mercredi 2 juin 2021

SAS en Algérie

 (Officier d’une SAS en train probablement de régler un conflit de village. Algérie, 1955-1962)

Non, il ne s’agit pas du récit des dernières opérations spéciales britanniques au Sahara, ni d’un opus de l’oeuvre bien connue de Gérard de Villiers, mais de l’histoire méconnue des sections administratives spécialisées, dont l’oeuvre de pacification tranche avec la légende noire de l’Algérie française, et mérite d’être rappelée.

Lorsque la rébellion éclate en novembre 1954, l’Algérie, contrairement à ce qu’avance une légende reconstituée depuis, est largement sous-administrée. Cela est vrai à tel point que le général Jacques Allard, ancien officier chargé de la coordination des SAS, rencontra, dans ses missions au coeur des campagnes reculées, des Algériens d’âge mûr affirmant n’avoir jamais vu un colon blanc et des européens pour la première fois en la personne des hommes de cette SAS.

Cette faiblesse de la présence française une fois quittées les grandes terres du colonat et les villes avait pour corollaire une absence de politique sanitaire et éducative dans des régions de campagne vivant encore dans des conditions de vie proches de celles de 1830. Pour le FLN, savant connaisseur du terrain algérien, cette absence de la France fut pain béni pour implanter dans un premier temps la rébellion. L’enlèvement ou l’enrôlement des rares notables instruits eurent tôt fait de déstabiliser l’équilibre fragile de ces douars reculés. La propagande du commissaire politique fellaga, sur ces cochons colonialistes français ne pouvait que porter ses fruits, en l’absence de Français pour répondre. Peu à peu, une partie des campagnes échappa au contrôle de la France.

Pour conserver l’Algérie à la France, il ne s’agissait pas seulement de réduire les katibas par la force, de traquer les terroristes, d’exécuter les collaborateurs de la rébellion. Il fallait surtout pacifier l’Algérie, c’est à dire rétablir le lien rompu avec la population, assurer une présence française permanente dans les lieux les plus reculés. Jacques Soustelle, gouverneur général de l’Algérie, décida, dès le début de l’année 1955, soit deux mois après le début de la rébellion, d’instaurer des Sections Administratives Spécialisées, SAS, chargées de cette mission de contact permanent auprès de la population. Ce que les civils ne savaient pas faire depuis 1870, ce qu’ils ne voulaient plus faire, craignant pour leur vie, ce que le colonat s’était toujours gardé de faire, ne s’intéressant qu’à sa parcelle du pays, c’est l’armée qui allait le réaliser, dans la droite ligne des Bureaux arabes du XIXe siècle.

Ces Bureaux arabes furent institués dès 1844 par le régime de Louis-Philippe, à l’initiative du capitaine Lamoricière. Il s’agissait, devant la méconnaissance du pays pour la France, et l’ampleur de l’œuvre de conquête, de créer une administration militaire répartie sur tout le pays en petits groupes, avec pour mission d’établir un lien permanent avec la population, de découvrir et maîtriser les langues indigènes, d’assurer la justice et la perception des impôts. En quelques années, cinquante bureaux arabes furent créés en Algérie. Les officiers parcouraient sans cesse leur circonscription à cheval, maîtrisant parfaitement l’arabe, le kabyle, les langues berbères, etc. Ils s’assuraient de la levée de l’impôt, mais également de régler la justice dans les villages, d’organiser des travaux d’aménagement, routes et bâtiments publics. Dans ces bureaux arabes furent également installés des détachements du service de santé des armées pour traiter les besoins sanitaires des indigènes.

Enfin, contact permanent avec la population oblige, les officiers des Bureaux arabes se firent peu à peu les soutiens des indigènes face aux ambitions des colons. Devant arbitrer les conflits de répartition des terres entre agriculteurs européens et nomades indigènes, ils choisirent souvent ces derniers, provoquant l’ire des premiers. Ces bureaux arabes étaient dans l’esprit de la politique visionnaire de Napoléon III qui concevait la colonisation de l’Algérie comme les Anglais voyaient celle de l’Inde avant la révolte de 1857. Ils voulaient faire émerger des « brown Englishmen », Napoléon III voulait créer une élite arabe avec laquelle la France pourrait dialoguer. Son ambition était, à terme, de constituer une vice-royauté d’Algérie, liée à la France mais largement autonome. Pour cela, il fallait civiliser.

En 1870, sous la pression des colons, par méfiance vis-à-vis des militaires liés au second empire, la IIIe République abandonna peu à peu les bureaux arabes et leur mission.

En 1955, il fallait tout reprendre, et dans les pires conditions de conflit, après 85 ans d’abandon.

Les SAS s’inspiraient directement des Bureaux arabes. Un service cinématographique parcourait le bled en camion pour apporter le cinéma et les informations aux villages reculés (avec une dose de propagande il est vrai.). Partout où les unités combattantes avaient rétabli l’ordre, les SAS s’installaient. Dans le village un bureau ouvrait ses portes, avec un officier sans arme, coiffé du képi bleu des spahis, entouré d’une petite troupe de moghazinis, supplétifs algériens, flanqué d’une assistante sociale et d’un médecin. En 1962 il y avait plus de 800 SAS sur le territoire algérien.

Les objectifs fixés sont clairs :

– Rétablir le lien avec la population en langue arabe. Diffuser l’information dans la langue indigène.

– Établir des écoles, construire des routes, répondre aux besoins matériels et sanitaires de la population.

– Organiser les campagnes selon le système de l’auto-défense en s’appuyant sur l’élite indigène.

Les fruits étaient éloquents :

L’assistante sociale visite les familles, installe son bureau sur la place du village les jours de marché. Les consultations médicales gratuites se multiplient, passant de 20 000 par mois en janvier 1957, deux ans après le lancement des SAS, à 160 000 par mois en juillet de la même année, pour la seule région de l’Algérois.

Dans le domaine scolaire, alors que fin 1956 on ne comptait plus que 57 écoles du bled en Algérie, scolarisant 2000 élèves indigènes, beaucoup ayant été détruites par le FLN, elles sont 376 fin 1957, scolarisant 24 970 élèves. Pour assurer les cours, des conscrits volontaires sont détachés dans les écoles.

Concernant les infrastructures, dans l’Algérois, dans les seuls sept premiers mois de l’année 1957, 109 chantiers de routes sont ouverts, créant 4700 emplois indigènes.

Enfin, pour le volet de l’auto-défense, dans les villages, les notables demandent des armes, pour pouvoir se défendre au cas où l’armée partirait. Rapidement c’est chose faite et des petits groupes d’une vingtaine de villageois assurent la garde. Il n’y avait que 2000 harkis au service de la France en 1956, ils sont 30 000 fin 1957 et l’armée doit limiter les recrutements faute de moyens.

Pour le gouvernement par les populations elles-mêmes, notons que 1300 indigènes de toute origine faisaient partie des assemblées communales dans le seul Algérois à la fin 1957. La SAS, lorsqu’elle s’implantait dans un douar, avait pour premier objectif de rétablir l’autorité des chefs locaux et d’assurer les élections de conseils municipaux représentant indigènes et européens en proportion de leur poids démographique.

Un peu partout on crée également des écoles de filles avec une institutrice musulmane dévoilée, des consultations médicales et même des séances de cinémas pour les femmes. Les assistantes sociales parcourent les campagnes par groupes de trois, une chrétienne et deux musulmanes. L’enjeu est d’établir la confiance dans les foyers par les femmes et de libérer la femme musulmane. On vit, par endroits, des femmes brûler leurs voiles sur la place du village. Inutile de préciser que sous le gouvernement socialiste et laïc de l’Algérie indépendante elles le remirent vite.

Les effets des SAS sur la rébellion sont immédiats. Partout où les SAS s’installent, le FLN recule, la population pratique l’auto-défense et les renseignements affluent sur les fellagas, les caches d’armes, les réseaux d’entre-aide, etc.

Bien sûr, la guerre d’Algérie ne fut pas uniquement ce tableau idyllique. La torture fut une réalité, on le savait dès 1956, et on le sut de plus en plus après la guerre. Les déplacements de population étaient massifs selon la doctrine qu’il fallait « assécher le bocal du FLN ». A la terreur du FLN répondait, trop souvent, la terreur de l’armée. Pour tout dire, la politique des SAS arrivait un peu tard. Sans doute il eut fallu ne jamais interrompre l’action des Bureaux arabes. Mais l’Algérie ce fut également l’action des SAS, au service désintéressé et très risqué (faute d’armes) de la population. On doit le dire, on doit le rappeler.

Si quelqu’un a démérité en Algérie, c’est sans doute l’Etat, qui  n’a pas su prendre en main le destin des populations conquises par lui depuis 1830, mais ce n’est certainement pas l’armée.

En 1962 c’est encore le pouvoir politique qui abandonna à leur sort ces milliers d’Algériens qui, dans un ultime sursaut pour la paix firent confiance à la France. On ne sut jamais combien de harkis, d’institutrices arabes, de notables indigènes furent ignoblement massacrés par le FLN, abandonnés par l’armée sur ordre direct du Président de la République Charles De Gaulle. Les rares qui parvinrent à rentrer en France découvrirent la métropole derrière  les rouleaux de fil de fer barbelés de camps d’internement provisoires… Provisoires pour trente ans.

https://gabrielprivat78.wordpress.com/2013/04/29/sas-en-algerie/#more-239

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