(L’apothéose d’Homère, Ingres, 1827)
Le Président de la République, François Hollande, a annoncé son désir de faire entrer au Panthéon Germaine Tillion, Geneviève Anthonioz De Gaulle, Pierre Brossolette et Jean Zay. Tous quatre furent résistants et deux furent tués durant la guerre.
Jean Moulin, en entrant au Panthéon, faisait passer avec lui dans la mémoire nationale tous les résistants, toute cette armée des ombres. Quelle est l’utilité de faire panthéoniser de nouvelles figures de la résistance ? Et pourquoi elles ? Des martyrs il y en eut d’autres.
Le colonel de La Rocque, déporté à Buchenwald pour faits de résistance, interné à la Prison de la Santé pendant un an, après sa libération, et qui mourut un an plus tard, dans l’oubli, n’est-il pas le double martyr de la résistance française et des injustices de la libération ? En ces temps de repentance, ne devrait-il pas entrer au Panthéon au nom de la réconciliation nationale et du pardon mutuel des fautes ? Mais il est peu probable qu’on en parle. On fit entrer Jean Moulin, et pourquoi pas Honoré d’Estienne d’Orves ? Martyr de la résistance ? Mais il portait un double mal , comte et royaliste, son courage fut salué par les Allemands eux-mêmes. On aurait pu aussi choisir Tom Morel, le héros des Glières… Mais il était… catholique. Remarquez, Geneviève De Gaulle aussi, quoi qu’au moins elle ne fut point militaire, ce qui rachetait son catholicisme aux yeux de nos maîtres actuels.
Mais pourquoi se chercher des poux dans la tête, près de trois quarts de siècle après les événements ? Jean Moulin représente tous les résistants, inutile de savoir lequel ou lequel autre mériterait également une place, cela établit d’indignes classifications dans la valeur du sacrifice consenti ou dans la pureté de la vie. A la rigueur, si on veut encore une fois rappeler la résistance, pourquoi ne pas ajouter une plaque commémorative pour tous les morts, au pied du tombeau de Moulin ?
En effet, remâcher la résistance prouve surtout quelque chose : Notre régime politique, dont la mythologie fondatrice a été forgée de toutes pièces en 1945 sur les ruines laissées par l’épuration, n’a pas encore su passer à autre chose. Il n’a pas su déceler de héros depuis 1945 et ceux des périodes antérieures sont condamnés peu à peu dans l’oubli. Le héros patriote moderne est un politique ou un homme de lettres engagé, marqué par un engagement politique à gauche et un passage, parfois définitif, par la résistance entre 1940 et 1945. Entendons-nous bien. Ce genre de héros est authentique, véritable. Ce qui l’est moins, ce sont leurs thuriféraires, qui découpent en petits morceaux la mémoire française et oublient allègrement les héros passés dont le souvenir motiva l’engagement des résistants en 1940. De Vercingétorix à Lyautey en passant par Du Guesclin, Jeanne d’Arc et Bayard, sans hésiter à faire une halte par sainte Geneviève, Turenne, Villars, Hoche ou Charette, les héros de la résistance puisaient leurs modèles aux sources parfois idéalisées de notre histoire. On l’oublie trop, pour nous livrer une mémoire amnésique et idéologique.
Cela pose aussi la question du Panthéon en lui-même. Qu’une nation veuille magnifier ses grands hommes et en conserver le souvenir comme exemples pour l’avenir, c’est légitime. Qu’une nation veuille regrouper ses héros les plus symboliques en une seule nécropole, là encore, c’est légitime. Mais le choix politique des héros, par des Présidents souvent opportunistes, est plus dommage. Laissons les morts en paix, et choisissons des héros en dépit des considérations politiques.
Il ne s’agit pas de réclamer l’entrée de Louvois au Panthéon. Une telle décision serait grotesque. Et les dragonnades entachent à jamais la mémoire du grand ministre.
Mais pourquoi avoir toujours laissé Pasteur à la porte, lui qui découvrit le vaccin ? L’humanité lui doit des millions de vies ! Pourquoi n’avoir pas fait entrer Raoul Dautry, père du nucléaire civil français ? La France lui doit son indépendance énergétique. Pourquoi pas le général Gallois, également, père du programme nucléaire militaire français ? La France lui doit d’avoir sanctuarisé son territoire contre toute attaque conventionnelle. A un homme, nous devons l’assurance de la paix ! Et si vous cherchez des héros à venir, n’oubliez pas, quand il ne sera plus, Jean-Loup Chrétien, le premier français dans l’espace, et ardent défenseur de l’exploration spatiale depuis quarante ans. Certes, on va faire grincer des dents, mais le professeur Jérôme Lejeune n’aurait-il pas sa place ? Il a découvert les sources de la trisomie 21 et son institut, de son vivant et depuis sa mort, cherche à élaborer des traitements pour contrecarrer le développement de ce génome « défectueux ». En ces temps d’eugénisme où 95% des enfants diagnostiqués avec un handicap sont avortés en France, l’aboutissement de ses recherches par ses disciples sauveront des milliers et des milliers de vies. Voilà des héros passés et présents. Voilà des grands hommes pour la patrie ! Ils ne dépareilleraient pas auprès de Victor Schoelcher ou de Félix Eboué.
Bien sûr, n’en choisir que quelques-uns est toujours douloureux, quand on dresse la liste de tous les grands Français. Alors pourquoi forcément des morts, et pas aussi des monuments dressés autour d’un mort symbolique ? A l’un, tous les morts de toutes les guerres de la France. A l’autre, tous les héros de la résistance. A un autre encore, les mérites de tous les membres des ordres français de chevalerie, de la légion d’honneur à l’ordre de l’étoile en passant par ceux de Saint-Louis et du Saint-Esprit. A un autre encore les académiciens depuis Richelieu, toutes académies confondues, etc.
Il y a de la place sous la coupole du Panthéon pour des listes innombrables de noms. Voilà qui, autour d’un tombeau symbolique, aurait plus de poids que les choix politiques douteux de Présidents en manque de popularité…
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