De 1337 à 1453, la France et l’Angleterre s’affrontent dans la « guerre de Cent ans », long conflit d’origine dynastique et politique. Après la mort du roi de France Philippe IV le Bel en 1314, lui succèdent tour à tour ses trois fils Louis X le Hutin (1314–1316), Philippe V le Long (1316–1322), Charles IV le Bel (1322–1328). Aucun d’eux n’ayant de descendance mâle, les barons et les évêques du royaume décident de couronner le neveu de Philippe le Bel, Philippe VI de Valois (1326–1350), en excluant de la succession les filles de Philippe IV. Or l’une d’elles est mariée à Édouard II, roi d’Angleterre, lequel tente justement d’étendre son influence sur certaines villes de Bretagne et de Flandre. Mais le vrai conflit éclate en 1337, lorsque Philippe IV tente de confisquer les fiefs anglais en Aquitaine : Édouard III, le fils d’Isabelle, donc le petit neveu de Philippe le Bel, réplique en se proclamant roi de France.
Contexte et personnage
Sous les règnes de Philippe IV puis de Jean II le Bon (1350–1364), le sort des armes est d’abord favorable aux Anglais, avec les victoires de Crécy (1346), Poitiers (1356) et l’occupation de Calais (1347). C’est également durant la première moitié du conflit que la chevalerie française, certes trop sûre d’elle, apprend à connaître les redoutables archers anglais. Ceux-ci, grâce à la portée redoutable de leurs grands arcs (200 m de portée utile) et à leur puissance de perforation, assurent la supériorité tactique du camp anglais même dans des conditions d’infériorité numérique, comme c’est encore le cas à Azincourt en 1415.
La deuxième phase du conflit s’ouvre avec le couronnement de Charles V le Sage (1364–1380) qui doit faire face à trois menaces aussi mortelles les unes que les autres : les déprédations des grandes compagnies, les attaques de l’Anglais et les menées de Charles de Navarre, descendant en ligne directe de Saint Louis et de Philippe III le Hardi, et de ce fait prétendant au trône de France. Pour l’aider à combattre ces ennemis, il faut à Charles V un capitaine d’exception, intrépide, fort et rusé.
Né en 1320 au château de la Motte-Broons près de Dinan, dans une famille de la petite noblesse bretonne, Bertrand du Guesclin est décrit par ses biographes comme un garçon à la fois laid et brutal, mais aussi d’une force et d’une habileté redoutables. En dépit ou grâce à cela, il grimpe rapidement dans la hiérarchie militaire. Adoubé chevalier en 1354 à la suite de sa conduite courageuse au cours de plusieurs batailles contre les Anglais (prise du château de Grand Fougeray et défense de Rennes assiégée), il est ensuite nommé capitaine de la place forte du Mont Saint Michel, puis lieutenant de Normandie, d’Anjou et du Maine. Il devient en 1364, capitaine général pour les pays entre Seine et Loire et chambellan de France. Ses mérites et ses victoires le conduisent à recevoir en 1370 le bâton de connétable de France des mains de Charles V.
Dans son entreprise consistant à bouter les Anglais hors du royaume de France, Bertrand du Guesclin s’attache à éviter le choc avec le corps de bataille anglais tout en restreignant peu à peu sa liberté d’action. Pour cela, il exploite à fond les principes de mobilité et de surprise, notamment en interceptant des convois ou en défaisant des détachements ou des garnisons isolés. Bertrand veille toujours à arriver par la direction d’où on l’attend le moins. Il choisit aussi ses cibles en fonction de l’impact psychologique prévisible de la victoire à venir : les garnisons donnant des signes de mécontentement ou bien les villes dont la population semble mûre pour changer de parti.
Ces procédés de stratégie indirecte lui permettent, sans avoir à livrer de bataille rangée, de réduire les possessions anglaises en France à une étroite bande de territoire comprise entre Bordeaux et Bayonne.
La bataille
L’année 1364 doit voir le couronnement de Charles V, dit Charles le Sage, en la cathédrale de Reims conformément au noble et ancien usage. Mais le royaume de France est au plus mal. Les dernières années ont vu une succession de défaites (dont la bataille de Poitiers lors de laquelle est capturé le roi Jean II le Bon), les émeutes des bourgeois de Paris sous la conduite du prévôt des marchands Étienne Marcel, et les jacqueries paysannes.
Pourtant le capitaine Du Guesclin a déjà à son actif quelques succès, notamment en Bretagne où, par d’habiles ruses, manœuvres et embuscades, il a terrorisé les Anglais dans la forêt de Brocéliande, ce qui lui vaudra d’ailleurs le surnom de « Dogue noir de Brocéliande ». Mais il lui faut aussi faire face à l’autre ennemi du royaume de France, Charles de Navarre. Or, ce dernier a placé à la tête de ses troupes un combattant réputé, Jean de Grailly dit le Captal de Buch.
Les compagnies de soudards qui obéissent à ces deux grands capitaines se rencontrent le 16 mai 1364 dans la plaine de Cocherel (aujourd’hui Hardencourt-Cocherel), à quelques kilomètres d’Evreux. La disposition des troupes n’est pas à l’avantage du capitaine Du Guesclin : le Captal s’est retranché sur une colline qui domine les troupes de son adversaire, escomptant que celui-ci, fidèle à la tradition des chevaliers français, va s’élancer à l’assaut de sa position sous le « feu » des archers navarrais.
Mais sans doute nourri du souvenir funeste des batailles de Crécy et de Poitiers, Bertrand du Guesclin va une nouvelle fois faire la preuve de son génie tactique. Il ordonne à ses troupes de feindre un repli, donnant l’impression de vouloir abandonner le champ de bataille. Cette manœuvre n’est d’ailleurs pas totalement dénuée de sens pour une armée qui a plus à gagner à se retirer en bon ordre qu’à épuiser vainement son potentiel offensif.
Qu’ils aient été sourds aux ordres de prudence du Captal ou que celui-ci ait lui aussi cru trop prématurément à la victoire, les troupes navarraises se précipitent alors à la poursuite des Français, lesquels, révélant leur feinte, prennent finalement leurs adversaires à contre-pied, enfonçant successivement leurs trois lignes de bataille pour finir par s’emparer du Captal lui-même.
Ce qu’il faut retenir
Bien que la bataille de Cocherel demeure une bataille rangée au sens classique du terme, Bertrand du Guesclin sait y employer un stratagème qui illustre tout aussi bien son sens de la ruse que les pratiques de guérilla qui avaient fait sa renommée en Bretagne.
Remarquons aussi que cette bataille n’est pas sans rappeler une autre, Hastings qui a eu lieu près de trois cents ans plus tôt (14 octobre 1066) et dont Bertrand se souvient peut être à cette occasion. En effet, à Hastings, les troupes de Guillaume le Conquérant ayant vainement tenté au cours de nombreuses charges de cavalerie lourde de déloger les Anglo-Saxons de la colline où ils s’étaient installés, et la rumeur de la mort de Guillaume ayant parcouru les rangs normands, ces derniers engagèrent un mouvement de repli qui menaçait de se transformer en retraite précipitée. Les Saxons se jetèrent à leur poursuite, pensant profiter de la terreur naissante des fuyards pour en occire le plus possible. Entretemps, Guillaume avait réapparu aux yeux de ses troupes ; il exploita la hardiesse de ses ennemis en les laissant se précipiter sur son centre auquel il avait ordonné de faire volte face, et en faisant manœuvrer ses ailes pour qu’elles les prissent à revers.
Une telle manœuvre est certes risquée, le repli tactique pouvant se transformer en déroute incontrôlable s’il n’est pas bien synchronisé avec la contre-attaque qui doit lui succéder. Elle nécessite en effet une troupe particulièrement disciplinée et accordant une confiance absolue à son chef.
Nicolas L. — Promotion Marc Aurèle
Illustration : Charles Philippe Larivière, Bataille de Cocherel, prés d’Evreux, 1839. Coll. Château de Versailles, Galerie des Batailles. Domaine public.
https://institut-iliade.com/bertrand-du-guesclin-a-la-bataille-de-cocherel-16-mai-1364/
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