitalistes qui cherchent, comme toujours, à diviser les travailleurs français et immigrés. En désignant les immigrés comme responsables du chômage avec le slogan “3 millions de chômeurs c’est 3 millions d’immigrés de trop” le FN se tait évidemment sur la responsabilité des grandes entreprises, qui sont allées chercher ces étrangers dans leurs pays d’origines, pas d’analyse de classe, bien sûr, et de ce fait rien sur les processus d’exploitation qui exacerbent les inégalités entre immigrés et nationaux. De son côté, le Parti socialiste, est devenu le bouclier du capitalisme néolibéral. Après avoir enterré le marxisme, la lutte des classes et s’être converti à l’économie de marché,  l’hégémonie à gauche du PS a rendu toute critique de l’immigration comme “d’extrême droite”….

Trouver un nouveau paradigme

Alors que la France oscille entre 8 et 10% de chômage depuis 30 ans le MEDEF continue de plaider en faveur du recrutement des étrangers. Le réfugié politique est d’ailleurs vu sous l’angle économique. L’embauche de clandestins est encouragé par la Commission européenne, les syndicats et les employeurs via l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Elle est très demandée dans le secteur de l’hôtellerie. L’immigration représente 45% de l’accroissement de la population en France comme l’indique l’INSEE contre 30% dans le milieu des années 60 qui sont pourtant considérées comme des années d’immigration importantes. La pauvreté, la concentration dans les mêmes quartiers et le chômage des immigrés atteignent des records. La thèse d’une immigration peu importante ne tient pas. Un tel flux est incompréhensible dans une économie française asphyxiée par 40 ans de politiques, qui ont détruit notre industrie. Pourtant les débats sur ces questions sont rendus impossibles pris en tenaille par les outrances de l’extrême droite, hurlant au choc des civilisations, et par la gauche radicale qui refuse de considérer les effets négatifs qui sont la conséquence d’une immigration trop importante….

Il nous faut revenir à un discours clair sur l’immigration: la critique des processus d’immigration s’arrête où débute la stigmatisation des immigrés. Sans stigmatisation, la régulation peut et doit être recommandée. C’est une condition nécessaire pour unir un électorat atomisé, divisé et stérilisé dans l’abstention ou le vote protestataire. Ceux qui s’attachent aux classes populaires doivent réussir à porter un discours soulignant la mise en concurrence des différentes vagues d’immigration entre elles, appuyées par une politique capitaliste menée par le CAC40 et la Commission européenne….

Le Monde Moderne

https://www.fdesouche.com/2021/07/02/immigration-et-patronat-une-histoire-de-la-politique-francaise/

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