Dans la pléiade des historiens du dimanche, près du très sérieux Philippe Ariès, du majestueux Pierre Gaxotte ou de l’infatigable Ivan Gobry, on peut rajouter Georges Bordonove, dont le sérieux des études historiques se doublait toujours de l’art du conteur, en un mot du souci de bien dire, qui puise sa source dans le plus pur esprit classique français, tels que Buffon ou Fustel de Coulanges le définissaient lorsqu’ils défendaient la clarté et la beauté du style comme un élément essentiel de la promotion des idées vraies et de l’érudition. En ce sens, Bordonove peut être dit le fils spirituel de deux autres grands historiens du dimanche, Antoine de Lévis-Mirepoix et le duc de Castries.
Le terme d’historiens du dimanche nous vient d’Ariès lui-même, qui était le plus universitaire de cette belle brochette, et qui consacra à son parcours d’auteur un ouvrage du même nom. Loin des obscurs cabinets de chercheurs, ils sont la face visible, médiatique, des sciences historiques, et s’ils énervent parfois par certaines approximations ou des partis pris, ils devraient être considérés avec plus de respect et d’intérêt par la corporation des historiens car leurs ouvrages de synthèse rendent accessible au grand public les dernières découvertes, les nouveautés de l’historiographie et rappellent inlassablement au commun ces vérités essentielles que l’on oublie génération après génération. Sans eux, non seulement les travaux universitaires ne sortiraient pas de leurs réserves, mais les Français oublieraient jusqu’à l’existence de Philippe-Auguste, des Templiers ou du général Lyautey.
Ces historiens amateurs ont une mission sociale capitale, ils sont le pont entre la cité des hommes et la tour d’ivoire des universitaires. Ils diffusent le savoir et le rendent audible. Ils suscitent des vocations nouvelles d’historiens. Ils font aimer le beau et le vrai.
Georges Bordonove fut l’un d’eux jusqu’à sa mort en 2007. Nous lui devons une centaine d’ouvrages, romans et essais. Mais ce que le lecteur pourra surtout retenir, c’est sa formidable saga des rois de France. Inlassablement, volume après volume, mêlant la double tradition historiographique des bénédictins de Saint-Maur qui faisaient parler les textes originels plutôt que l’auteur moderne pour donner vie à un sujet, et celle des historiens romantiques comme Guizot ou Thierry qui ajoutaient à leur étude le sens du récit, il a rendu leurs couleurs aux principaux Capétiens, aux Valois et aux Bourbons.
Bien sûr, l’érudit aura tout intérêt à passer directement à l’ouvrage d’un auteur universitaire, mais le néophyte ou l’amateur éclairé relira avec passion les vies de Charles V, Charles VI ou Charles VII. Il tempêtera peut-être avec exagération contre Charles le Mauvais et s’apitoiera outre-mesure sur le sort du pauvre Jean II à la bataille de Poitiers. Il pleurera sur Jeanne d’Arc et vivra l’épopée avec du Guesclin. Le parti pris est le risque du récit.
Mais peu importe ces menus défauts. Voici les vertus de Bordonove, et elles suffisent largement :
Défenseur du récit chronologique, il donne à chaque fois un portrait complet, non seulement du règne du souverain, mais de la France de son temps et de ses principaux personnages, en suivant pas à pas le déroulé des événements. Replacés dans leur fil de progression, ils retrouvent leur sens, leur intelligence, bien loin de la confusion d’une histoire thématique à l’excès qui brouille les repères de la progression du temps pour les esprits non avertis.
Défenseur de l’histoire des personnes et des vies, il présente suffisamment d’exemples au lecteur pour que celui-ci puisse entrer dans la psychologie de l’époque, dans les tours et les détours de sa vie sociale.
Maître dans l’art du récit, il enchâsse, comme l’orfèvre, les textes sources et ses propres descriptions, donnant la part belle aux chroniqueurs du temps et rendant agréables des archives trop souvent oubliées.
Grand pédagogue il rend intelligible et clair ce qui paraissait obscur dans le fouillis des micro-événements ou de l’enchevêtrement des grands thèmes.
On peut lire avec passion, aux éditions Pygmalion, ces sagas royales d’une rare valeur. Elles ont été complétées, au tournant des années 2000, par Ivan Gobry, pour les périodes mérovingiennes et carolingiennes, chez le même éditeur. Mais on sent bien que Gobry, s’il a du talent, n’atteint pas la tenue exceptionnelle de Bordonove. Notamment, quand Gobry colle à ses textes jusqu’à la naïveté (on pense surtout à l’utilisation qu’il fait de Grégoire de Tours ou de Frédégaire au premier degré), Bordonove conserve le recul critique nécessaire à une bonne lecture. En ce sens, vous lirez un auteur vivant et investi, mais averti. A tout seigneur tout honneur, cependant, dans le fourmillement des ouvrages de Bordonove à tous relire sans exception, on pourra ajouter le Louis VI et le Louis VII de Gobry, qui correspondent à sa période de prédilection et méritent le titre de « petits bijoux ».
Rassurez-vous ! Bordonove est mort, mais il a ses continuateurs. Lorsque vous serez lassé des Capétiens ou des Valois, lisez Jean-Christian Petitfils, qui, par la qualité du travail d’archive, se rapproche même du sérieux d’un Philippe Ariès, sans perdre la clarté et l’élégance du style. Et lorsque vous atteindrez la révolution ou voudrez poussez une pointe en arrière jusqu’aux premiers chrétiens, conservez en mémoire la fabuleuse conteuse toujours juste et vraie qu’est Anne Bernet.
Il me reste à vous souhaiter bonne lecture.
https://gabrielprivat78.wordpress.com/2014/05/05/georges-bordonove-auteur-a-redecouvrir/#more-536
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