lundi 15 février 2021

Les plus célèbres dissidents de l’Action française sont des hommes de plume 2/2

  

Paul Sérant reconnaît qu’au sein de l’Action Française, si la doctrine politique était le monopole de Maurras, la littérature y était tout aussi importante. Les « dissidents » l’ont-ils été par un faible appétit politique ou par des ambitions littéraires et intellectuelles incompatibles avec le mouvement ?

La littérature joue un rôle essentiel à l’Action française, à commencer par Maurras lui-même qui a souligné dans Quand les Français ne s’aimaient pas qu’il avait été conduit à la politique par les lettres. Ajoutons que Maurras avait en tête un projet littéraire bien précis, celui de la création d’une « École romane » qu’il a tenue à bout de bras mais qui n’a pas donné les résultats attendus. On ajoutera enfin tout l’intérêt que Maurras porte au classicisme et son rejet du romantisme. Ce dernier est très partagé à l’Action française mais au sein de cette dernière les idées littéraires et plus largement esthétiques de Maurras ne sont pas exclusives d’autres sensibilités. Si la politique est à l’origine des dissidences, ce n’est pas le cas de la littérature. Pour illustrer cette cohabitation, curieuse j’en conviens mais indiscutable, deux exemples suffiront. Le premier est celui de Léon Daudet, fidèle parmi les fidèles au plan politique mais qui affiche des goûts littéraires bien éloignés de ceux de son compatriote provençal puisqu’il se fait le défenseur de Marcel Proust et de Louis-Ferdinand Céline, n’hésitant pas à rembarrer brutalement sur ces sujets Henri Massis, rédacteur en chef de La Revue universelle et beaucoup plus proche du classicisme du « Martégal ». Les chroniques littéraires de Brasillach sont également très éclairantes sur ce point, en particulier pour ce qui concerne le « théâtre littéraire » dont il se fait, en 1935, le défenseur dans La Revue universelle.

Dans votre ouvrage Le rendez-vous manqué des relèves des années 30, vous opposez la relève « réaliste » à celle plus spiritualiste des « non-conformistes ». Peut-on classer l’Action française d’alors dans l’une de ces catégories ?

L’Action française ne peut pas être rangée dans ces catégories pour la bonne et simple raison que ses origines sont bien antérieures : Maurras est né en 1868 et a donc 62 ans en 1930. Il n’est plus un homme de la relève même s’il suit ce processus avec attention. Il a toujours été intéressé par la jeunesse en qui il voit le vivier d’une future élite à même de refaire la France et son dernier livre s’intitule Pour un Jeune Français. Si l’Action française ès qualité ne compte pas parmi les relèves des années trente, nombreux sont les jeunes maurrassiens qui animent ce qu’il est convenu d’appeler la « Jeune Droite » et qui est un des piliers du pôle spiritualiste avec l’Ordre nouveau (Robert Aron, Arnaud Dandieu) ou Esprit (Emmanuel Mounier). Esprit, avec lequel la Jeune Droite ferraille.

Sans vouloir égrener une liste de noms, certains doivent être rappelés : Jean de Fabrègues (éphémère secrétaire de Maurras et dissident du tournant des années trente), les normaliens Robert Brasillach ou Thierry Maulnier, mais aussi la future relève des Hussards (Jacques Laurent) ou de La Nation française d’après guerre (l’historien Philippe Ariès). N’oublions pas non plus un homme qui n’a jamais été un maurrassien affiché mais qui a souligné l’empreinte qu’a eue Maurras sur toute cette mouvance, je veux parler de Jean-Pierre Maxence dont il faut relire l’Histoire de dix ans (1927-1937).

Les dissidents de l’Action française l’ont-ils desservie, notamment quant à la réalisation de ses objectifs politiques, ou bien plutôt confortée ?

Je ne pense pas que le problème se pose uniquement en ces termes. Desservie, sans doute, oui, sur le court terme puisque les dissidences collectives ont provoqué un départ de militants qu’il a fallu combler. Peut-on conjecturer que ceux qui sont restés en sont d’autant affermis. En réalité, les choses ne se posent pas ainsi. Le problème majeur de l’Action française n’a pas été forcément d’attirer des militants que de les garder, notamment à l’âge adulte. Maurras et l’Action française, de l’avant 1914 aux années trente ont largement attiré des jeunes gens, séduits par la rigueur de sa doctrine et sa radicalité affichée.

Le renouvellement existe mais les mêmes causes reproduisent les mêmes effets et on ignore ce qui se serait passé si la ligue n’avait pas été dissoute en 1936. Mais cette dissolution est instructive : les dirigeants, Maurras en tête, craignent d’abord pour l’avenir du journal. C’est leur principale préoccupation, beaucoup plus que l’organisation militante qui s’éteint alors. Une dernière remarque enfin. On constate, à observer l’histoire des dissidences dans la durée, que derrière les caractéristiques particulières liées aux individus elles présentent des similitudes. J’en retiendrai trois : départs conflictuels et polémiques (avec dans certains cas des procès judiciaires), mise en cause par les dissidents de la stratégie suivie et donc du « maître » ; mais aussi, et peut-être surtout, absence de remise en cause de la politique suivie par la direction. Des dissidences et de leur succession, aucune leçon n’est tirée, ce qui explique la récurrence des crises.

Le « rendez-vous manqué » que vous évoquez l’a-t-il été, aussi, à cause de l’importance de ce mouvement, ou à l’inverse à cause de ses nombreux et influents dissidents ?

Le rendez-vous manqué des relèves des années trente doit son titre à l’effort de pesée que j’ai entrepris entre le bouillonnement né à la fin des années 1920 et l’aptitude de ces relèves à transformer la société de leur temps. Je concluais ce livre en insistant sur le crépuscule des « non-conformistes » et « l’aurore des technocrates » qui ont été, et dans la durée, les relèves sans doute les plus efficaces pour faire valoir leur importance, leur nouveauté et leur légitimité et ce, de l’avant-guerre à l’Occupation et à la Libération-reconstruction. Les raisons de ce succès sont nombreuses et j’en citerai trois. Ces relèves technocratiques ont su rendre légitime un statut d’expert susceptible de remettre en cause certaines élites en place (les ingénieurs économistes d’X-Crise planistes contre les professeurs d’économie libéraux) pour faire face à la crise économique. Ces relèves se caractérisent aussi par une appétence pour l’exercice des responsabilités qui leur a permis de répondre positivement aux appels des responsables gouvernementaux, et ce nonobstant leur couleur politique. Enfin, si les relèves spiritualistes se sont d’abord construites sur des refus (à commencer par celui de la modernité technocratique émergente) les relèves technocratiques, marquées par « l’opérationnalisme », sont arrivées auprès des décideurs avec un projet dominé par le souci de rationalisation et de modernisation et un catalogue de mesures à mettre en œuvre.

Source

https://voxnr.com/9112/les-plus-celebres-dissidents-de-laction-francaise-sont-des-hommes-de-plume

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