mercredi 19 mai 2021

Service public ou sévices publics

  

Claude Chollet a créé l’OJIM en 2012. En plus de 200 portraits fouillés des principaux journalistes et faiseurs d’opinion, des dizaines d’infographies, un travail de décryptage quotidien, l’OJIM s'est imposé comme un outil essentiel pour qui veut comprendre le fonctionnement des médias.

À quand le pluralisme de l’information ?

Propos recueillis par Pascal Eysseric

Claude Chollet préside l’OJIM, "Observatoire des journalistes et de l’information médiatique, qui met à nu les arcanes des médias. À la tête du Collectif des usagers du service public de l’audiovisuel, il vient de lancer une pétition pour que les informations du service public reflètent - enfin - la diversité des opinions des Français, copropriétaires de France Télévisions et Radio France. ll y a fort à faire.

Éléments : Vous êtes à l’origine du lancement d’une campagne réclamant le pluralisme « dans les médias financés par la redevance ». Quel est votre but ?

Claude Chollet. Cette pétition à une histoire qui débute un peu par hasard, en mai 2016, lors des Rencontres de Béziers, organisées par Robert Ménard. J’ai participé en tant que président de l’OJIM à la table ronde consacrée aux médias - remarquable par son contenu et sa mesure en compagnie de l’écrivain Benjamin Dormann(1), de l’ancien magistrat Philippe Bilger et de l’avocat bien connu Gilles-William Goldnadel. Nous nous sommes tous revus depuis et, petit à petit, l’idée de créer une association pour mettre en lumière, et si possible corriger, les dérives du service public de l’audiovisuel s’est imposée. Si l’OJIM avait traité le sujet de manière circonstancielle, Gilles-William Goldnadel en revanche s'est imposé une discipline de fer, en s’infligeant chaque jour une plongée en Inter, avec une prédilection pour la Matinale. Cette tranche horaire emblématique concentre en un minimum de temps un maximum de morgue, de sectarisme, d’entre soi béatement satisfait et parfois d’insultes. Chaque jour, un quarteron de procureurs du rire chicane, sans grand talent, mais avec beaucoup de hargne, à peu près tout ce qui n’est pas encensé par la sacro-sainte onction libérale-libertaire. Autre sujet d’études cliniques : les informations de la chaine franco-allemande Arte, assemblages stupéfiants - au sens étymologique du terme de véritable propagande d’État sur nombre de sujets : relations avec la Russie, mouvements migratoires, guerre en Syrie, etc.

Entendons-nous, notre pétition, qui s’achemine au moment où je vous parle vers les 15 000 signatures, n’a pas pour but de remplacer une doxa par une autre, mais d’ouvrir ces médias à des sensibilités plurielles. Nous n’oublions pas que le service public est financé a hauteur de 134 euros par an et de manière quasi automatique par les 28 millions de foyers qui paient la redevance. Ces Français sont les propriétaires indivis de ces médias publics. Il est anormal qu’une partie d’entre eux soit constamment vilipendée, méprisée ou ignorée.

Éléments : Vous appelez à « mettre fin à la mainmise de l‘idéologie gauchisante sur l‘appareil d’audiovisuel d’État ». Faut-il en conclure que votre pétition s‘inscrit dans une campagne de droite contre le service public ?

Claude Chollet. Même si je pense que le clivage gauche-droite n’a pas encore totalement disparu, il est en train de s’estomper au profit du clivage « France d’en haut-France d’en bas » dont parle Christophe Guilluy. Nous nous inscrivons dans cette démarche. Nous ne sommes pas contre le service public par principe. Il y aurait beaucoup à dire sur les médias privés, tout aussi conformistes et largement subventionnés, directement ou indirectement. Mais il se trouve que le service public est finance... par le public, tout le public. France Télévisions comme Radio France ont dans leurs statuts une obligation de pluralisme qu’ils ignorent superbement. Les éditions régionales de France 3 cultivent elles aussi le même entre-soi journalistique que les radios du service public et n’hésitent plus désormais à censurer leurs lecteurs si les propos de ces derniers sont déclarés « non conformes ».

Éléments : Vous publiez votre pétition au moment même ou France Inter fait état de résultats d’audience record (Vague septembre-octobre Médiamétrie). Léa Salamé (7h 50) et Patrick Cohen (8h 20) sur France Inter sont aujourd'hui les deux interviewers les plus écoutés de France. Le 7/9 a gagné plus de 300000 auditeurs en un an. Comment l’expliquez-vous ?

Claude Chollet. Et alors ? France Inter se replie sur une ligne que l’on pourrait appeler « Hamon-Mélenchon ». Cela représente un quart des Français, ce qui n’est pas rien, mais vous conviendrez que ce n’est pas la la vocation d’un service public.

Éléments : Devant le succès de votre pétition, David Carzon de Libération a déploré au contraire un « usage un peu trop décomplexé de cette droite qui l’est tout autant » dans les médias publics, citant l’exemple de L’Emission politique sur France 2, qui a invité Robert Ménard (face à Alain Juppé) ou Patrick Buisson (face a Marine Le Pen). Qui a raison ?

Claude Chollet. Quand le sage montre la lune au fou, le fou regarde le doigt. Certaines personnalités classées « à droite » apparaissent dans les médias dominants : Zemmour-Finkielkraut et Finkielkraut-Zemmour. Réfléchissez à d’autres noms et vous verrez qu'on a vite fait le tour. Ménard n’a plus de tribune, en dehors de sa mairie, Zemmour s’est vu réduire à la portion congrue. Alain de Benoist a été chassé de France Culture il y a plusieurs décennies. Ce que regrette Carzon, c’est la fin du monopole de la parole de gauche.

Ajoutons que les personnalités dont vous parlez, quand elles sont invitées, le sont souvent pour se faire étriller. Il en est de même pour d’autres qui se situent à l’extrême gauche, comme le documentariste Francois Ruffin, rédacteur en chef du journal Fakir. Reçu par Jean-Michel Aphatie sur Europe 1, il a dû finalement quitter le plateau sans avoir pu évoquer son excellent film Merci Patron !

Éléments : Vous présidez depuis quatre ans l’OJIM, l’Observatoire des journalistes et de l'information médiatique. Qu’est-ce qui vous différencie d’Acrimed, acronyme d’« Action critique Médias », observatoire créé à l'initiative de proches de Pierre Bourdieu et Noam Chomsky ?

Claude Chollet. Acrimed a pour elle l’ancienneté : plus de vingt ans d’analyse des médias. Je les lis régulièrement. Mais leur vision du monde a vieilli. Ils analysent les superstructures financières des entreprises médiatiques, ce que nous faisons également à travers nos infographies, mais ils négligent paradoxalement ce que leur maitre Bourdieu appelait l’« habitus » : tout ce qui dans un corps social déterminé - les journalistes en l’occurrence - se fait ou ne se fait pas de manière implicite. Notre approche est plus gramscienne.

Éléments : La défiance des citoyens envers les médias est-elle justifiée ?

Claude Chollet. Tout d’abord un constat : la défiance s’accroit chaque année. Le quotidien La Croix, qui réalise depuis trente et un ans une enquête sur la confiance des Français dans les médias, fait état d’un véritable décrochage de l’opinion. Plus de 70 % des Français considèrent que les journalistes ne sont plus indépendants, aussi bien du pouvoir économique que du pouvoir politique. Pourquoi ? Concentration des moyens autour d’une poignée de milliardaires extérieurs au monde des médias qui investissent pour asseoir leur influence, nullement pour en tirer des bénéfices. Qui peut croire un instant que Bernard Arnault a acheté Le Parisien pour augmenter ses profits ? Lui et ses pairs, comme son gendre, le milliardaire Xavier Niel, agissent « pour qu’ils ne nous emmerdent pas ».

Sur un plan plus sociologique et idéologique, on ne peut que vérifier combien la petite caste des journalistes se ressemble : même profil social et idéologique, mêmes études. Les écoles de journalisme sont devenues des usines à formatage qui déforment durablement des générations de jeunes journalistes, plus sectaires que leurs ainés.

Pour ne rien arranger, la profession - en dehors de la télévision - est en voie de précarisation. Un journaliste débutant bac+5 dans le numérique gagnera un peu plus que le SMIC, avec une suite de CDD courts consécutifs à de longs stages sous-payés. Ce n’est pas une situation qui encourage à la rébellion. Qui enquête sur ces ouvriers 2.0, nouveau prolétariat employé dans des « fermes de contenus », ces sites éditoriaux créés pour générer des revenus publicitaires, qui inondent Internet avec des articles payés à la ligne, voire au clic, à partir de textes écrits par des robots. Comme au XIXe siècle, ces « journalistes » sont payés à la vacation journalière. Qui enquêtent sur les actionnaires et les pratiques de Relax News, la première « ferme de contenus » en France ? Matthieu Pigasse et Serge Dassault, le « jeune loup et le vieux singe », comme l’écrit Jean Stern(2). N'y comptez pas.

Il n’est pas question de mettre les 37000 cartes de presse dans le même sac. Il y a des journalistes courageux et honnêtes. Mieux vaut néanmoins avoir une colonne vertébrale en acier pour résister aux pressions économiques des annonceurs et des actionnaires, aux pressions sociales, politiques, professionnelles, à celles encore des rédacteurs en chef et des propriétaires. Il existe des espaces de liberté, Internet pour l’OJIM, le papier de qualité pour Éléments. Un seul remède : la qualité allié au travail. Et les dieux reconnaitront les leurs !

1). Benjamin Dormann, Ils ont acheté la presse, Jean Picollec, 2014.

2). Jean Stern, Les patrons de la presse nationale. Tous mauvais, La Fabrique, 2013.

elements N°165 Avril-Mai 2017

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