Publié pour la première fois, le Journal de guerre de l’abbé Stock éclaire la figure et la mission hors du commun de ce prêtre allemand qui visita et accompagna prisonniers et condamnés à mort français et étrangers jusqu’à la libération de Paris.
Le 21 février 1942, les Allemands fusillent quatorze personnes au Mont Valérien. Treize victimes sont des Juifs. L’un d’eux fait cette déclaration au prêtre qui accompagne les condamnés : « Ils peuvent bien nous tuer, mais d’autres se lèveront, il est impossible d’exterminer la race juive. » Et le prêtre de regretter l’absence d’un rabbin pour assister les Juifs pieux qui, avant de mourir, récitent des psaumes.
Le 19 septembre de la même année, toujours au Mont Valérien, ce prêtre conduit au supplice un Luxembourgeois qui a communié et s’est confessé, un Allemand qui refuse de se confesser et de communier en prison, et un résistant communiste qui, après avoir discuté une heure avec lui et assuré que « Dieu n’existe pas », meurt poing levé en criant : « Pour la France libre et indépendante, pour l’avenir du communisme, vive notre grand et cher Staline ! » Le 24 octobre suivant, le même prêtre assiste un père de cinq enfants à Balard, sur le stand de tir du ministère de l’Air réquisitionné par les Allemands. « Etait très pieux, note le prêtre dans son journal, recevait chaque mardi la sainte communion, mourut bravement, s’agenouilla après la lecture de la sentence au poteau et me demanda de le bénir. »
Ce prêtre, l’abbé Franz Stock, était allemand. Jusqu’à la libération de Paris, il visitera des centaines de prisonniers français, accompagnant jusqu’au bout les condamnés à mort. Depuis la guerre, une quinzaine de livres lui ont été consacrés en France, mais son Journal de guerre inédit, qui paraît simultanément en France et en Allemagne, constitue un document précieux : l’ouvrage permet de mieux connaître son auteur comme d’éclairer certaines pages de l’Occupation et de l’immédiat après-guerre.
Quatre textes composent ce Journal de guerre. Le plus long, Journal des Fusillés, tient de l’agenda : l’abbé Stock y consignait ses visites aux prisonniers, et les noms et l’attitude devant la mort du millier de fusillés qu’il aura accompagnés. Journal de Cherbourg, écrit d’octobre 1944 à janvier 1945 lorsqu’il était prisonnier de guerre des Américains, ressemble à un journal intime. Le Séminaire derrière les barbelés, texte inachevé, retrace les cinq premiers mois du centre de formation qu’il dirigera de 1945 à 1947 et qui permettra à des séminaristes allemands, prisonniers de guerre en France, de reprendre leurs études. Le dernier texte est le discours d’adieu que l’abbé Stock prononça devant les futurs prêtres qu’il avait formés.
Né en 1904 à Neheim, en Westphalie, région catholique, Franz Stock, fils d’ouvrier métallurgiste, est l’aîné d’une fratrie de huit enfants. Croyant et pieux, il manifeste adolescent le souhait de devenir prêtre. Après son bac, il entre au séminaire diocésain de Paderborn. En 1926, il prend part, comme 800 autres Allemands et 6000 jeunes provenant d’une trentaine de pays, au sixième Congrès démocratique international pour la paix organisé par le démocrate-chrétien Marc Sangnier à Bierville, près d’Etampes. Dans la foulée, il effectue un séjour à Tulle, dans la famille d’un participant, découverte qui inaugure son amour pour la France, ses paysages, sa culture, ses peintres, ses écrivains. Un nouveau voyage en France suivi d’un pèlerinage à Lourdes le décident à poursuivre ses études de théologie à Paris : en 1928-1929, il passe trois semestres à l’Institut catholique.
Ordonné prêtre en 1932, Franz Stock obtient en 1934, en raison de sa maîtrise de la langue et des relations qu’il a nouées en France, d’être nommé recteur de la Mission catholique allemande de Paris. En 1939, quelques jours avant la déclaration de guerre, il doit rentrer précipitamment en Allemagne où il est nommé vicaire à Dortmund. En tant que prêtre, il échappe à la mobilisation. En 1940, sa demande d’affectation comme aumônier auprès des prisonniers de guerre français est rejetée mais, quelques semaines après l’armistice, il retourne à Paris afin d’y reprendre son poste de recteur de la Mission catholique allemande.
Franz Stock est hostile à Hitler, mais reste un patriote loyal envers son pays. Stricto sensu, il n’est donc pas un résistant antinazi. C’est sur un autre plan, en tant que prêtre, qu’il va, jusqu’à la fin de la guerre, montrer concrètement son humanité et son amour de la France et des Français. Dès octobre 1940, à la demande de l’aumônier général allemand en France et en accord avec le commandement militaire du Grand-Paris, il accepte de visiter les Français détenus par les Allemands dans les prisons parisiennes. Nommé aumônier militaire à titre auxiliaire, il conserve son statut de prêtre diocésain qui le dispense de porter l’uniforme : c’est en soutane qu’il se rend à la prison du Cherche-Midi (qui n’existe plus aujourd’hui), à la Santé et à Fresnes. Très vite ce ministère devient son activité principale puisqu’il y consacre trois jours par semaine, plus un jour pour rendre visite aux familles. Un ministère qui prend une dimension tragique dès lors que se multiplient condamnations à mort de résistants et exécutions d’otages.
Le premier condamné que Franz Stock accompagne jusqu’au supplice est l’ingénieur Jacques Bonsergent, fusillé par les Allemands, le 23 décembre 1940, au bois de Vincennes. Suivront des personnages restés célèbres, tels Honoré d’Estienne d’Orves, officier de marine exécuté le 29 août 1941 pour faits de résistance, ou Gabriel Péri, député communiste fusillé comme otage le 15 décembre 1941, tous les deux au Mont Valérien. Ces noms n’apparaissent pas dans le Journal des Fusillés car ce dernier s’ouvre en janvier 1942. Jusqu’au 9 août 1944, Stock mentionne 520 fusillés nommément désignés et 216 anonymes, soit 736 exécutés qu’il a assistés.
Le 25 août 1944, quand la 2e DB et les Alliés entrent dans Paris, l’abbé Stock se trouve à l’hôpital de la Pitié avec 600 blessés allemands intransportables avec qui il a voulu rester. Fait prisonnier, le prêtre est transféré à Cherbourg dans un camp tenu par les Américains. En mars 1945, il y reçoit une lettre de l’abbé Georges Le Meur, un ancien résistant qu’il avait visité à la Santé et à Fresnes, lui demandant, de la part de l’abbé Jean Rodhain, alors chef de l’aumônerie catholique aux armées, et de la part du général Boissau, inspecteur général des Prisonniers de guerre, de prendre la direction d’un centre de formation dans lequel seront regroupés les étudiants en théologie allemands captifs en France.
Le 30 avril 1945, le « séminaire des barbelés » ouvre ses portes à Orléans. Au mois d’août suivant, l’établissement est déplacé au Coudray, près de Chartres, et accueillera plus de 900 séminaristes. Son directeur devra faire accepter par l’administration française des dérogations au statut des prisonniers de guerre afin que ses ouailles mènent une vie de séminariste normale, entre étude, prière et divertissement, et affrontera les difficultés créées par la sous-nutrition chronique des prisonniers de guerre allemands en France. Il devra surtout effacer chez ses étudiants les stigmates de la propagande national-socialiste qu’ils avaient subie comme tous ceux de leur génération. Le séminaire de l’abbé Stock recevra plusieurs fois la visite du nonce apostolique en France, Mgr Giuseppe Roncalli, le futur Jean XXIII. En juin 1947, l’établissement ferme ses portes, les futurs prêtres rentrant libres en Allemagne.
Libéré lui aussi, de nouveau recteur de la Mission catholique allemande de Paris, Franz Stock, malade du cœur, mourra d’épuisement, à l’hôpital Cochin, le 24 février 1948, âgé de 43 ans seulement. En 1963, sa dépouille, enterrée au cimetière de Thiais, sera transférée en l’église Saint-Jean-Baptiste de Rechèvres, à Chartres, à la veille de la ratification du traité d’amitié franco-allemand.
Cet homme au destin singulier est souvent décrit comme un apôtre de la réconciliation franco-allemande. Sans doute l’a-t-il été, mais la lecture de son Journal de guerre confirme que cette perspective n’était pas centrale chez lui. Avant tout, Franz Stock s’est voulu un ministre de Dieu, pénétré de ses devoirs de prêtre catholique. Dans son discours d’adieu à ses séminaristes, en 1947, il dénonçait la « barbarie mécanisée » qui était devenue la culture dominante en Occident. « L’Eglise, dans ce nouveau Moyen Age, concluait-il, peut endosser le rôle qu’elle a joué au seuil du grand Moyen Age : messagère du surnaturel, elle peut sauver la nature ; mandataire de Dieu, elle peut libérer les hommes. » Le procès de béatification de l’abbé Stock s’est ouvert en 2009.
Jean Sévillia
Franz Stock, Journal de guerre, Cerf, 438 p., 24 €.
Sources : Le Figaro Histoire (Edition du mardi 1 août 2017)
https://www.jeansevillia.com/2017/12/14/derriere-les-barbeles/
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