La figure de ce jeune officier tombé pour la France en Indochine est exemplaire. Non pas dans son parcours, certes héroïque, mais semblable à celui de tant et tant de soldats, sous-officiers et officiers de ce temps où notre patrie fit la guerre sans discontinuer de 1939 à 1962, dernier moment de notre histoire où l’on vit des hommes commencer leur carrière militaire comme de simples sergents et la finir en généraux multi-décorés et secrétaire d’état… on aura reconnu le général Bigeard.
Non, Bernard De Lattre de Tassigny est exemplaire parce qu’il est la quintessence de la renaissance des armées françaises, sur le socle de leurs traditions, au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il en fut le témoignage par toute son existence.
Un militaire de tradition
Le jeune Bernard est né d’un père déjà officier, en 1928, alors commandant, le futur Maréchal de France Jean De Lattre de Tassigny. Cette fréquentation d’un des plus brillants militaires de sa génération fit naître précocement la vocation militaire chez le jeune garçon.
La guerre allait déplacer la famille en zone libre où le général De Lattre, fidèle à sa devise ; « ne pas subir », organisa les forces qui lui furent confiées pour la revanche, créant partout où on l’affecta, en Auvergne, en Tunisie, puis à Montpellier, une école des cadres, afin de donner des officiers combatifs à la France nouvelle. Cet exemple de pugnacité servit à son fils qui contribua grandement à le faire évader de la prison de Riom où il fut interné, après l’invasion de la zone libre en 1942, pour avoir… organisé la résistance à l’envahisseur.
Une fois sorti de prison, le général De Lattre put rejoindre les forces françaises libres, à Londres puis en Afrique du Nord où il commença l’organisation de la 1ère armée française libre, composée des levées en masse de soldats coloniaux, des conscrits pieds-noirs et des volontaires venus clandestinement de la métropole.
Bernard De Lattre et sa mère ne pouvaient rester en France, considérant l’activité militaire de leur père. C’est pourquoi ils rejoignirent l’Afrique du Nord. Là-bas, à Alger, le général venait de créer une école de formation d’officiers. Bernard, mis à bonne école, brûlait de s’engager. Mais en 1944, à 16 ans, il ne pouvait prétendre qu’à… passer son bac.
Qu’à cela ne tienne ! L’autre général, De Gaulle, octroya une dispense d’âge au fils de celui que l’on surnommait « le roi Jean ».
Le bel adolescent athlétique rejoignit le 2e régiment de dragon. Il serait cavalier comme son père, cavalier comme tous les preux de l’aristocratie militaire, cavalier comme le désirait la tradition.
Bernard, simple engagé, soumis à la vie de camp sans bénéficier d’une quelconque protection paternelle, débarqua en Provence, mena toute la campagne de la libération du territoire national, franchit le Rhin avec ses hommes et continua la guerre en Allemagne jusqu’au 8 mai. Blessé en septembre 1944 devant Autun, décoré de la médaille militaire et promu maréchal des logis en juillet 1945, l’engagé De Lattre, à 17 ans, avait mené une belle guerre ! Oui, c’était un héros.
Un officier de la nouvelle armée française
Sujet brillant, le jeune De Lattre intégra en août 1945 la toute première promotion de l’Ecole militaire interarmes rénovée, la promotion « Victoire », dont il sortit aspirant au mois de novembre, maintenant son choix pour la cavalerie, goûtant à l’école des cadets de Saumur, dont les grands anciens s’étaient illustrés si bravement sur la Loire en juin 1940. Lieutenant de cuirassiers, il rejoignit son unité en Lorraine, à la fin de l’année 1948.
L’EMIA était le produit de la fusion des écoles d’armes de l’ancienne armée française et devait, dans l’esprit de ses fondateurs en 1942, en Algérie, amalgamer avec l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr, sous-officiers-futurs officiers et les élèves officiers dans une même structure. Ce devait être le creuset de la nouvelle armée. Le général De Lattre en fut l’un des promoteurs. Son fils marqua de sa présence la première promotion en métropole libérée.
Cette armée moderne, intégrée à l’OTAN, en pleine restructuration pour lutter contre le bolchevisme, occupée à rebâtir sa flotte, son aviation, son armée de terre sur les standards les plus modernes, tournée vers l’acquisition de l’arme atomique, déjà ; menait également, en Extrême-Orient, une guerre cruelle, à la fois ancestrale et contemporaine. Ancestrale parce que nous ramenant à tous les conflits que nous avions mené dans nos colonies depuis le début du XVIIe siècle. Contemporaine parce qu’indissociable du contexte de la lutte contre le communisme, où Français et Américains marchaient d’un même pas pour la défense du monde libre.
Tandis que le Maréchal De Lattre menait aux Etats-Unis et en Amérique latine, une tournée diplomatique afin d’obtenir crédits et matériels militaires pour nos armées ; le lieutenant Bernard De Lattre était envoyé en Indochine, à l’orée de ses vingt-et-un ans.
Chef de poste, il contrôle un vaste ensemble de villages, entre Hanoï et Haïphong, avec un peloton blindé et des supplétifs vietnamiens.
Le destin des deux hommes, du père et du fils, allait de nouveau se croiser, en Extrême-Orient cette fois.
Alors que la situation indochinoise se dégradait, Jean De Lattre, le réformateur à poigne des armées, l’homme de la diplomatie militaire française, l’organisateur infatigable, mais aussi le chevalier, profondément respectueux de la culture annamite et persuadé que la bataille menée là-bas par la France contre le communisme était d’un désintéressement équivalent à celui des croisades, était appelé à commander nos armées sur place.
En quelques mois il redressa la situation française, reconquérant de nombreux territoires perdus aux mains du Viet Minh, regonflant le moral des troupes, obtenant du matériel supplémentaire des Etats-Unis.
Jean eut le privilège de décorer lui-même Bernard pour sa bravoure au combat. Quelle fierté pour un père !
Nommé chef d’escadron, Bernard De Lattre prit un nouveau commandement, en mars 1951, à Ninh Binh, au Tonkin, au nord de l’Indochine, dans les zones où le Viet Minh était resté le plus redoutable.
C’est là que le général Giap, au mois de mai, lança son offensive, dans l’enchevêtrement marécageux du delta du Day.
La guerre avait changée de tournure. Malgré les efforts du maréchal De Lattre, le Viet Minh attaqua avec des forces conventionnelles numériquement importantes et bien équipées, grâce aux approvisionnements chinois. Soutenues par une puissante artillerie, les forces communistes balayèrent d’abord les avant-postes français.
Mais nos armées, bien pourvues en unités blindées dans la région, bénéficiant de la totale maîtrise du ciel et d’un grand soutien dans la population du delta, alors très catholique et anti-communiste, purent repousser complètement l’offensive à la mi-juin.
Le poste de Bernard De Lattre, proche de Minh Binh, fut attaqué le 29 mai. Coupé de ses arrières, l’escadron de cavalerie et ses supplétifs vietnamiens ne pouvait que tenir. Ni l’offensive, ni le repli, n’étaient envisageables. Le lendemain, 30 mai, un violent bombardement écrasa la position française. Le chef d’escadron Bernard De Lattre de Tassigny fut percé de quatre-vingt impacts. Il avait vingt-trois ans.
Une colonne française de secours put reprendre la position et récupérer les corps de ses camarades peu de temps après.
En héros de tragédie, le maréchal De Lattre organisa les obsèques de son fils, Bernard, en la cathédrale Saint-Louis des Invalides, avant qu’il ne soit enterré dans le village des siens, à Mouilleron-en-Pareds, en Vendée.
A titre posthume, l’empereur Bao Daï l’éleva au grade de chevalier dans l’ordre national du Vietnam. Cet hommage rendu tant au père qu’au fils était tout un symbole de l’amitié mourante qui unissait encore les peuples d’Indochine à la France.
Héros français, Bernard De Lattre est une figure qui mérite d’être connue, parce qu’elle est le symbole de l’armée nouvelle, ancrée dans ses valeurs ancestrales. Par ailleurs, derrière Bernard, plane la figure de son père, Jean, le dernier des grands connétables !
En 1984, une promotion de l’EMIA reçut le nom de Bernard De Lattre. Le souvenir ne s’est pas perdu.
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