mercredi 12 mai 2021

Périclès (vers 494 av. J.-C. – 429 av. J.-C.)

  

Périclès (vers 494 av. J.-C. – 429 av. J.-C.)

Le stratège et homme d’État athénien est considéré comme le père de la démocratie et de la première thalassocratie impérialiste de l’histoire. Le « siècle de Périclès » correspond à l’apogée du monde des cités grecques : après lui s’amorce le déclin. Mais la culture grecque a survécu jusqu’à nous !

« Doté d’une éloquence élevée, pure de cette bouffonnerie grossièrement artificieuse qui fait la joie des masses, […] il tonnait, lançait des éclairs dans ses discours au peuple et portait une foudre terrible sur la langue. » Pour Plutarque (Vie de Périclès, VIII), c’est à cette inestimable qualité que Périclès doit son exceptionnelle longévité politique et son surnom d’« Olympien ». Mais c’est aussi parce que sa figure, marmoréenne entre toutes, domine de haut les hommes politiques de son temps. Tout à la fois intelligent, patriote, désintéressé, son seul défaut semble avoir été la forme disproportionnée de sa tête qui faisait la joie des comiques, mais que les sculpteurs cachaient habilement sous un casque.

Nous savons pourtant finalement peu de choses de celui qui a fait d’Athènes « l’école de la Grèce » et a donné son nom au siècle qui l’a vu naître. Thucydide, de toute évidence, l’admire, mais lui prête des discours qu’il n’a jamais prononcés. Quant à Plutarque, il a choisi d’en faire l’un de ces hommes dont toute la vie doit illustrer la vertu dont les dieux l’ont gratifié. « Je donnerais volontiers Thucydide pour des mémoires authentiques d’Aspasie ou d’un esclave de Périclès ! », s’est un jour exclamé Prosper Mérimée, pensant sans doute que cet homme semblait trop parfait pour n’être pas idéal.

Un aristocrate au service du peuple

Périclès semble destiné dès sa naissance, vers 494, à un rôle de citoyen hors pair. Il est membre de la grande famille aristocratique des Alcméonides, qui domine la vie politique depuis qu’elle a chassé le tyran Hippias. Son père, Xanthippe, a vaincu la flotte perse au cap Mycale en 479, tandis que sa mère, Agaristê, est la nièce du grand Clisthène, l’un des fondateurs de la démocratie athénienne. Il a de plus été formé par les meilleurs esprits de son temps. Auprès de Zénon d’Élée, il a appris la maîtrise du raisonnement et la subtilité du discours, tandis qu’avec Anaxagore il a intégré l’idée que tout phénomène est explicable. Plutarque ne manque pas d’anecdotes le montrant étranger à l’esprit superstitieux des hommes de son temps.

Mais Périclès n’aime pas la foule et se garde fort d’affronter le peuple. Sa ressemblance avec le tyran Pisistrate, sa naissance et sa fortune lui font redouter l’ostracisme. Il reste donc à l’écart des affaires politiques. En 472, il assume la chorégie des Perses d’Eschyle, c’est-à-dire qu’il organise à ses propres frais la représentation de la pièce : mais il ne s’agit là que d’une liturgie qui incombait aux citoyens les plus riches.

Ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard qu’il semble s’engager réellement dans la vie publique. On le voit, aux côtés d’Éphialtès, s’attaquer aux derniers privilèges de l’oligarchie. Cette dernière avait en effet profité des troubles du début du siècle pour récupérer une partie de ses prérogatives, dévolues par Solon et Clisthène aux rouages populaires. C’est à la mort d’Éphialtès que Périclès devient la figure principale de la faction démocratique. Derrière les traditionnelles luttes entre grandes familles se constituent en effet deux « partis » politiques à Athènes. D’un côté, la minorité constituée par l’aristocratie foncière de la cité, menée par Cimon. De l’autre, le peuple. C’est vers lui que Périclès se tourne en participant à la mise en œuvre d’une série de mesures élargissant le champ de recrutement de certaines magistratures. Jusqu’alors, seuls les membres des deux premières classes censitaires pouvaient se présenter aux charges publiques. Vers 457, elles sont ouvertes à la troisième, celle des zeugites, constituée pour l’essentiel de petits propriétaires et d’artisans. Pour que cette réforme soit vraiment effective, la misthophorie, c’est-à-dire la rémunération des fonctions publiques, permet à tous les citoyens, quelle que soit leur fortune, de participer à la vie politique. En revanche, cette mesure ne concernait pas l’assemblée du peuple, l’Ecclésia : y participer constituait le premier devoir du citoyen.

Si la démocratie semble ainsi effectivement s’accomplir au temps de Périclès, elle se ferme également. Vers 451, l’accès à la citoyenneté est très précisément codifié et le corps civique considérablement réduit. Seuls les hommes nés de deux parents athéniens pourront y avoir accès. Il faut dire que beaucoup d’étrangers, de métèques, affluaient à Athènes et certains s’étaient immiscés sur les listes de citoyens pour bénéficier notamment des institutions d’assistance mises en place. C’était là la rançon que devait consentir une cité riche et prospère, maîtresse de la mer Égée…

Quel a été le rôle exact de Périclès dans ces décisions ? Rappelons qu’il n’a jamais été le chef incontesté de la démocratie. Il faut d’ailleurs attendre les années 450 pour qu’il apparaisse réellement comme « le premier des Athéniens ». Auparavant, son nom n’est que rarement associé aux décisions prises par l’assemblée. En revanche, réélu quinze années de suite au collège des stratèges, de 443 à 429, sa responsabilité dans l’édification de l’empire athénien et ses excès ne fait aucun doute.

Le père de l’impérialisme athénien

Après les guerres médiques, pour prévenir la menace perse, la plupart des cités grecques se sont unies au sein de la ligue de Délos, pour constituer une flotte chargée de patrouiller en mer Égée. Mais, rapidement, bon nombre d’entre elles ont choisi de déléguer leur sécurité : en 454, alors que la ligue compte 150 cités, seules quatre continuent de fournir des trières : Samos, Lesbos, Chios et surtout Athènes. Les autres se contentent de verser un tribut au trésor commun, conservé dans l’île sacrée de Délos. Les Athéniens décident alors arbitrairement de transférer le trésor sur l’Acropole, et d’en assurer la gestion. À ceux qui se jugent spoliés d’un argent qui allait désormais servir à « parer Athènes comme une coquette », voici ce que répond Périclès : « Nous n’avons pas à rendre compte de ces sommes à nos alliés puisque nous nous battons pour eux et que nous les protégeons des Barbares, sans leur demander un cheval, un vaisseau ou un fantassin. Nous leur réclamons seulement de l’argent, qui n’est plus la propriété de ceux qui le versent, mais bien de ceux qui l’encaissent, s’il rémunère des services effectifs » (Plutarque, Vie de Périclès, XII). L’argent va pourtant bien être utilisé pour embellir la ville : le Parthénon, les Propylées, l’Érechthéion… vont ainsi illustrer la gloire impérissable d’Athènes, et fournir du travail à ses habitants pendant de longues années. Mais les alliés commencent alors à faire défection : en 446, l’Eubée se soulève, soutenue par les Spartiates ; en 440, c’est au tour de Samos. La répression, parfois conduite par Périclès en personne, est souvent terrible : les cités sont politiquement soumises au contrôle d’Athènes qui leur impose, de surcroît, des colonies sur leur territoire.

Selon Plutarque, Périclès aurait appelé de ses vœux un congrès panhellénique pour apaiser l’hostilité croissante envers sa cité. On le voit pourtant s’en prendre aux colonies de Corinthe dans la stratégique région des Détroits, ou encore refuser de revenir sur le décret interdisant à Mégare l’accès à ses marchés. Mais le problème de sa responsabilité dans le déclenchement de la guerre du Péloponnèse est un faux problème, car il va de soi que cette dernière entre dans la logique de sa politique. La démocratie athénienne est conditionnée par le maintien de son empire. À ses yeux, la guerre contre Sparte et ses alliées est donc inéluctable. Lui qui montait rarement à la tribune s’en explique à plusieurs reprises devant les Athéniens. Avant le déclenchement des hostilités, devant une foule hésitante, il conseille aux citoyens d’aller jusqu’au bout : « Cet empire, vous ne pouvez pas y renoncer. S’en emparer peut paraître une injustice, mais y renoncer aujourd’hui constituerait un danger. » Soucieux de la grandeur de sa cité, il les exhorte à « conserver pour leurs descendants une puissance qui ne soit pas moindre que celle qui leur a été laissée, à éviter le déshonneur pour le présent et acquérir la gloire pour l’avenir » (Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, II, 60-64). Son auditoire est convaincu et en 431, après qu’Athènes a soumis son alliée Potidée, qui souhaitait se défaire de la ligue de Délos, l’armée spartiate envahit l’Attique.

Un héros faillible et contesté

Périclès engage alors les siens, de façon tout à fait inattendue, à éviter un combat en règle et à se retrancher derrière les remparts et les Longs Murs de la cité. Jugeant les Spartiates imbattables sur terre, il compte sur la supériorité maritime d’Athènes pour ravager les côtes du Péloponnèse, et sur l’empire pour assurer le ravitaillement de la cité. Cette stratégie aurait pu l’emporter. Mais c’était compter sans le traumatisme des paysans qui, jour après jour, du haut des remparts, voyaient leurs terres ravagées. Périclès est très critiqué, on s’en prend à sa vie privée et à sa maîtresse, Aspasie, une étrangère. C’était surtout compter sans la peste qui gagne Athènes et décime la population qui y perd de surcroît son guide : Périclès est lui-même emporté par l’épidémie en 429. La guerre fratricide allait encore durer vingt-cinq ans et se solder par la défaite de la cité, qui ne retrouvera jamais sa puissance d’antan.

« Notre constitution est appelée démocratie, parce que le pouvoir est entre les mains, non d’une minorité, mais du plus grand nombre. » L’agora du Ve siècle restait pourtant fermée aux femmes, ainsi bien sûr qu’aux esclaves et aux métèques. Périclès voulait en réalité faire d’Athènes un modèle d’équilibre politique entre aristocratie et démocratie : l’égalité devait laisser une place au mérite, la liberté à la discipline, la participation au respect des compétences. Va-t-en-guerre, il serait par ailleurs responsable de la défaite d’Athènes et des trente années de conflit qui ensanglantèrent la Grèce. Mais parce qu’avant d’être Grec, sa plus grande fierté était d’être Athénien. Il était viscéralement attaché à sa cité. C’est ici que l’hubris, sans doute, est venue mettre à mal l’idéal de mesure et d’harmonie professé par les esprits de son temps : Périclès ne concevait en effet la grandeur de la Grèce que comme l’extension de celle d’Athènes. L’une et l’autre seront sacrifiées par sa politique impérialiste.

La guerre du Péloponnèse, en affaiblissant et en divisant profondément les Grecs, permettra en effet aux Macédoniens de les conquérir dès le siècle suivant. Précédant de peu ce déclin, le « siècle de Périclès » apparaît donc bien comme l’apogée de la civilisation grecque classique. Après lui s’ouvre un nouveau chapitre de l’histoire européenne.

Emma Demeester

Bibliographie

  • Thucydide, La Guerre du Péloponnèse.
  • Plutarque, Vie de Périclès.
  • Brulé (P.), Périclès – L’apogée d’Athènes, Poche, 1991.

Chronologie

  • Vers 494 : naissance de Périclès.
  • 478-477 : formation de la ligue de Délos.
  • 472 : Périclès assume la chorégie des Perses d’Eschyle.
  • 457 : ouverture de l’archontat aux zeugites.
  • 454 : transfert du trésor de Délos à Athènes.
  • 451-450 : loi de Périclès sur la citoyenneté.
  • 447-438 : construction du Parthénon.
  • 446 : révolte de l’Eubée et de Mégare.
  • 431 : début de la guerre du Péloponnèse.
  • 430 : début de la peste à Athènes.
  • 429 : mort de Périclès.

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