Dès sa naissance, « Le Fig Mag » se fit le chantre de l’anticommunisme, de la liberté scolaire, de l’opposition au règne mitterrandien et de la lutte contre le gauchisme culturel. Récit de ces années au cours desquelles le journal était déjà en pointe dans les grands combats idéologiques qui agitaient la France.
Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître.
Samedi 7 octobre 1978 : premier numéro du Figaro Magazine. En une, un portrait (dessiné) du président de la République, Valéry Giscard d’Estaing. Le chancelier de la République fédérale d’Allemagne était alors son ami Helmut Schmidt, tandis que, de l’autre côté du mur de Berlin, dans la République démocratique allemande d’Erich Honecker, la Stasi fichait les citoyens.
Leonid Brejnev régnait sur l’URSS et Pol Pot sur le Cambodge. En Iran, le shah résistait à la contestation mais bientôt la France hébergerait l’ayatollah Khomeyni qui retournerait ensuite dans son pays, devenu l’épicentre de la révolution islamique. A Camp David, le 17 septembre, le président des Etats-Unis, Jimmy Carter, le président égyptien Anouar el-Sadate et le Premier ministre d’Israël, Menahem Begin, venaient de signer un traité dont on pensait qu’il inaugurerait la paix au Proche-Orient. Le 29 septembre, après un pontificat de trente-trois jours, le pape Jean-Paul Ier était mort brusquement, et le Vatican préparait l’élection de son successeur qui serait, le 22 octobre, le cardinal Karol Wojtyla, Jean-Paul II.
Un autre monde. Pendant trente années, dans les milieux intellectuels, culturels, universitaires et médiatiques, marxisme et progressisme avaient donné le ton. Mais la banquise, au cours de la décennie 1970, avait commencé à fondre. De L’Archipel du goulag d’Alexandre Soljenitsyne à la fuite des boat people vietnamiens, de la révélation du génocide cambodgien à la vogue des Nouveaux Philosophes, ces jeunes penseurs venus de la gauche qui affirmaient que le totalitarisme était dans Marx, une série de chocs successifs avaient délivré les esprits dans Marx, une série de chocs successifs avaient délivré les esprits de l’illusion révolutionnaire. Né à cette époque charnière de décrue du communisme et de décomposition du gauchisme, Le Figaro Magazine accompagnerait la renaissance d’autres courants politiques et philosophiques, du libéralisme au conservatisme.
D’emblée, le trio des fondateurs – Robert Hersant, Louis Pauwels et Maurice Beaudoin – avait conçu le supplément hebdomadaire du Figaro comme un magazine appuyé sur la photo et organisé autour de trois sections: actualité-société, culture et art de vivre. Chacune de ces parties aurait sa légitimité propre et constitutive, au même titre que les deux autres, de l’identité du Fig Mag. Le Figaro Magazine, ce serait donc, dans le même numéro, une analyse de la politique économique de Raymond Barre, une interview du chef d’orchestre Herbert von Karajan et un reportage touristique aux Seychelles où le ciel serait bleu, forcément bleu («le bleu Hersant»). En quarante ans, grosso modo, la formule est restée la même.
Le premier numéro signalait que le magazine accorderait « une place privilégiée » à la culture parce que, « en dernière analyse, c’est le climat culturel qui détermine le sens des valeurs et, par-delà, le destin des sociétés ». D’où l’importance, depuis l’origine, des grands entretiens, des débats, des critiques de livres, de films, de spectacles. Pauwels était lié, avant la fondation du magazine, avec Alain de Benoist et ses amis, et leur ferait une large place dans le journal avant de se séparer d’eux vers la fin de 1980. Les toutes premières années du Figaro Magazine ne se confondront pourtant pas avec ce qu’on appelait la Nouvelle droite. Rappelons, par exemple, le formidable écho remporté par la campagne lancée en couverture de notre édition du 20 octobre 1979 par Alain Decaux: « On n’apprend plus l’histoire à vos enfants ! » Un thème qui reviendra souvent, hélas! dans nos colonnes.
Le 10 mai 1981, François Mitterrand, porté par une coalition socialo-communiste, était élu à l’Elysée. J’étais entré deux mois plus tôt au Figaro Magazine, et c’est ici que commencent mes souvenirs personnels. Il y aurait une nouvelle à écrire sur l’ambiance qui régnait au journal le lundi 11 mai. Quelque chose comme un lendemain de Diên Biên Phu, avec des réactions très diverses selon les caractères, dans une rédaction qui comptait pas mal d’originaux: les férus d’histoire philosophaient en comparant avec 1936, les esprits pratiques se demandaient comment mettre leurs économies à l’abri, et les plus martiaux s’interrogeaient pour savoir s’ils devaient aller chercher leur fusil de chasse à la campagne afin de se défendre contre les rouges qui ne manqueraient pas de surgir le couteau entre les dents. Cela fait rétrospectivement sourire, mais le communisme faisait encore peur, et pour des raisons qui ne relevaient pas que du fantasme.
A la rentrée de septembre, après un bon repos – en ce temps béni, Le Figaro Magazine ne paraissait pas l’été et nous avions deux mois de vacances -, nous étions prêts au combat. Jack Lang avait prévenu: « Le 10 mai, les Français ont franchi la frontière qui sépare la nuit de la lumière. » Au sectarisme d’une gauche au front de taureau, nous rendrions coup pour coup. De 1981 à 1983, quand les socialistes et leurs alliés communistes appliquaient le programme sur lequel ils avaient été élus, la tonalité était souvent économique, car il fallait montrer la folie d’une politique consistant à alourdir la charge de l’Etat et à pénaliser les entreprises et les particuliers qui travaillent. Toute l’année 1984, Le Fig Mag accompagnerait la révolte tranquille des parents de l’école libre dont l’ultime manifestation, le 24 juin, forcerait Mitterrand à reculer. Ce recul n’avait pas été le seul, ce président qui était plus intelligent que ses ministres (la preuve, il avait commencé sa carrière à droite) ayant entrepris, dès 1983, de rétropédaler par rapport aux dogmes socialistes.
Mais, comme il fallait un carburant idéologique pour les militants de gauche, le vieux renard en avait trouvé un que lui avait opportunément fourni la concomitance de l’émergence du Front national et de la marche des Beurs. Place à l’antifascisme dans une société sans fascistes (comme l’avouera un jour Lionel Jospin), et place à l’antiracisme dans un pays si peu raciste qu’il avait déjà accueilli, à l’époque, environ 8 millions d’étrangers en vingt-cinq ans. « Serons-nous encore français dans 30 ans ? » demandera notre numéro du 26 octobre 1985 dont la couverture s’ornait d’une Marianne voilée d’un tchador. « Le Figaro Magazine adopte la méthode Le Pen qui consiste à lancer des chiffres mensongers : cette construction, qui rappelle les théories les plus folles du nazisme, doit être démontée et poursuivie », soutiendra Georgina Dufoix, ministre des Affaires sociales, pendant que Max Gallo, alors journaliste au Matin de Paris, stigmatisait « un document qui fera date dans l’histoire du racisme de l’après-guerre en France ».
Au printemps 1986, le magazine publia les extraits du livre de Reynald Secher, Le Génocide franco-français, tiré de sa thèse de doctorat sur les guerres de Vendée. L’ouvrage déclencha une controverse qui durera plusieurs mois, à telle enseigne que, le 11 octobre suivant, nous remettions le couvert avec un dossier intitulé « Pour en finir avec la Révolution » : « Les historiens modernes démontrent que la Révolution, la Terreur et le génocide furent indissociables, que jacobinisme et bolchevisme se marièrent pour engendrer les goulags. » La polémique ne fera qu’amplifier, poussant Jean-François Kahn, dans L’Evénement du jeudi (18 décembre 1986), à accuser Le Figaro Magazine de vouloir rien de moins que « remettre radicalement en cause les concepts clés qui ont marqué l’effondrement de l’Ancien Régime, c’est-à-dire l’égalité des chances, le principe de la démocratie représentative, la définition contraignante des droits de l’homme et l’élaboration d’une morale civique et collective. »
Au 83 rue Montmartre, où le magazine logeait, les idées fusaient. Dans les conseils de rédaction, les cendriers étaient pleins et Louis Pauwels tirait sur sa pipe éteinte. Nous fumions et nous buvions: les pots étaient fréquents et, comme il n’y avait pas de machine à café, c’est sur le zinc du bistrot d’en face que nous allions prendre un expresso ou un demi, tout en bavardant avec nos reporters-photographes en partance pour le bout du monde.
A l’automne 1986, un gouvernement Chirac cohabitait avec le président Mitterrand. Le 13 novembre, à l’université de Villetaneuse, une grève avait été déclenchée contre une indéchiffrable loi présentée par Alain Devaquet, ministre de la Recherche et de ‘Enseignement supérieur, qui visait à l’accroissement de l’autonomie des universités. Animé en sous-main par les réseaux socialo-trotskistes, le mouvement de contestation étudiante allait gagner Paris et la province, mobiliser les lycéens et s’étendre à l’opposition à la réforme du code de la nationalité que préparait la majorité de droite issue des législatives du 16 mars. Dans la capitale, les manifestations se succédaient. Le vendredi 5 décembre, au cours d’une soirée d’émeute, un jeune homme, Malik Oussekine, restait à terre à la suite d’une intervention musclée des voltigeurs motoportés de la police. Le rapport des experts médicaux prouvera que ce dialysé n’avait reçu aucun coup mais avait succombé à un degré trop élevé d’insuffisance rénale. Révélé au matin du samedi 6 décembre, ce drame enterrera la réforme Devaquet, le ministre donnant sa démission et Chirac annonçant, dès le 8 décembre, non seulement le retrait de ce projet de loi, mais une pause dans les réformes plébiscitées par les électeurs au printemps précédent. C’était le triomphe de la « génération morale » (de gauche) sur la démocratie.
Mais, pour Le Fig Mag, l’affaire n’était pas terminée. Car ce même samedi 6 décembre où la France se levait en apprenant la mort de Malik Oussekine, paraissait un éditorial parti chez l’imprimeur, comme tout le magazine, mercredi 3 au soir, et dans lequel Pauwels, au mieux de sa forme, vilipendait les jeunes manifestants: « Ce sont les enfants du rock débile, les écoliers de la vulgarité pédagogique, les béats de Coluche et Renaud nourris de soupe infra idéologique cuite au show-biz, ahuris par les saturnales de “touche pas à mon pote”, et, somme toute, les produits de la culture Lang. […] C’est une jeunesse atteinte d’un sida mental. Elle a perdu ses immunités naturelles ; tous les virus décomposants l’atteignent… » Il faudrait dix pages pour raconter la tempête déclenchée par cet article au vitriol, et ses multiples conséquences.
C’était ça, Le Figaro Magazine des années 1980. De l’autre côté de la rue du Mail, au Figaro, on nous trouvait trop remuants. Nous nous vengions en préférant lire, le matin, plus ou moins clandestinement, le savoureux Quotidien de Paris de Philippe Tesson (qui tient désormais la chronique théâtrale du magazine…), où venait d’être embauché un certain Eric Zemmour (qui donne chaque semaine dans nos pages son analyse du monde comme il ne va pas). En 1987, quand Alain Finkielkraut avait publié La Défaite de la pensée, nous avions voulu l’interviewer, mais le philosophe s’était dérobé, craignant d’être compromis. Aujourd’hui, il fait partie des invités réguliers du Figaro. Au début des années 2000, le regretté Max Gallo, de même, était devenu un grand ami du journal.
Pour le numéro du dixième anniversaire, le 22 octobre 1988, nous avions publié un trombinoscope réunissant sur une double page tous ceux grâce auxquels le magazine paraissait chaque semaine, de Jean d’Ormesson aux coursiers. Sur ces 138 visages, nous ne sommes plus que 11 à collaborer toujours au journal en 2018. Mais la relève a suivi, le relais a été transmis, comme en témoigne le succès de la rubrique «Esprits libres», grand-place des nouveaux combats pour les valeurs éternelles défendues par Le Fig Mag depuis maintenant quarante ans.
C’est le monde qui a changé, pas Le Figaro Magazine.
Jean Sévillia
Sources : Le Figaro Magazine (Edition du vendredi 1 juin 2018)
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