mardi 16 février 2021

Guerre de Trente Ans

 La Paix de Westphalie (1648)

La réédition d’ouvrages épuisés ne pose pratiquement plus de problèmes. Les nouvelles techniques de reproduction de textes permettent, sans grands frais, de rééditer, à l’usage des chercheurs et des collectionneurs, des livres importants, dont le relecture peut modifier nos jugements et corriger nos simplismes. La Faksimile-Verlag de Brème s’est spécialisée dans ce genre de travaux et privilégie généralement d’anciens ouvrages consacres aux aspects les moins connus — ou les plus oubliés — de l’histoire allemande. Notre attention a plus particulièrement été attirée par un testament politique de Richelieu et par Der Westfälische Frieden (La Paix de Westphalie).

Ces deux ouvrages résument brillamment le destin européen du XVIIe siècle. Pour nous, ce siècle et ces ouvrages sont doublement importants : 1) parce qu’ils remontent aux sources du contentieux germano-français de 1870 et de 1914, conflits où nous nous sommes vus coincés entre deux voisins puissants et 2) parce que les traités de Westphalie sont l’amorce des traités ultérieurs dits des Pyrénées, d’Aix-la-Chapelle, de Nimègue et de Rijswijk qui ont modifié le tracé des frontières septentrionale et orientale de la France, coupant la Flandre et le Hainaut en deux. C’est de ces traités que date l’actuelle frontière franco-belge, à très peu de choses près.

Comment des historiens allemands jugent-ils ces épisodes désastreux pour l’Empire (le “Reich”) dont le Brabant, le Hainaut, Namur, le Luxembourg et Liège faisaient partie depuis les traités de Verdun (843) et de Ribemont (880) et la Flandre pratiquement depuis le mariage de Marie de Bourgogne avec Maximilien Ier de Habsbourg mais officiellement depuis que François Ier, Roi de France, ait renonce a ses droits de suzeraineté après sa défaite à Pavie en 1526 ? Nous avons partagé, jusqu’en 1792, année où les troupes révolutionnaires françaises de Dumouriez pénètrent dans les Pays-Bas Autrichiens, le sort des autres habitants du Reich, Allemands ou non. L’historiographie belge, depuis 1830, a eu tendance à oublier ces siècles et ces faits historiques et à penser l’histoire de nos provinces en dehors de sa périphérie. En lisant le livre de Friedrich Kopp et d’Eduard Schulte, Der Westfälische Frieden, nous retrouvons nos provinces dans le contexte global de l’Europe du XVIIe siècle, contexte ou des pays comme l’Espagne et la Suède jouent des rôles prépondérants. Kopp et Schulte font remonter les raisons de la décomposition totale du Reich, consécutive aux traités de Westphalie, au règne de Charles-Quint, figure bien connue de notre histoire. Charles-Quint, héritier des Ducs de Bourgogne, devient Empereur d’Allemagne au moment où germe la révolte luthérienne, où les structures politiques restent affaiblies à cause de la lutte sans merci que se sont livrés Empereurs et Papes médiévaux au cours des siècles précédents. Cette faiblesse implique un conglomérat hétéroclite de principautés et un pouvoir impérial faible. Charles-Quint, Empereur de 1519 à 1556, et déjà Roi d’Espagne depuis 1516, va faire des Pays-Bas (Belgique et Pays-Bas actuels) et de l’Allemagne un espace où des intérêts étrangers aux peuples néerlandais et allemands vont s’affronter.

Dans les affaires intérieures de l’Empire, le Vatican et l’Espagne interviendront à leur profit et au mépris des traditions locales et des aspirations populaires. Cette intervention, couplée au fanatisme anti-protestant, provoquera l’immixtion de la France et de la Suède. Pour Kopp et Schulte, ce désintérêt pour les aspirations populaires découle de la nature supra-nationale, universaliste et purement dynastique du pouvoir de Charles-Quint. L’Empereur s’est aligné sur l’universalisme du Vatican et s’est fait couronner en terre italienne, en l’absence de tout prince allemand important. La réaction ne s’est pas fait attendre : dès 1531, les Princes, surtout ceux qui avaient adhéré au luthérianisme (mais aussi le Duc catholique de Bavière), se réunissent au sein de la Ligue de Schmalkalden (Schmalkaldener Bund) pour revendiquer les “libertés” des princes territoriaux contre l’arbitraire catholique. Appuyé par le Pape, l’Empereur a voulu entreprendre la re-catholicisation de l’Allemagne et des Pays-Bas. On sait les résultats désastreux que cette entreprise a eus à Bruxelles, Anvers, Gand, etc. À l’encontre du droit de l’Empire et sans l’accord de la Diète impériale, Charles-Quint cède le “Cercle de Bourgogne” (Burgundischer Kreis, c’est-à-dire les Pays-Bas + la Franche-Comté) à la Couronne d’Espagne.

Mais quelle était la situation économique, politique et sociale du Reich avant 1618, l’année où commença la terrible Guerre de Trente Ans qui ne prendra fin qu’en 1648, avec la Paix de Westphalie ? L’Empire formait une zone territoriale compacte au centre de l’Europe (cf. la carte en fin d’article). À l’Ouest, les Provinces-Unies commençaient à se forger un destin particulier. Les cantons helvétiques cherchaient à s’éloigner des tensions qui secouaient le reste de l’Empire. Les Turcs menaçaient Vienne et la Hongrie. Anvers était un port florissant. La Hanse s’y était fixée, y concurrençait les produits anglais. La Baltique connaissait un trafic accru : en 1500, huit cents bateaux franchissaient chaque année le Sund danois ; en 1600, ils étaient sept fois plus nombreux. En 1616, les Provinces-Unies, exclues précédemment de la Hanse, signent un nouveau traité d’alliance avec les autres villes hanséatiques, destiné à unifier le commerce dans la Mer du Nord et la Baltique. On assiste également à un regain d’intérêt pour les universités et à une unification linguistique, englobant Pays-Bas, Allemagne et Scandinavie. C’est cette renaissance nord-européenne que la Guerre de Trente Ans va ruiner.

Divisé entre principautés catholiques et protestantes, l’Empire ne pouvait rien contre les États nationaux solides qu’étaient la France, l’Espagne, l’Angleterre et la Suède. La province allemande qui devint l’instrument militaire de la Contre-Réforme fut la Bavière du Duc Maximilien. En 1609, la Bavière, avec l’appui du Vatican et de l’Espagne, rassemble la Ligue sous les ordres du Brabançon Jean’t Serclaes de Tilly. Au même moment, une querelle éclate pour la succession du duché de Clèves-Juliers, bien situé sur le Rhin, au Nord de Cologne. La France soutient le parti protestant ; ce que ne peut admettre l’Espagne. Le poignard de Ravaillac, en 1610, évite une guerre franco-espagnole. Mais chacun avait choisi son camp. En 1613, l’Empereur Matthias tente de sauver l’Empire en imposant la parité entre Protestants et Catholiques a la Diète. Menant une guerre féroce contre les Perses, les Ottomans ne s’intéressent plus à l’Europe centrale. C’est l’occasion, pour le nouvel Empereur Ferdinand II et Maximilien de Bavière, pour lancer leur offensive anti-protestante. La guerre se déclenche en 1620 avec, pour premier objectif, l’élimination du protestantisme en Bohème et en Autriche. Le sort était jeté : mercenaires espagnols et polonais soutiennent le parti catholique. L’Allemagne devient champ de bataille de l’Europe. L’Espagne, maîtresse des Pays-Bas méridionaux, souhaite encercler la France par le Nord (Bruxelles), l’Est (par l’ Alsace dont elle cherche à s’emparer) et le Sud (par Milan et au départ de son propre territoire). Seules les Provinces-Unies résistent et permettent aux Princes d’Allemagne septentrionale, abandonnés par le Roi du Danemark, de faire face aux Catholiques.

Ces projets espagnols alarment Richelieu qui décide d’éliminer ce danger au Nord et à l’Est. Richelieu, dans un réflexe bien légitime d’auto-défense (ainsi que le soulignent Kopp et Schulte en l940, date de parution de leur ouvrage !), fixe pour objectif à la politique française, de prendre Metz et Strasbourg. La querelle alsacienne est née. Ni Français, ni Allemands n’en sont au départ responsables mais le Pape. En Bohème, la répression exercée par les Habsbourgs, la fuite de 150.000 Protestants hors du pays, l’immigration ultérieure de Catholiques bavarois et l’établissement, à Prague, d’un régime absolutiste sont à l’origine de la haine des Tchèques pour les Allemands.

En 1625, le Roi de Danemark, Christian IV, entre dans le jeu. Battu par Tilly et Wallenstein, il laisse toute l’Allemagne aux Catholiques. Le Vatican a pratiquement gagné la partie. Mais Ferdinand II vole au secours des Polonais, aux prises avec la Suède désireuse de faire de la Baltique un lac suédois. Cette erreur politique force Gustave Il Adolphe de Suède, avec la complicité de Richelieu qui obtient la neutralité des Polonais, à se poser en champion des Protestants allemands. Gustave-Adolphe écrase l’armée de Tilly en 1631 à Breitenfeld et sauve le protestantisme allemand. Wallenstein reprend l’offensive. En 1632, à la tête de son armée victorieuse, le Roi de Suède tombe à Lützen. Commandée par Oxenstierna, l’armée suédoise conquiert l’Allemagne du Sud, ce qui oblige Wallenstein à composer. Il paye de sa vie cette volonté de dialogue : un officier catholique irlandais l’assassine. En 1634, pourtant, les Suédois perdent l’Allemagne du Sud. En 1635, par la Paix de Prague, les Allemands semblent vouloir la réconciliation et la paix. La France reforge une alliance avec la Suède. Bernhard de Weimar, général suédois, conquiert l’Alsace pour Richelieu.

Ces trente ans de guerre ont ruiné l’Allemagne et lui ont coûté des millions de morts. Plus de 66 % de la population du Palatinat périt de la guerre et de ses suites. L’Empereur Ferdinand II, aveuglé par son fanatisme religieux, avait dit : “Je préfère un désert à un pays plein d’hérétiques”. Aujourd’hui, certains préfèrent la vitrification à une Europe étrangère aux slogans reagano-papistes. Et curieusement, ce sont les héritiers de Ferdinand II.

Les résultats de la Guerre de Trente Ans sont multiples : la France a entamé sa marche vers l’Est. La Hollande s’est fait reconnaître par l’Espagne et s’est détachée de l’Empire. La Suisse a, elle, été détachée de l’Empire par la volonté de l’Empereur lui-même, qui ne souhaitait pas conserver sous sa juridiction la population protestante de Suisse. Cette entreprise était en contradiction avec les statuts de l’Empire. Nos régions connaîtront la guerre plus longtemps encore: jusqu’en 1659, quand l’Espagne capitule et cède l’Artois et le Roussillon. En 1667, la France de Louis XIV revendique le Brabant mais est battue par la triple alliance de l’Angleterre, de la Hollande et de la Suède. Les Pays-Bas perdent quand même Lille. Ce ne sera qu’en 1697 que l’Empire regagnera le Luxembourg, la Flandre et la Lorraine, annexés entre 1668 et 1688. La frontière franco-belge actuelle est stabilisée pour trois siècles, mis à part les révisions de 1815 et les projets allemands de 1914 et 1940.

En conclusion, je dirai que lire un ouvrage sur les traités de 1648 permet de comprendre les racines des deux guerres mondiales. La Paix de Westphalie, avec ses prolégomènes et ses conséquences, révèle aussi combien pernicieuses sont les interventions de puissances étrangères à un espace. Dans le cas de la Guerre de Trente Ans, le rôle de l’Espagne est, sur ce plan, exemplaire. L’impact politique et géopolitique des modèles universalistes de société est toujours désastreux. Le catholicisme n’a presque rien gagné aux carnages du XVIIe siècle, mais conserve une scandaleuse bonne conscience. Il y a moyen de transposer ces leçons de l’histoire aux années 1980 : les États-Unis veulent, en toute bonne conscience, convertir le monde à leur modèle de société et s’immiscent dans les affaires européennes, c’est-à-dire dans les affaires d’un espace géographique et historique très éloigné du leur. De tels projets ne peuvent conduire qu’à la catastrophe.

Wilhelm Mommsen, qui introduit la traduction allemande du Testament de Richelieu, rééditée par Faksimile-Verlag [et en France en 2011 par Perrin, cf. recension, la dernière édition, dotée d’un appareil critique, étant parue en 1947 chez Robert Laffont], voit dans le Cardinal le type même de l’homme d’État moderne que l’Allemagne du XVIIe siècle n’a pas eu. Richelieu est arrivé au pouvoir dans une France en plein chaos et, par sa conception personnelle de la raison d’État, a réussi à en faire la première puissance du continent. Mommsen voit en Richelieu un théoricien du politique équivalent, sinon supérieur, à Machiavel et Hobbes car ses écrits ont été sanctionnés positivement par l’histoire. L’introduction de Mommsen est, tant du point de vue allemand que du point de vue français, un texte indispensable. Il permet à tous de se réapproprier une conscience historique que les événements des XIXe et XXe siècles ont occultée.

• Friedrich KOPP und Eduard SCHULTE, Der Westfälische Frieden, Vorgeschichte, Verhandlungen, Folgen, Faksimile-Verlag (Reprint), Bremen, 1983, 218 p.

• Das Politische Testament Kardinal Richelieus, herausgegeben v. Prof. Wilhelm Mommsen, Faksimile-Verlag (Reprint), Bremen, 1983, 295 p.

► Guy Claes (pseud. RS), Vouloir n°7, 1984.

http://www.archiveseroe.eu/histoire-c18369981/48

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